“Avoir dix-sept ans et ne pas avoir peur des mots.” (Contre courants)
Sur les conseils de sa psy, Jérôme, dix-sept ans, tient un journal pour y raconter tout ce qu'il lui passe par la tête. Cela va de ses rapports conflictuels avec son frère aîné ou avec son père, du silence de sa mère, spectatrice impuissante de la débâcle familiale, de son goût des mots et des livres, de son obsession pour une fille croisée dans la rue, surnommée Alcyone, de sa passion pour le plongeon, de sa solitude, son ennui, son errance...
Jérôme est un adolescent paumé, complètement en rade, qui se défoule à coup de mots et de formules lapidaires, à défaut de sortir ses poings pour calmer son entourage. Enfin, c'est plus que ça, c'est compliqué aussi, c'est un engrenage infernal, mais puissant, atterrant, inimaginable. La force du texte vient justement de la véhémence du garçon dans sa manière de s'exprimer, façon poète maudit, à la Rimbaud.
Qu'est-ce que ça cogne ! qu'est-ce que ça colle aux doigts et au cœur ! Le texte aussi est violent, frappant, percutant. Mais surtout, il est surprenant, vers la fin, il vous réserve une sacrée claque... J'ai reconsidéré toute ma lecture, songeuse, admirative, j'ai frissonné et j'ai refermé tout ça en m'ébrouant. Très belle lecture coup-de-poing !
Contre courants, par Richard Couaillet (Actes Sud junior, 2011)
Teaser Tuesday #48
Il m'a dit : “Tu vas aller faire un tour chez les fous, ça va t'apprendre à vivre !”
Parce que les spécialistes sont là pour ça. Ils ont la formation pour formater, en douceur et en cachets aussi. La chimie des molécules pour rétablir les connexions, le droit chemin des sentiments. Alors il m'a dit : “Va chez le psy !” En consultation pour ado en perdition. Ado paumé, à la ramasse, ado en panne, panne de sourire et panne d'amour. Ado cliché, ado fourre-tout.
Temps regretté des belles croisades pour occuper les désoeuvrés, pour leur donner un idéal. Un sang bien rouge et bien impie à faire couler, ça vous occupe, très loin du diable et ses orgies.
Il paraîtrait qu'on a perdu le chant du monde. Que moi aussi, comme beaucoup d'autres. Alors ma psy m'a suggéré de prendre ma lyre pour faire pleurer les pierres, de me fendre le coeur à coups de hache pour épancher ma bile toute noire, pour retrouver le chant colchique dans les prés, parfum pour papier-cul. Elle veut du vrai, de la tripaille bien étalée, parce qu'écrire ça fait du bien, tout le monde le dit, comme un lavement, un bon “clystère d'extase”. Ça, c'est Rimbaud ; pas de moi. Trop beau.
Contre courants, par Richard Couaillet (Actes Sud junior, 2011)
Teaser Tuesday #9
- Ils ont remis ça. On n'a rien de mieux à faire maintenant que d'aller se coucher. En tout cas, moi, j'y vais, me dit Matthieu en traversant le couloir.
Il a raison, ils n'ont même pas allumé de feu dans la cheminée comme ils nous l'avaient promis, et comme ils le font souvent, le vendredi soir.
Je suis au bout du couloir, devant la glace accrochée contre la porte des toilettes. J'y reconnais le clown que notre père a fabriqué et qui trône sur la petite table verte, et, suspendu au mur, le tableau que notre mère aime bien, il s'appelle L'attente et m'a toujours plu. Il montre une femme accoudée à sa fenêtre donnant sur un canal à Venise.
Matthieu est parti se coucher sans se laver, je ne me laverai pas non plus. Dans la glace, j'aperçois maman qui avale ses comprimés. Oui, il y a encore eu de l'eau dans le gaz avec papa.
On n'est pas des oiseaux - Gisèle Bienne
Vous vous souvenez de ce que vous faisiez, vous, pas plus tard que lundi dernier, vers sept heures trente-deux du matin ?
Eh bien moi, oui. Sans imaginer une seconde dans quoi je m'engageais (pauvre andouille que j'étais), je venais tout simplement d'ouvrir les yeux sur le premier jour de la semaine du paon.
A la recherche du paon perdu - Angélique Villeneuve
Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé quand j'avais treize ans. C'est une chose que je n'oublierai jamais, à croire que cette histoire m'a pris au collet. Cela peut paraître étrange, mais je sens encore ses mains sur moi, et cette impression est si précise que je suis même capable de dire qu'elles sont gantées.
Tant que cette histoire restera secrète, elle me retiendra prisonnier. Aujourd'hui, en écrivant, je commence à éprouver un léger soulagement. Les "mains" de l'histoire sont toujours sur moi, mais un "doigt" a relâché sa pression, comme pour me promettre que, lorsque j'aurai terminé, je serai libre.
Tout a commencé par une odeur de purée de pommes de terre.
Le livre sauvage - Juan Villoro
Sur l'écran, comme dans ma tête, les images sont mélangées. Depuis la surface du volcan, s'écoule un long magma incandescent. J'ouvre un oeil et défilent tous azimuts des cargos assommés de marchandises, des manchots empereurs et des astronautes.
Je tends l'oreille mais les mots n'ont pas de sens.
C'est une bouillie ininterrompue.
Je change de chaîne, et déjà ils en parlent.
Ils n'ont qu'un mot à la bouche : l'accident.
Entre deux rafales - Arnaud Tiercelin
Il m'a dit : "Tu vas aller faire un tour chez les fous, ça va t'apprendre à vivre !"
Parce que les spécialistes sont là pour ça. Ils ont la formation pour formater, en douceur et en cachets aussi. La chimie des molécules pour rétablir les connexions, le droit chemin des sentiments. Alors il m'a dit : "Va chez le psy !" En consultation pour ado en perdition. Ado paumé, à la ramasse, ado en panne, panne de sourire et panne d'amour. Ado cliché, ado fourre-tout.
Contre courants - Richard Couaillet