06/07/15

Chut ! je lis : Mandela et Nelson, de Hermann Schulz

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Quelle formidable histoire ! Pour la première fois de leur vie, la jeune équipe de Bagamoyo, en Tanzanie, va jouer contre une équipe européenne. Nelson, le capitaine, n'a plus que trois jours pour organiser la rencontre, ce qui veut dire, avoir un terrain potable, tracer des lignes, coudre des filets de but, trouver des chaussures et des maillots, mobiliser les joueurs, croiser les doigts pour que leur meilleur élément ne fasse pas faux bond à cause de ses soucis d'argent et annoncer aux adversaires que leur équipe comprend trois filles, dont Mandela, sa sœur jumelle, redoutable en défense.

La lecture déborde de charme et de fraîcheur, à suivre l'enthousiasme et la motivation des joueurs africains, qui n'ont rien dans leur vie, à part cette joie de vivre et de s'éclater avec un ballon. On devine que leur quotidien n'est pas toujours rose, et pourtant jamais on ne sombre dans la sinistrose. La peinture faite de cette petite communauté tanzanienne est dynamique et attachante. Et leur engouement est franchement communicatif ! Je regrette juste un peu que la lecture faite par Bertrand Suarez-Pazos manque de peps et d'un brin de fantaisie pour coller à la frénésie ambiante, même si cela reste agréable à l'écoute.

Musique composée et interprétée par Loy Ehrlich (kora, senza, n'goni, tanbur)

Chut ! les livres lus de l'école des loisirs / juin 2015  ♦ Illustration de couverture : Adrien Albert  ♦ Traduit de l’allemand par Domnique Kugler

Ce livre a reçu le prix Sorcières 2012 et le prix Kilalu 2013 des collégiens d'Ivry-sur-Seine.

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06/02/15

Max, de Sarah Cohen-Scali

« Ma mère, c'est l'Allemagne, et mon père, le Führer ! »

Max

Le 20 avril 1936, naît le premier bébé issu du programme Lebensborn initié par Himmler. Konrad von Kebnersol. Un modèle de perfection, selon les critères aryens en vigueur. Et il est clair que cet enfant a une très haute opinion de lui et porte un regard assez glaçant sur le monde qui l'entoure. Konrad, alias “Max” selon sa génitrice, grandit dans le culte du Führer et la certitude de son appartenance à la classe supérieure. Jamais il ne met en doute ce qu'il voit ou entend, son discours est formaté, récité avec force et conviction.

L'amour maternel, les gestes de tendresse, l'amitié, la confiance ou l'insouciance de l'enfance sont pour lui des notions abstraites et contraires à ses principes. Il a grandi dans une institution stricte, il est devenu la mascotte du programme et a toujours servi au mieux les intérêts du IIIe Reich (piéger des enfants polonais, se joindre aux rafles, démasquer les traîtres et dénoncer les mères qui refusaient le sacrifice...).

Cette lecture est saisissante, mais fait aussi effet de douche froide tant la démonstration de l'embrigadement est rendue à la perfection, via la voix d'un enfant, même bébé, tellement fier d'être un rouage du système, dont il admire les codes et leurs bien-fondés. C'est parfois dur à encaisser, raconté sans état d'âme, mais le procédé est remarquable. On reste scotché aux pages du livre, tiraillé entre la fascination et l'horreur. C'est très bien écrit, exécuté avec intelligence et à-propos, également richement documenté.

On en prend peut-être plein la tête, mais c'est une lecture indispensable, à lire sans limite d'âge.

Gallimard jeunesse, coll. Scripto, mai 2012 

Prix des Dévoreurs de livres 2014, pour les collégiens de 3ème ♦ Prix Sorcières Romans Ado 2013

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03/02/15

Le ciel nous appartient, de Katherine Rundell

« Sophie eut du mal à tenir en place. Elle mordilla le bout de sa natte. Elle remua les orteils en tous sens. Elle s'interdit de se ronger l'ongle du pouce, puis se désobéit. Finalement, elle avait presque rejoint le pays des songes quand trois violons, un violoncelle et un alto entrèrent en scène, escortés par leurs musiciens.
Ils se mirent à jouer, et ce fut une musique différente. Plus douce, et plus sauvage aussi. Sophie se redressa convenablement, puis s'avança tellement sur son siège qu'à peine un centimètre de son postérieur le touchait encore. C'était si beau qu'elle en avait le souffle coupé. Si la musique avait émis une lumière, pensa Sophie, alors cette musique-là aurait été éblouissante. C'était comme si toutes les voix de tous les chœurs de la ville résonnaient ensemble dans une seule et unique mélodie. Elle eut l'étrange sensation que son cœur se gonflait dans sa poitrine.
- C'est comme huit mille oiseaux, Charles ! Charles ! Tu ne trouves pas que c'est comme huit mille oiseaux ?
- Oui ! Mais chut, Sophie.
La mélodie s'accéléra, et le cœur de Sophie battit la mesure. C'était famillier et nouveau à la fois. Ça lui chatouillait les doigts et les orteils.
La fillette n'arrivait plus à tenir ses jambes tranquilles. Elle s'agenouilla sur son siège. Puis, au bout d'un moment, elle se risqua à un murmure : Charles ? Écoute ! Le violoncelle ! Il chante, Charles ! 
Quand le morceau prit fin, elle applaudit jusqu'à ce que tous les autres spectateurs aient cessé d'applaudir et jusqu'à ce que ses mains brûlent et se couvrent de taches rouges. Elle applaudit jusqu'à ce que tous les regards soient tournés vers elle, la petite fille aux cheveux de la couleur des éclairs, et dont les yeux et les souliers illuminaient toute la deuxième rangée.
Il y avait un je-ne-sais-quoi dans cette musique qui parlait à Sophie.
- J'ai l'impression, expliqua-t-elle à Charles, d'être chez moi. Tu vois ce que je veux dire ? C'est comme une bouffée d'air pur. »

Le ciel nous appartient

Sophie a survécu au naufrage d'un paquebot, après avoir été découverte dans un étui à violoncelle flottant au beau milieu de la Manche. Charles Maxim, un doux rêveur, a pris l'enfant sous son aile, lui promettant une existence harmonieuse et libre de toute contrainte. Ce ne sera pas du goût des services sociaux, qui vont établir que la demoiselle, à l'âge de 12 ans, ne peut plus partager le même toit qu'un célibataire du sexe opposé.

Charles et Sophie plient bagage pour la France où ils espèrent retrouver la trace de la mère de la jeune fille. Depuis toujours, elle est convaincue que celle-ci existe et l'attend quelque part. Charles n'a jamais prétendu le contraire, sans totalement l'encourager dans ses fantasmes. Après tout, « you should never ignore a possible » ! La suite de l'aventure est tout aussi stupéfiante, fantasque et exubérante.

Car cette lecture fait du pied à votre âme d'enfant, elle lui redonne du souffle et un formidable élan qui vous fait gravir des sommets (ceux des toits de Paris !). L'ambiance est magique, pleine de tendresse, de poésie, de fougue et d'espoir. Sophie et Charles sont deux personnages enchanteurs, elle amoureuse des livres et maladroite, lui “parlant anglais aux personnes, français aux chats et latin aux oiseaux”. Quel beau duo !

Leur cavale, menée sous le signe de l'espoir, ponctuée de jolies rencontres (Matteo et sa bande de danseurs du ciel), offre un plaisir rare d'évasion et de fraîcheur. À déguster avec un sourire béat aux lèvres. 

éditions des Grandes Personnes, août 2014 ♦ traduit par Emmanuelle Ghez (Rooftoppers) ♦  

Prix Sorcières Romans Juniors 2015

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