L'Héritage des espions, de John Le Carré
Dans la continuité de L'espion qui venait du froid : un roman d'espionnage du temps de la guerre froide, dans l'Allemagne de l'Est.
Un ancien agent à la retraite est convoqué au siège des services du renseignement pour éclaircir la mort suspecte de ses collègues survenue dans les années 60. Leurs enfants réclament aujourd'hui réparation. La couronne britannique ne veut pas de vagues. Peter Guillam comprend que son mentor (George Smiley) est leur cible privilégiée, mais n'en demeure pas moins loyal et mutique. Peu coopératif, notre homme se retrouve pourtant forcé de replonger dans son passé en compulsant de vieux dossiers et en répondant à de longs interrogatoires. Renaît aussitôt une époque houleuse où tous jouaient des rôles pas toujours glorieux, sans le moindre remords. Des agents étaient sacrifiés pour le bien du pays et on effaçait l'ardoise ni vu ni connu. Qui est le plus coupable parmi tous ? Songeant tour à tour à sa retraite en Bretagne, à la femme qui l'attend dans leur ferme isolée, à celle qui a cru être aimée sans retour, Peter est nostalgique de sa jeunesse et du devoir accompli. Mais il défend tout ça en son âme et conscience, tenant tête à des juristes qui voient en lui le parfait bouc émissaire.
Après moult soupirs, je sors déconcertée par cette lecture. Sensation d'avoir loupé un truc. J'ai aimé le cadre du roman d'espionnage, même si l'histoire m'a semblé mollassonne. L'ambiance est classique, la documentation fournie, les descriptions sont pointues, passé et présent s'entremêlent judicieusement, seuls les personnages paraissent distants et creux. Je ne doute pas de la valeur du roman, pris à part de la série, le rendez-vous me laisse songeuse. Le livre audio a néanmoins été écouté non sans déplaisir : Vincent Schmitt est un interprète fiable et convaincant, dont la voix dramatique se prête efficacement à l'atmosphère sombre et mélancolique de Le Carré.
©2018 Éditions du Seuil. Traduit par Isabelle Perrin (P)2018 Audiolib
- Lu par : Vincent Schmitt
- Durée : 9 h 30 env.
Repris en format poche : POINTS (2019)
Le témoin invisible, de Carmen Posadas
Interprété par Marc-Henri Boisse pour Sixtrid (avril 2015)
Durée : 12h 35mn
Si la Russie et les Romanov vous fascinent, alors ce livre est fait pour vous. Il est richement documenté, instructif et passionnant. Tout simplement excellent.
Il vous entraîne de suite dans la Russie du tsar Nicola II, dans l'intimité de la famille Romanov et dans la fureur de la révolution bolchévique. L'histoire est racontée par un vieil homme malade, Léonid Sednev, réfugié à Montevideo. Entre la fatigue, les douleurs et le temps qui file, il rassemble au mieux ses souvenirs d'ancien ramoneur au palais impérial, petite ombre furtive et témoin invisible des terribles événements ayant conduit au massacre du 17 juillet 1918.
Je le dis, je le répète, c'est captivant. Rien n'échappe à son regard, la vie de famille dans un cadre préservé, la symbiose parfaite, l'exubérance des princesses, la fragilité du tsarévitch Alexis, la dévotion de l'impératrice Alexandra, l'influence trop prononcée de Raspoutine, son assassinat, la colère du peuple, la guerre contre l'Allemagne, la famine, l'abdication et l'exil...
J'ai trouvé dans ce récit une précision remarquable, couplée à un sens du romanesque grandiose. La combinaison des deux est une réussite. J'ai littéralement plongé au cœur de l'Histoire, j'avais la sensation de voyager dans le temps, de fureter dans les couloirs ou de me cacher dans les coulisses. J'étais spectatrice du bonheur et du malheur des Romanov.
Ce roman s'inspire donc de faits réels. Seule une personne est sortie vivante de la Maison à destination spéciale, soit Léonid Sednev, marmiton de quinze ans. Le matin du 17 juillet, celui-ci a été renvoyé chez lui sans explication. On ignore ce qu'il est devenu, car sa trace a été perdue, on ignore aussi s'il a rédigé ses mémoires, Carmen Posadas en a ainsi fait son héros, son “témoin invisible”, à qui elle prête une fascination amoureuse pour la grande-duchesse Tatiana et des émois balbutiants pour la délicieuse Maria.
Cette lecture s'ajoute sans doute à une longue liste, mais elle dégage un supplément d'âme qui en fait tout son charme. Une lecture foisonnante, poignante et palpitante. J'ai adoré. ♥
« Les grands secrets sont comme les sortilèges, ils s'évanouissent dès lors qu'on les expose. »
Trad. Isabelle Gugnon pour les éditions du Seuil - Disponible en Poche chez POINTS
Opération Napoléon, de Arnaldur Indridason
Un bombardier allemand s'écrase sur un glacier islandais, engloutissant son équipage et son chargement. Nous sommes en 1945. Les premiers enquêteurs font chou blanc pour retrouver la carcasse, laquelle refera surface cinquante ans plus tard - au grand dam de l'armée US. Celle-ci souhaite à tout prix effacer les traces de leur passage mais entretient les rumeurs à propos d'or volé aux juifs dans les camps. Au même moment, une équipe de sauveteurs islandais, en vadrouille dans la région, tombe nez à nez avec les militaires sur place. Parmi eux, le jeune Elias contacte par téléphone sa sœur avant d'être brutalement interpellé. Surprise par ce coup de fil, Kristin, une avocate au ministère des affaires étrangères, s'inquiète puis comprend que la situation n'est pas normale quand elle voit débarquer deux “men in black” dans son appartement. L'islandaise ne doit son salut qu'au hasard et fuit le plus vite possible jusqu'au Vatnajökull pour retrouver son frère en danger. Elle se tourne aussi vers un ami de la base américaine et s'embarque dans une aventure périlleuse et mouvementée, traquée par les forces spéciales, le gouvernement et son état major. Mais Kristin parvient à déjouer les pièges et prend tous les risques, tout en menant son enquête et en attisant la colère de ses poursuivants. Comment en est-elle arrivée là ? Tout ça pour une carcasse d'avion ! Quel lourd secret autour ? Pourquoi tant de précaution pour éloigner le public du site ? Et quel était le but réel de la mission originale ? Quid des conséquences de cet échec ?
Changement de cap pour Arnaldur Indridason, qui nous éloigne de son commissaire Erlendur avec un roman d'espionnage, sur fond de 2nde guerre mondiale, de secret d'état et de théorie complotiste. L'auteur revient ainsi sur la présence contestée de l'armée américaine en Islande - sujet déjà esquissé dans Le lagon noir - et s'engage sur un sentier épineux en glissant des sous-entendus peu glorieux quant au rôle des américains dans le tournant de la guerre. Toutefois, l'histoire se lit sur la base d'une course-poursuite aux retournements multiples et, certes, improbables - Kristin est une héroïne qui vient à bout de tous les tueurs aguerris, seuls ses partenaires n'ont pas la même chance qu'elle. Là où elle passe, les témoins trépassent ! Qu'à cela ne tienne, la lecture se révèle prenante, avec un suspense impeccable, même si elle se noie aussi dans des détours et des faux-fuyants un peu redondants. Je n'ai pas autant accroché au personnage central de Kristin, comme c'est habituellement le cas avec notre commissaire de Reykjavik, mais j'apprécie toujours autant le décor islandais, son ambiance et ses paysages glacés, son esprit lunaire et son passé historique assez troublant.
Et puis il y a Thierry Janssen, lecteur pour Audiolib, une voix grave et dramatique qui pose le tableau et donne le ton du livre. J'ai, pour ainsi dire, apprécié mes retrouvailles avec l'auteur par son biais et ne suis qu'impatience pour découvrir son nouveau roman, Dans l'ombre, qui se réserve riche en surprises !
Audiolib, 2017 - Texte lu par Thierry Janssen (durée : 10h 08) - Trad. David Fauquemberg pour les éditions Métailié (2015)
Un sale hiver, de Sam Millar
Il neige dru sur Belfast. Drapé dans le peignoir rose de sa compagne, entre bouteille de lait et journal du matin, Karl Kane découvre une main, soigneusement sectionnée, sur le seuil de sa porte. La deuxième en quelques semaines. La police trouve cette coïncidence douteuse, mais c'est aussi devenu un sport, du fait des rapports houleux qu'entretient notre détective avec les forces de l'ordre, la méfiance et l'arrogance se disputent la part du gâteau. Toutefois, Kane est interpellé par cette affaire, encore plus depuis qu'une grosse prime a été promise par un riche industriel si celui-ci obtient davantage d'informations. Un bonus non négligeable pour soulager les finances désastreuses de son agence.
Peu de temps après, Kane reçoit aussi la visite d'une nouvelle cliente, Jemma Doyle, qui recherche son oncle pour permettre à son père mourant de se réconcilier avant le grand saut. Naomi, sa tendre et chère, renifle bruyamment pour manifester son mécontentement. Kane est anormalement mielleux dès lors qu'il est en présence de demoiselle en détresse, oubliant que c'est l'archétype des problèmes en devenir. Karl n'en fait qu'à sa tête et s'embarque dans une enquête jusqu'à la sulfureuse petite ville de Ballymena, puis fait un crochet dans un quartier chaud de la ville, jusqu'à un abattoir aux odeurs nauséabondes et aux pratiques qui soulèvent sa sensibilité inavouée. Face aux individus louches et aux entrevues musclées, Kane ne se démonte pas et s'entête avec audace et un brin d'inconscience. Casse-cou, notre Karl Kane ? Complètement. Depuis deux livres déjà, preuve a été faite que ce détective privé aimait particulièrement enfoncer des portes ouvertes. De caractère revêche et pugnace, notre homme en a aussi sacrément bavé, d'abord le meurtre de sa mère sous ses yeux de môme qui ne cesse de le hanter, sans oublier ses dernières enquêtes qui ont plongé tout le monde (protagonistes et lecteur compris) dans la tourmente.
Roman noir par excellence, l'ambiance est aux petits oignons et nous sert un bon bouillon de cynisme, d'ironie et de sarcasme. Après Les chiens de Belfast, puis Le Cannibale de Crumlin Road, ce troisième tome de la série est un rendez-vous incontournable, pour qui apprécie les intrigues féroces et les personnages sur la corde raide. Karl Kane ne fait pas dans la dentelle, mais son rôle s'étoffe au fil des épisodes pour révéler une facette autrement plus humaine et attachante. Le prochain livre, Au scalpel, le propulse d'ailleurs dans une situation inconfortable, puisque Karl Kane renoue avec son passé pour affronter le meurtrier de sa mère. Aucune chance que je fasse faux bond au “poète des ténèbres” !
Sixtrid - Texte interprété par Lazare Herson-Macarel (durée : env. 7h) - ©2016 Éditions du Seuil pour la traduction par Patrick Raynal [Dead of Winter]
Repris en format poche au POINTS, avril 2017
En vrille, de Deon Meyer
EN POCHE !
Ernst Richter, créateur d’un site qui fournit de faux alibis aux conjoints adultères, vient d'être assassiné. Ce génie de l'informatique avait néanmoins plus d'un tour dans son sac et multipliait les casquettes pour remettre à flot sa société aux comptes déficitaires. Tous les coups semblaient permis, aussi les forces spéciales ne s'étonneront plus de déterrer d'autres vérités cinglantes : activités illicites, lettres de menace et d'insulte. Les suspects ne vont pas manquer. Face à la séduisante Desiree Coetzee, la directrice opérationnelle d'Alibi.co.za, l'inspecteur Vaughn Cupido va également perdre toute consistance. Il procède à une interpellation expéditive, se fourvoie avec panache et finit par remonter les bretelles d'un Benny Griessel désespérément inefficace (ses vieux démons sont de retour). Contraint à se soigner une bonne fois pour toute, notre Hawk à la carapace fêlée prend douloureusement conscience de sa déchéance, mais fait enfin un grand pas dans sa vie ! Ouf.
En parallèle, on assiste à une autre histoire narrant la rencontre entre un viticulteur et son avocate. Au cours de leurs nombreuses entrevues, celui-ci va étrangement déployer l'arbre généalogique de sa famille. On découvrira fort tardivement les raisons d'un tel déballage, tout juste saisit-on que la police vient de débarquer sur ses terres afin de l'inculper, mais qu'il entend préparer sa défense en bonne et due forme.
J'aime beaucoup cette série sud-africaine pour son ambiance dépaysante et ses intrigues construites autour de personnages tenaces et imparfaits. Certes, les livres se suivent et ne se ressemblent pas. L'enquête ici est assez lente et pêche en révélations fracassantes, elle ne découle pas non plus sur un dénouement époustouflant, mais la lecture reste agréable et entraînante. On y découvre aussi un pays en butte à une ségrégation raciale et au taux de criminalité galopant. Une plongée vivifiante, malgré de nombreux états d'âme.
Points - Traduit de l’afrikaans par Georges Lory - 2017
Marie Curie prend un amant, par Irène Frain
Cette lecture a fait resurgir le souvenir fugace de vacances en Bretagne, dans une grande maison isolée, à l'orée d'une forêt, où l'on y traînait les sandales aux pieds, chassant les légendes arthuriennes, avant de s'affaler sur un transat en rotin, pour avaler des bolées de cidre, occupant mes heures creuses avec de bonnes séances de lecture, dont le fameux livre de Jacques Neirynck, La mort de Pierre Curie.
Cette brève résurgence a ainsi auréolé le roman d'Irène Frain d'un doux parfum de nostalgie, bien malgré lui, puisque j'ai plongé avec bonheur dans son histoire et l'ai appréciée encore plus sincèrement ! L'auteur nous raconte le destin d'une femme brillante, qui vit dans l'ombre de son époux, également un scientifique renommé, avec lequel elle reçoit un prix Nobel pour ses recherches sur les radiations. Après la mort tragique et brutale de celui-ci, elle plonge dans une profonde mélancolie et un chagrin immense, dont elle s'extirpe péniblement en poursuivant ses travaux sur le polonium et le radium. Elle tombe également amoureuse du jeune assistant de son mari et bascule dans une liaison passionnelle qui provoque un scandale sans précédent.
Cette femme est bien évidemment Marie Curie, l'épouse de Pierre, puis la maîtresse de Paul Langevin, sujet autour duquel la presse de l'époque s'est acharnée en livrant une campagne de diffamation pour ruiner la réputation et la carrière de la physicienne. Ce portrait romancé, mais attaché à des sources avérées, se lit comme une grande fresque palpitante et pleine d'émotions. Car Marie Curie est une véritable héroïne, pionnière de son temps, farouche et indépendante, tour à tour femme amoureuse, mère dévouée et savante ambitieuse. Originaire de Pologne, venue étudier à Paris, Marie rencontre Pierre, qu'elle épouse et avec lequel elle partage une existence bohème au 108 boulevard Kellermann, auprès d'une joyeuse colonie de passionnés, où chacun étale son érudition en buvant du thé et en mangeant du saucisson.
Ce que le roman dénonce, outre l'accumulation des procès, des duels, des articles assassins, des agressions corporelles, des lettres volées et des lapidations contre sa maison, c'est cette misogynie ambiante à l'égard d'une figure féminine supérieure et émancipée. Nous sommes à l'aube du XXe siècle et les jugements sont durs et impitoyables envers Madame Curie, alors que son amant se débat avec sa femme et sa belle-mère, sans autres préoccupations pour son image ou son plan de carrière. Terrible injustice. Marie Curie, en passe de décrocher un deuxième prix Nobel, dérange, d'où un lynchage en place publique sans autre forme de procès.
L'enquête conduite par Irène Frain est à la fois minutieuse et se lit avec grand intérêt. On se passionne pour ce sociodrame à la française, en plus de pénétrer dans les arcanes du monde des sciences et de la recherche, mais on ressent aussi une grande compassion à la lecture de son parcours de femme-courage qui a souffert les pires bassesses de façon arbitraire. Le personnage de Marie Curie n'en apparaît que plus attachant et sincèrement humain. Très bon roman !
Texte lu par Hélène Lausseur pour les éditions Sixtrid (durée : 9h 45) / Mai 2016
Avec l'accord des éditions du Seuil - Repris en poche chez Points Grands Romans, novembre 2016
La Vérité sur Anna Klein, de Thomas H. Cook
Pour avoir fortement apprécié Dernière conversation avec Lola Faye, je me faisais une joie de commencer cet autre titre de Thomas H. Cook brassant les thèmes d'espionnage, de duperie et de trahison sur fond de guerre. De plus, l'histoire se propose de nous entortiller à nouveau entre le présent (New York, 2001) et le passé (1939) alors que le narrateur, Thomas Danforth, se livre à une confession fleuve auprès d'un jeune homme attentif. Ce procédé avait préalablement su me régaler, tant il avait réussi à me tenir en haleine, à force de révélations et autres rebondissements étourdissants. Las, cette fois la recette n'a pas produit le miracle attendu et m'a un peu embrouillée avec une histoire longue et lassante.
En 1939, l'existence de Thomas Danforth est déjà gravée dans le marbre. Fiancé et héritier des affaires familiales, il est alors contacté par un ancien copain qui lui demande un service : prêter sa maison de campagne pour accueillir une jeune femme, afin de la préparer à une formation secrète pour servir un Projet d'envergure (assassiner Hitler). En rencontrant Anna Klein, Thomas est aussitôt troublé, charmé, prêt à tout quitter pour suivre ses camarades dans leur mission suicidaire. Sans surprise, le Projet va capoter et entraîner la mort de nombreux complices. Anna elle-même est portée disparue, après avoir été arrêtée et molestée par la Gestapo. Danforth refuse toute évidence et va se lancer dans une périlleuse enquête pour la retrouver.
J'avoue avoir été séduite par les prémices de l'intrigue et emballée par la construction du roman. L'auteur a tissé un voile épais autour du personnage d'Anna Klein, la femme aux mille visages. Toutes les spéculations courent à son sujet, et le mythe s'installe. Mais l'émotion manque au compteur. À aucun moment, je n'ai été touchée par la pièce sentimentale jouée par le couple de Danforth et Anna K. ni fébrile quant au sort qui leur est destiné. On ne nous laisse guère dans l'expectative. Et lorsque survient le dénouement, je n'étais plus du tout surprise. En bref, la lecture a été longue et redondante. Elle a pêché par excès d'effets de style et échoué tristement à m'embarquer sur la distance. J'attends néanmoins le prochain titre avec impatience - Sur les hauteurs du mont Crève-Coeur, disponible en octobre.
Texte lu par Marc Henri Boisse pour les éditions Sixtrid - Juin 2016 (durée : 11h 04)
Traduction de Philippe Loubat-Delranc pour les éditions Points Roman Noir
Piégés dans le Yellowstone, de C-J Box
En découvrant le corps calciné de son parrain, retrouvé dans l'incendie de son chalet, Cody Hoyt refuse les conclusions officielles qui optent pour un suicide et décide de mener son enquête contre l'avis de son collègue Larry mais aussi contre sa hiérarchie. Abattu et désabusé, notre flic replonge dans l'alcool, son attitude dépasse les bornes et entraîne une mise à pied immédiate, seulement Cody Hoyt ne baisse pas les bras et choisit de partir seul en expédition dans le parc du Yellowstone sur les traces d'un groupe de randonneurs, parmi lesquels se trouve son fils Justin. Au cours de ses investigations, des indices ont conduit à suivre cette piste car tout semble supposer qu'un tueur en série figure parmi cette équipée. Le temps est compté, d'autant plus que les cadavres vont se ramasser à la pelle ! Cette chevauchée, alimentée par le désespoir d'un homme brisé, est autant une course contre la montre qu'une chasse à l'homme captivante et rondement menée. Les chapitres racontant le périple de Cody s'entremêlent au parcours des excursionnistes, avec tout ce qu'une vie en communauté implique (des adolescentes grincheuses, leur père qui se plie en quatre pour les satisfaire, la cowgirl chargée de fouiner dans les affaires des clients pour satisfaire la curiosité de son patron, celui-ci bouscule ses habitudes en empruntant un nouveau sentier, des couples sont en perte de vitesse, d'autres se forment, des amants s'évaporent dans la nature, des chevaux aussi disparaissent, des bruits étouffés surgissent dans la nuit, peut-être des ours ou pas seulement...). Vraiment, on se croirait dans un bon western bourré de suspense car l'ambiance est admirablement dépeinte, on a les deux pieds dans l'histoire, comme une veillée autour d'un feu de camp, on se laisse embarquer dans cette aventure fourmillante de dangers et de meurtres. Et on n'est pas loin d'une ambiance à la Agatha Christie en voulant démasquer le coupable parmi les randonneurs ! C'est très excitant, le personnage du flic bourru est fidèle au rendez-vous (et sera reconduit dans un prochain livre : Au bout de la route, l'enfer). L'histoire est passionnante, à lire ou à écouter, car l'interprétation faite par Nicolas Justamon pour Sixtrid est aussi entraînante et s'accorde au bon tempo de l'intrigue (seules les voix des adolescentes sont loupées). Ce livre de C.J Box a su me faire voyager et frissonner sans prendre trop de risques. Un compromis parfait !
Texte interprété par Nicolas Justamon pour Sixtrid (durée : 12h 33) - Mars 2016
Traduit par Freddy Michalski pour les éditions du Seuil (2013) - Repris en poche chez Points Policier
Rêves oubliés, de Léonor de Récondo
Voilà un très beau roman, dont le principal sujet n'avait pas lieu de me captiver, et qui finalement a su me transporter, me toucher, m'interpeller. L'histoire raconte l'exil de la famille d'Ataï, en août 1936, alors que l'Espagne est en pleine guerre civile. Sa femme Ama, ses fils et les grands-parents quittent précipitamment leur maison pour franchir la frontière et s'installer dans les Landes françaises, rapidement rejoints par Ataï, retenu par son boulot, puis par des oncles et des cousins, qualifiés de dissidents politiques.
Le temps de l'exil, d'abord incertain, finit par s'ancrer dans leurs esprits désolés, confrontés à la difficulté de s'installer dans un pays étranger, dont on ne parle pas la langue, et où l'on pressent une hostilité grandissante à l'égard de l'autre, l'inconnu, le réfugié. Dès 1939, un vent changeant souffle sur le pays. Les cousins et les oncles sont arrêtés par la police française, envoyés dans des camps, avec interdiction de véhiculer des nouvelles. L'angoisse monte d'un cran avec l'arrivée des allemands, des jeunes soldats blonds qui crachent leur haine en dégainant leur carabine.
En marge du contexte politique, particulièrement démentiel, le livre raconte aussi le parcours d'une famille, unie comme jamais, très démonstrative et aimante. Ama écrit un journal intime, où elle confie ses espoirs, ses interrogations, où elle parle aussi de sa fausse couche, de ses peurs, de la sensation de coquille vide, de ses désillusions... Écrire un avenir dans un pays qui n'est pas le vôtre, songer aux racines, à l'éloignement, expliquer le sentiment d'exclusion, de non-appartenance à une vie, du sentiment de jouer un rôle et le désespoir du non-retour, du rêve impossible. Croix définitive.
Ce texte, écrit en toute simplicité, est imprégné d'élégance et de pudeur, il est également lu par Marjorie Frantz avec tact, sincérité et sensibilité. L'histoire rappelle qu'être ensemble, c'est aussi tout ce qui compte, dans ce roman qui apporte une autre vision de l'exil, sans tomber dans le misérabilisme ou le pathos. Le tout est généreux, authentique et émouvant. Très, très bon.
Interprété par Marjorie Frantz pour Sixtrid / Octobre 2015 (durée : 3h 32)
Repris en poche chez Points (Grands Romans, 2013)
L'Âme du chasseur, de Deon Meyer
Qu'est-ce qui pousse Thobela Mpayipheli à filer sur une moto à travers tout le pays, sans jamais ralentir son rythme, avec à ses trousses police, services secrets et journalistes ? Tout a commencé par la visite d'une jeune femme inquiète pour son père. Celui-ci, un vieil ami de Thobela, a été kidnappé par des individus qui réclament en échange un disque dur contenant de précieuses informations. Thobela a une dette à vie envers cet homme et n'a pas d'autre choix que de se rendre à Lusaka en Zambie pour le tirer d'affaire. Une décision assez lourde et pesante, puisqu'elle implique de renouer avec un passé qu'il pensait avoir rangé au fond du placard et qui le replonge dans les affres de l'angoisse d'une violence incontrôlable, alors qu'il s'était juré de ne plus jamais se salir les mains. Depuis quelques années, Thobela mène une vie tranquille, auprès de la femme qu'il aime et de son fils, et ne veut pas bousculer ce bonheur. Mais le temps presse, puisqu'il n'a que soixante-douze heures pour accomplir sa mission casse-cou. Il réfléchira plus tard aux conséquences de ses actes.
On pourrait s'attendre à une lecture frénétique et ébouriffante, comme le laisse supposer cette folle course-poursuite sur les routes du Cap et ses environs, on s'imagine sur le bolide de Thobela en train de foncer à toute berzingue pour se débarrasser du contrat sans plus attendre, avec les embûches d'usage pour pimenter l'action. Au lieu de ça, on constate que l'histoire ménage ses effets, qu'elle livre ses informations au compte-gouttes, qu'elle nous balade entre le passé et le présent, qu'elle ne néglige aucun détail et se focalise sur tous les personnages (et ils sont nombreux à courir après Thobela). Cela donne de l'ampleur à l'intrigue, malgré son rythme saccadé, le roman paraît plus touffu et profond. La lecture invite aussi à la découverte de l'Afrique du Sud, grandiose et magnifique par ses paysages, sans toutefois ignorer la réalité sur le terrain où le danger quotidien est permanent, la situation économique, sociale et politique gangrenée par la corruption et le passé historique du pays. Deon Meyer étoffe ainsi habilement son œuvre par sa richesse des intrigues et sa palette des personnages livre après livre (pas de Benny Griessel ni de Mat Joubert ici présent). Encore un bon moment de lecture.
Texte interprété par Eric Herson-Macarel, pour Sixtrid, Février 2016 (Durée : 12h 35)
Traduit par Estelle Roudet (Proteus) pour les éditions du Seuil / Repris chez Points (2006)