03/03/17

La chair, de Rosa Montero

la chairRongée par la jalousie de croiser son amant et sa jeune épouse enceinte à l'opéra, Soledad s'offre les services d'un escort pour l'exhiber à son bras. Adam est jeune, beau, sexy. Il a la trentaine d'années, parle l'espagnol avec un accent russe et produit son effet en société. Soledad est comblée. À soixante ans, Soledad porte un soin attentif à sa silhouette et à son allure pour ne jamais paraître son âge. Elle refuse le temps qui passe, ne conçoit pas de mener une vie de couple ordinaire et avoue sans complexe préférer les hommes jeunes et beaux. Soledad aime l'amour et la passion, c'est son carburant. Jamais la solitude n'a eu d'emprise sur elle. Soledad s'épanouit dans son travail - elle organise des expositions insolites et a acquis une solide réputation dans son domaine, même si cela lui demande beaucoup d'énergie, de la créativité et du renouvellement perpétuel. Soucieuse de monter son nouveau projet sur les écrivains maudits, Soledad est pour la première fois confrontée à une concurrence farouche et déloyale (une archictecte plus jeune et ambitieuse, qui empiète sur son territoire). Elle n'entend pas s'y soumettre et rage de devoir prouver ses compétences. Insomniaque, Soledad ressasse les nombreuses références littéraires pour alimenter son expo (Burroughs, Philip K. Dick, Thomas Mann, Maupassant, etc.) tout en notant que son corps et sa tête sont entièrement accaparés par la passion naissante qu'exerce Adam sur elle.

Quel beau roman ! J'avais à peine lu les premières pages que j'étais déjà complètement envoûtée par l'écriture de Rosa Montero, touchée par le personnage de Soledad et intriguée par sa relation avec Adam. Une relation forcément toxique et obsessionnelle, mais décrite avec ludicité et réalisme. Soledad réprouve le rapport mercantile de son histoire avec Adam, mais cherche à entrevoir la sincérité du jeune homme dans ses gestes et ses paroles. Elle s'accroche à de douces illusions, vaguement désabusée, mais refuse la fatalité. Le roman évoque admirablement le combat de cette femme de soixante ans, seule et indépendante, qui résiste aux idéaux et à la morale ambiante. C'est un parcours non sans heurt, car au fil des pages on découvre une héroïne fragile et à fleur de peau, en lutte contre le temps et le destin. C'est à la fois touchant, livré sans fard, sans tricherie, mais c'est aussi truffé d'ironie, de dignité et de désir farouche. J'ai aimé la sensualité qui découle du récit, tout en élégance, sans détails sordides ou graveleux. De quoi retoquer certaines productions actuelles de très mauvais goût. Ici, Rosa Montero parle du corps, d'envie et d'appétit charnel avec raffinement et lyrisme (très belle traduction de Myriam Chirousse, au passage). C'est un roman d'une grande pudeur, et en même temps passionnant et authentique. Une lecture forte et vibrante d'émotions, pleinement enthousiasmante. 

L'auteur aussi a de l'humour, puisqu'elle se met en scène dans son propre roman, comme étant une journaliste “raz-de-marée” qui s'habille chez Zara et porte des Dr. Martens avec des roses brodées “quand bien même elle voulait s'habiller comme si elle était une jeunette” (p. 142). ☺

Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse pour les éditions Métailié, Janvier 2017

 

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La folle du logis, de Rosa Montero

la folle du logisÀ la base, Rosa Montero envisageait d'écrire un livre sur la littérature, la fiction et le métier d'écrivain en reconnaissant que cela manquait d'audace et d'originalité, mais c'est tout naturellement qu'elle a emprunté le chemin de la digression pour évoquer l'amour, la passion, l'enfance, les souvenirs, le féminisme, la féminité, la lecture, l'écriture, et forcément l'imagination, cette fameuse “folle du logis” selon Sainte Thérèse d'Avila.
Elle nous offre ainsi un ouvrage riche de réflexions pertinentes, cocasses et ironiques sur la vie des écrivains et sur ses propres expériences (plus ou moins fondées, comme le rappelle l'auteur en post-scriptum). Ainsi, ses nombreuses anecdotes sur son aventure avec M., l'acteur européen dont la carrière hollywoodienne est pleine ascension, sont fort probablement à prendre avec des pincettes, ou mieux vaut les recadrer dans un ensemble romanesque. Car Rosa Montero est bavarde, mais se refuse aux confessions sur l'oreiller. 
À l'inverse, les caprices de figures littéraires comme Goethe, Kipling, Philip K. Dick, Stevenson, Capote ou Calvino alimentent copieusement son texte et viennent éclairer ses théories sur les névroses et autres faiblesses de ses comparses, écrivains maudits ou vaniteux, éperdus de reconnaissance, persuadés d'être des éternels incompris, se débattant avec leurs démons et leurs ambitions, avides de compliments et pourtant méfiants envers les coups d'encensoir. En somme, c'est la jungle hostile et sauvage. 
C'est donc dans ce joyeux chaos d'idées, entre grandeur et décadence, que Rosa Montero trace son récit, sans prétention, mais avec un grain de lucidité féroce et jubilatoire. L'auteur peste contre le machisme ambiant, la jalousie et l'incompréhension, notamment à l'égard des épouses d'écrivains, dont Fanny Vandegrift, femme indépendante et farouche, qui bousculait Stevenson dans son travail en le forçant à revoir ses copies, mais qu'on accusait d'être une vieille sorcière, ou Sonia Tolstoï qu'on prétendait dérangée alors que c'était son mari la brute du foyer. 
L'écrivain est un être tourmenté, car écrire est une souffrance. Cela implique de se livrer aux autres, trahir son intimité, se dévoiler et se rendre vulnérable. Mais inventer demande aussi de l'énergie et de la désinhibition, d'où le casse-tête interminable qui se joue dans leur esprit dément ou limite schizophrène. Le rapprochement entre l'écriture, l'imagination et la folie coule donc de source. Ce sont trois pôles intrinsèquement liés, parmi lesquels cheminent les pensées de Rosa Montero en une démonstration de longue haleine. 
Au final, écrire demande aussi un engagement spirituel. S'extirper de sa coquille pour se confronter au monde, puis retourner dans sa “cellule” en toute humilité et accepter l'idée de la mort, ce contre quoi les écrivains lutteraient avec acharnement... Bref, ce petit bouquin remis au goût du jour dans un format poche (1ère édition en 2004) est savoureux et croustillant pour ses nombreuses interpellations et sa matière grise qui invite à cogiter ! L'humour de Rosa Montero est toujours aussi jouissif, son intelligence, sa verve, son ironie, ses caprices et ses mascarades ne sont pas non plus en reste. Un auteur à découvrir, si ce n'est pas déjà fait !  

 Traduit de l'espagnol par Bertille Hausberg [ La Loca de la Casa]

Éditions Métailié, coll. Suites, 2017

« Comment peut-on vivre sans lecture ? Cesser d'écrire, c'est peut-être la folie, le chaos, la souffrance mais cesser de lire, c'est la mort instantanée. Un monde privé de livres est un monde sans atmosphère, comme la planète Mars. Un univers impossible, inhabitable. Lire, c'est vivre une autre vie. »

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10/02/16

Vu, lu & écouté, mon (bref) avis

Pietra Viva

Pietra Viva, par Léonor de Récondo

Interprété par Lazare Herson Macarel

 Sixtrid / Juin 2015 ♦ Durée : 3h 54mn

RÉSUMÉ DU LIVRE AUDIO

Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociant, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre. Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son œuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l’affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu’enfin il s’abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d’une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son œuvre. Il retrouvera désormais ceux qu’il a aimés dans la matière vive du marbre.

MON (BREF) AVIS

Poétique et bouleversant, ce roman, à l'écriture trop maniérée, ne m'a pas du tout séduite. L'œuvre, de courte durée, paraît cependant bien longue et l'histoire a fini par me lasser. Je n'ai pas réussi à embarquer à bord, malgré une lecture convaincante de Lazare Herson Macarel.

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L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, par Rosa Montero

Interprété par Hélène Lausseur

Sixtrid / Octobre 2015 ♦ Durée : 5h 14mn 

RÉSUMÉ DU LIVRE AUDIO

Chargée d’écrire une préface pour l’extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montero s’est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l’analyse de notre époque et l’évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l’homme aimé qu’elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l’ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l’existence avec plénitude et légèreté. Vivant, libre, original, ce texte étonnant, plein de souvenirs, d’anecdotes et d’amitiés nous plonge dans le plaisir primaire qu’apporte une bonne histoire. Un récit sincère, émouvant, captivant dès ses premières pages. Le lecteur sent, comme toujours avec la vraie littérature, qu’il a été écrit pour lui. 

MON (BREF) AVIS 

C'est à la base un bel hommage à Marie Curie, qui finit en digression pour dévoiler le témoignage sincère et émouvant d'une femme endeuillée. Intime et très personnel, au risque de paraître un tantinet verbeux et trop affecté, ce texte ne m'a pas totalement touchée, même s'il est interprété avec beaucoup de talent et de pudeur par Hélène Lausseur.

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20/09/07

La fille du cannibale ~ Rosa Montero

L'histoire folle de Lucia commence dans un aéroport, à la veille d'un embarquement pour Vienne, afin d'y fêter la nouvelle année. Lucia et Ramon sont mariés depuis dix ans, la flamme est éteinte depuis un bail, et c'est d'un regard goguenard et agacé qu'elle suit son mari aller aux toilettes quelques minutes avant l'appel. Or, les minutes passent et Ramon ne revient pas. En clair : il a disparu ! Paniquée, proche de la démence, n'y comprenant plus rien, Lucia va apprendre que son époux a été kidnappé par un mouvement indépendant, qui réclame une forte somme d'argent en échange de sa libération. La police est impuissante, Lucia prend en charge d'aller sur le terrain pour débusquer la vérité, mettre la main sur Ramon et se sortir de ce cauchemar. Elle sera secondée par son voisin Felix Roble, un vieillard de 80 ans, ancien pistolero, anarchiste révolutionnaire et torero, et aussi par Adrian, jeune homme de 21 ans, paumé, mystérieux mais incroyablement séduisant. Lucia a le coeur qui s'emballe, la tête fiévreuse et les sens en alerte. En s'embarquant dans cette quête, cette femme de quarante ans n'imaginait pas qu'elle allait parcourir un long, douloureux et irréversible chemin.

Lucia va croiser de vilains truands, négocier une rançon bien mal acquise, jouer un rôle auprès de la police, prétendre être ce qu'elle n'est pas. Mais ses compagnons sont de fidèles acolytes qui vont la guider et l'aider à garder la tête hors de l'eau, que ce soit par la confession des souvenirs de Felix, autrement dit Fortuna, ou par la séduction dangereuse d'Adrian. Dans le fond, ce kidnapping va permettre à Lucia de se dévoiler la face, de fouiller sa mémoire pour sortir de l'enfance et des images de ses parents. « La fille du Cannibale » est un titre qui fait peur, mais le cannibale en question n'est qu'un acteur de second plan. Son anthropophagie est plus exactement une voracité autrement inquiétante : il dévore ses femmes d'un amour totalitaire, il les mange à petits feux, de sorte qu'elles lui sont acquises, dévouées, bafouées. Mais le Père-Cannibale est, au contraire, un homme différent du souvenir que Lucia a conservé. En voulant retrouver Ramon, Lucia va en fin de compte se trouver elle-même, dans le dédale de ses perditions, de sa crise de la quarantaine, dans le souci de ne plus plaire, de vieillir, de perdre la beauté, d'échapper au temps qui passe.

« La fille du Cannibale » est en somme un roman formidable, à la fois initiatique, policier, drôle et pertinent. Son personnage de Lucia Romero, écrivain de contes pour enfants, est un drôle de bout de femme, attachante et lucide, accrochée à des illusions, des faux-semblants. Son histoire est captivante, palpitante, parfois angoissante. L'auteur Rosa Montero est habile dans son intrigue, dans le portrait de ses personnages et dans la véracité de décrire l'époque cahotique de l'Espagne du 20ème siècle, et le monde taurin. En un mot : adrénaline assurée !

septembre 2006

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07/10/06

La fille du Cannibale - Rosa Montero

fille_du_cannibaleL'histoire folle de Lucia commence dans un aéroport, à la veille d'un embarquement pour Vienne, afin d'y fêter la nouvelle année. Lucia et Ramon sont mariés depuis dix ans, la flamme est éteinte depuis un bail, et c'est d'un regard goguenard et agacé qu'elle suit son mari aller aux toilettes quelques minutes avant l'appel. Or, les minutes passent et Ramon ne revient pas. En clair : il a disparu ! Paniquée, proche de la démence, n'y comprenant plus rien, Lucia va apprendre que son époux a été kidnappé par un mouvement indépendant, qui réclame une forte somme d'argent en échange de sa libération. La police est impuissante, Lucia prend en charge d'aller sur le terrain pour débusquer la vérité, mettre la main sur Ramon et se sortir de ce cauchemar. Elle sera secondée par son voisin Felix Roble, un vieillard de 80 ans, ancien pistolero, anarchiste révolutionnaire et torero, et aussi par Adrian, jeune homme de 21 ans, paumé, mystérieux mais incroyablement séduisant. Lucia a le coeur qui s'emballe, la tête fiévreuse et les sens en alerte. En s'embarquant dans cette quête, cette femme de quarante ans n'imaginait pas qu'elle allait parcourir un long, douloureux et irréversible chemin.

Lucia va croiser de vilains truands, négocier une rançon bien mal acquise, jouer un rôle auprès de la police, prétendre être ce qu'elle n'est pas. Mais ses compagnons sont de fidèles acolytes qui vont la guider et l'aider à garder la tête hors de l'eau, que ce soit par la confession des souvenirs de Felix, autrement dit Fortuna, ou par la séduction dangereuse d'Adrian. Dans le fond, ce kidnapping va permettre à Lucia de se dévoiler la face, de fouiller sa mémoire pour sortir de l'enfance et des images de ses parents. « La fille du Cannibale » est un titre qui fait peur, mais le cannibale en question n'est qu'un acteur de second plan. Son anthropophagie est plus exactement une voracité autrement inquiétante : il dévore ses femmes d'un amour totalitaire, il les mange à petits feux, de sorte qu'elles lui sont acquises, dévouées, bafouées. Mais le Père-Cannibale est, au contraire, un homme différent du souvenir que Lucia a conservé. En voulant retrouver Ramon, Lucia va en fin de compte se trouver elle-même, dans le dédale de ses perditions, de sa crise de la quarantaine, dans le souci de ne plus plaire, de vieillir, de perdre la beauté, d'échapper au temps qui passe.

« La fille du Cannibale » est en somme un roman formidable, à la fois initiatique, policier, drôle et pertinent. Son personnage de Lucia Romero, écrivain de contes pour enfants, est un drôle de bout de femme, attachante et lucide, accrochée à des illusions, des faux-semblants. Son histoire est captivante, palpitante, parfois angoissante. L'auteur Rosa Montero est habile dans son intrigue, dans le portrait de ses personnages et dans la véracité de décrire l'époque cahotique de l'Espagne du 20ème siècle, et le monde taurin.

Métailié

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