Miss Charity, de Marie-Aude Murail
Enfin en Médium poche ! (édition Luxe 20,5 x 14,2 cm)
Ah, Miss Charity ! Quel bonheur de lecture. Découvert en 2008, sous forme d'une bonne grosse brique d'au moins 500 pages, j'avais savouré ce roman au charme poudré, qui était aussi un bel hommage à la littérature enfantine et à ses héroïnes. En faisant connaissance avec Charity Tiddler, une jeune anglaise passionnée d'animaux et de botanique, c'est aussi à Beatrix Potter qu'on pense inévitablement, et plus largement, à George Sand, Charlotte Brontë, la comtesse de Ségur et même Jane Austen.
Fille unique d'un couple appartenant à la bonne société, Charity grandit dans un carcan de bonnes manières victoriennes. Solitaire et rêveuse, la jeune fille aime se réfugier dans la lecture et apprendre par cœur du Shakespeare qu'elle récite à ses petits compagnons sous les toits, car Charity possède une véritable ménagerie dans sa nursery (souris, grenouilles, lapins, canards...). Sa gouvernante française ou même sa bonne écossaise ferment les yeux sur ses excentricités - après tout, Charity n'aime ni chanter, ni jouer du piano, ni la broderie, mais se complaît dans le dessin et l'aquarelle en se révélant extrêmement douée. Elle n'aime guère non plus les sorties mondaines et préfère des amitiés moins conventionnelles, comme sa relation avec Kenneth Ashley, un fils de fermier qui se lance dans le théâtre.
C'est incontestablement une lecture raffinée et exquise, avec les illustrations harmonieuses de Philippe Dumas. Elle dresse un beau portrait d'héroïne, attachant et décalé avec son époque, à la volonté farouche et la curiosité insatiable. Elle possède aussi une aura chaleureuse et captivante, renvoie un grand souffle romanesque, dégage un sentiment de confort et inspire un déchirement au moment de tourner la dernière page. De l'humour, de la finesse, de la tendresse et de la délicatesse. Ce roman, c'est le doudou par excellence.
L'école des Loisirs, coll. Médium Poche - Novembre 2016
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« Autant les fleurs et les champignons trouvaient facilement leur nom et leur définition au clair soleil de ma raison, autant les choses humaines se déposaient au fond de moi, toutes grises et indécises. »
Adam et Thomas, d' Aharon Appelfeld & Philippe Dumas
« N'aie crainte, tu connais notre forêt et tout ce qu'elle contient. »
Fabuleux et inclassable, ce petit roman d'Aharon Appelfeld vous séduira pour sa simplicité, sa générosité, sa tendresse et son humanité. L'histoire raconte comment deux enfants, Adam et Thomas, vont survivre seuls dans la forêt, où ils ont été “abandonnés” par leurs mamans, pour échapper aux rafles et aux enlèvements. La guerre fait rage, les familles ont éclaté, il n'y a plus d'école, plus de toit sous lequel se réfugier. La forêt offre donc aux garçons un abri, loin du monde extérieur, et on se sent divinement bien dans leur nid douillet, dans les arbres.
L'histoire ne cherche pas à fanfaronner et décrit une aventure charmante, avec deux personnages très attachants. Adam et Thomas n'ont rien en commun, l'un a grandi dans la nature, la comprend et s'y sent comme un poisson dans l'eau. L'autre, plus réservé, préfère les livres et les études, l'un croit aux rêves, l'autre aux prières. Bref, on partage leur quotidien, à se nourrir de fraises et de cerises, repérer un point d'eau, parler aux animaux, partager leurs espoirs, leurs attentes, écouter les bruits de la forêt et de la nuit...
C'est assez ordinaire, mais pas insignifiant, et forcément très touchant ! Cette lecture ressemble davantage à un conte, même si l'histoire est ancrée dans la réalité de la Seconde Guerre mondiale, il s'en dégage une ambiance surnaturelle, presque féerique. Naturellement, les illustrations de Ph. Dumas apportent une touche de poésie qui accentue cette confusion, pour notre plus grand bonheur.
École des Loisirs, mars 2014 ♦ traduit par Valérie Zenatti
♠ élu meilleur livre jeunesse de l'année 2014 par le magazine LIRE ♠
Le vieil homme et la perle, de Florence Noiville et Philippe Dumas
Lucien est un vieux monsieur un peu triste, qui passe beaucoup de temps sur un banc, à regarder les passants. Il ressasse sa vie d'avant, quand il était un chanteur flamboyant. Mais ça, c'était avant de perdre sa voix. Sa femme l'a quitté. Il vit désormais seul, replié sur lui-même. Pourtant, souvent il croise dans la rue une belle jeune femme. « Madeleine au prénom moelleux comme une écharpe de mohair. » Son cœur bondit dans la poitrine, il se surpend alors à rêver d'elle et à une vie meilleure.
Mais une voix intérieure le gronde et lui rappelle qu'il n'est qu'un moins-que-rien, il est fichu, sur son banc, seul... Ainsi va la vie. Le soir de Noël, Lucien décide pourtant d'entrer dans un restaurant et s'offre trois huîtres, plus un verre de vin. Et là, le miracle se produit : une perle, une superbe perle, blanche et nacrée... pour lui, rien que pour lui. La roue du destin est en train de tourner.
... Malheureusement, dans la rue, son chemin croise deux malotrus qui lui chipent son trésor. Retour à la case départ pour notre Lucien. Son bonheur aura été de courte durée. C'est alors que la voix, cette sinistre voix rauque qui n'a cessé de le tarabuster, intervient à nouveau pour le sauver de la déprime. Les miracles existent bel et bien !!
Quel joli conte de Noël, raconté par Frédéric Van Den Driessche et mis en musique par Louis de Segonzac. L'écoute est formidable, alerte et passionnante ! Le livre en lui-même avait déjà su me captiver, grâce aux illustrations de Philippe Dumas d'une élégance toujours appréciable. L'histoire rappelle aussi la nécessité de briser sa coquille, de s'ouvrir aux autres et d'affronter ses peurs pour ne plus vivre dans une trouille constante. Lucien avait perdu confiance en lui, jusqu'au jour où il a su se ressaisir par un simple élancement de jambe.
Une très belle découverte, en format papier et en cd !
Gallimard jeunesse Musique, octobre 2013 ♦ COUP DE CŒUR PRINTEMPS 2014, pour les 10 ans et plus, de l'Académie Charles Cros
Pêle-mêle Clarabel #34
Lu et aimé Plus loin que le bec des hirondelles d'Annie Agopian & Magali Bardos,
Un texte qui se moque avec gentillesse du tourisme de masse, des clichés sur carte postale et autres, en même temps qu'il dénonce les rêves sur papier glacé, ceux qui font partir toujours plus loin afin de trouver ce qu'ils ne trouvent plus chez eux, ou ceux qui donnent envie de repartir à zéro en voulant croire que la vie est plus belle ailleurs. Des illustrations enthousiasmantes, et une belle histoire d'amour à sens unique. (Rouergue, 2011)
C'est ainsi que nous avons ressorti des étagères Le trou d'Annie Agopian & Alfred.
Une mère et son fils sont confrontés aux aléas de l'administration qui visent à ce que vous certifiez vos origines, parfois en dépit du bon sens. Ceci conduit la maman à confesser une histoire émouvante, celle du grand-père qui a quitté l'Arménie et s'est retrouvé apatride, la petite histoire embrassant la plus grande, c'est aussi le génocide d'un peuple qu'on découvre, la date du 24 avril 1915 et l'exercice de mémoire qu'il faut entretenir, encore et toujours. Les illustrations d'Alfred commentent avec force les propos d'Annie Agopian. Cet album attendait depuis trop longtemps que nous le découvrions, mais heureusement il n'est jamais trop tard pour bien faire ! (Rouergue, 2010)
Nous avons lu également Le voyage de Mémé de Gil Ben Aych,
1962. La famille de Simon déménage. Elle quitte le nord de Paris pour s’installer à une vingtaine de kilomètres, à Champigny-sur-Marne. Tout le monde est déjà parti mais il reste à faire bouger Mémé. La grand-mère tout juste arrivée d’Algérie refuse catégoriquement de monter dans une voiture, un bus ou un métro. Elle veut marcher, un point c’est tout. Simon, son petit-fils, se voit chargé de l’accompagner à travers la capitale et la proche banlieue. En chemin, Mémé va de découverte en découverte. Cette histoire vraie s’est passée il y a près de cinquante ans. Pourtant, elle est toujours d’actualité. C’est, sans doute, ce qui a fait de ce livre un classique de la littérature jeunesse que l’école des loisirs a choisi de rééditer.
Même si je lui reconnais d'énormes qualités (j'aime beaucoup la plume de Gil Ben Aych), je suis un peu restée en retrait et je n'en ferai pas une lecture inoubliable, à la rigueur indispensable pour qui recherche un livre traitant de déracinement et de mal du pays avec un zest d'humour.
(Neuf de l'Ecole des Loisirs, édition 2011) Illustration de couverture : Philippe Dumas