Simple comme bonjour : Domitille et Amaury chantent Jacques Prévert
Pour rendre hommage aux 40 ans de la mort du poète Jacques Prévert, Domitille et Amaury ont répondu à l'invitation de sa petite-fille, Eugénie Bachelot-Prévert, qui souhaitait consacrer un album familial célébrant l'œuvre de celui-ci.
Au programme, ce sont ainsi 14 chansons (dont 9 reprises et 5 compositions originales) qui dévoilent l'univers à la fois sensible et engagé de l'auteur. On retrouve des titres aussi bien connus que Le Cancre, Les Feuilles mortes, Page d'écriture... que d'autres qui évoquent l'enfance, l'imaginaire, l'amour, l'amitié, la nature (Tournesol, La Fleur, Chanson Song...). Ce sont autant de poèmes qui appartiennent à la mémoire collective ou qui sont remis au goût du jour de manière un peu plus ludique et plus agréable (car apprendre par cœur la poésie dans un manuel scolaire est, ma foi, assez rébarbatif).
Le disque, entre pop et jazz, est donc empreint de swing et nous invite à rêver les yeux ouverts en feuilletant les pages de l'album illustré par Séverin Millet. Son univers coloré et lyrique est idéal pour prolonger la féerie tout en finesse ! Ainsi, la lecture s'apprécie de plusieurs façons, par son joli emballage, par son contenu au graphisme éclatant et par son disque entraînant qui invite à un voyage poétique étonnant. ☺
Menu : Tant bien que mal ; Chanson bim-bam ; Les animaux ont des ennuis ; Inventaire ; Le Cancre ; Soyez polis ; Les Feuilles mortes ; Tournesol ; Chant song ; La Fleur ; Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied ; Page d'écriture ; Pour faire le portrait d'un oiseau ; Simple comme bonjour.
Et un extrait du scénario original des «Enfants du paradis».
Gallimard Jeunesse - Collection: Hors Série Musique / Octobre 2016
Illustrateur de couverture : Séverin Millet
Les Ombres de Kerohan, de N. M. Zimmermann
Quel superbe roman, absolument captivant, prompt à vous arracher de votre réalité pour vous plonger dans une ambiance gothique, où les fantômes pullulent dans les recoins d'un manoir aux mille secrets. Les décors sont somptueux, rien que la couverture est déjà une invitation à la découverte, et le contenu du livre est à la hauteur des promesses vendues ! Je vous le dis, cette lecture est aussi prodigieuse qu'époustouflante.
Deux jeunes enfants, Viola et son frère Sebastian, sont envoyés chez leur oncle en Bretagne pendant que leur père file à Londres pour des affaires urgentes. C'est avec le cœur lourd et leurs vêtements de deuil qu'ils débarquent à Kerohan dans la belle demeure d'un homme dont ils ignorent tout. Deux mois plus tôt, Viola et Sebastian ont perdu leur maman, maintenant leur père file à l'anglaise et ils n'ignorent pas que celui-ci a forcé la main de leur oncle pour les accueillir. À Kerohan, ils rencontrent la gouvernante revêche, Mme Lebrun, et l'énigmatique docteur Vesper, qui leur font jurer de ne pas faire de bruit dans les couloirs et de fermer leurs portes en restant sagement dans leurs chambres. Viola et Sebastian sont d'abord trop épuisés pour se formaliser des consignes et s'endorment aussitôt après avoir avalé leur décoction pour la nuit (un bon vin chaud). Mais les jours suivants leur renvoient une réalité assez sinistre de leur situation : un oncle débordé par son travail, une tante et une cousine à la santé fragile, un étrange docteur omniprésent, des employés de cuisine isolés au fond du jardin, des grilles closes, l'interdiction absolue de sortir du domaine... La nuit, Sebastian est obnubilé par un korrigan. Des notes de piano s'échappent d'un salon abandonné. Et une silhouette rôde aux alentours du manoir.
Hello, hello. Vous pensiez vous promener entre les pages d'un livre bien gentillet, où planeraient juste quelques frissons pour la forme, erreur ! Ce roman est justement loin d'être une simple promenade de santé et vous réserve une lente, lente plongée dans un univers fantastique désuet mais prégnant. La séduction opère immédiatement, le charme de l'ancien, le climat lourd et inquiétant, les apparitions et les personnages ténébreux font de l'ensemble un écrin précieux et raffiné. La lecture est franchement saisissante. On se prête à rêver d'une échappée en terre bretonne, avec ses légendes et son folklore fantastique (l'Ankou) qui filent les jetons à la nuit tombée.
Superbe mise en place pour une lecture qui ravira les amateurs de phénomènes étranges et inexpliqués ! Une lecture qui fait forte impression. J'ai beaucoup aimé !
L'école des Loisirs, Grand Format - Février 2016
Illustration de couverture : Séverin Millet
L'Empire des Auras, de Nadia Coste
En 2059, la société est compartimentée selon la couleur de votre aura : les bleus ont tous les privilèges, jugés supérieurs aux rouges, lesquels sont décrétés dangereux et vivent en marge du système. Chloé entre pour la première fois dans un lycée mixte (sa famille n'a plus les moyens de lui payer un lycée d'élite depuis que son père est au chômage). Ce mélange des classes la terrorise, d'autant plus que l'usage des téléphones est strictement interdit car le directeur encourage les uns et les autres à se côtoyer au-delà de leurs préjugés. Mais pour une jeune fille éduquée selon des principes strictes, cette pédagogie est un choc. Pourtant, en cours, elle se lie d'amitié avec une jolie métisse, Jodie, et deux garçons fanfarons, Florent et Ben. Fidèle à sa réputation de coureur de jupons, celui-ci convainc Chloé de sortir en douce de chez elle pour flirter au parc. Toutes ces nouvelles émotions étourdissent notre demoiselle, mais auront aussi un impact sur son aura et sa relation avec ses parents.
Ce roman incite à la réflexion en traitant de la différence qui divise une société et la fragilise, pendant que les hautes instances abusent de leurs pouvoirs pour creuser les écarts. Ce sujet est hélas toujours dans l'air du temps. Nadia Coste s'adresse aux plus jeunes en installant son histoire dans un contexte familier (l'école, les camarades, l'amitié et l'amour). On sent à ce sujet un fourmillement de sensations, des bisous très poussés, des mains qui s'égarent, des corps qui se touchent et qui se cherchent... J'avoue avoir été surprise par tant de précipitation et de hardiesse. Nos jeunes sont assoiffés et ont des pulsions foudroyantes à assouvir. Je ne m'y attendais pas du tout. ^-^ Mais l'histoire est entraînante, le contexte et les enjeux sont progressivement établis, l'action ne manque pas et le bouquin se lit tout seul. Très belle couverture de Séverin Millet.
Seuil Jeunesse, Avril 2016 ♦ ill. de couverture : Séverin Millet
Les Trombines, de Séverin Millet
Attention, livre cartonné détonnant et drôlissime ! On connaît Séverin Millet pour ses nombreuses illustrations de couverture, mais aussi pour ses albums d'auteur, comme En route ! ou Ma vie de fourmi. Il revient avec cette idée de méli-mélo déjà exploitée dans un précédent livre, au titre judicieux, Méli-mélons.
Avec Les Trombines, demandez le programme ! Pirate à cravate, plongeur flûtiste ou princesse à moustache ? Ne cherchez plus, c'est ici.
On trouve, raisonnablement, 16 trombines aux lignes épurées, et déraisonnablement, pas moins de 4 096 figures insolites, si l'on décide de faire un sacré micmac entre le haut, le milieu et le bas des visages.
Son format à spirale le rend aussi sympathique et original, en plus de son graphisme aux couleurs vives, sur fond orange. On a plus qu'envie de le tripatouiller et de se raconter plein d'histoires abracadabrantes. Encore une très bonne pioche !
Seuil jeunesse / juin 2015
Coup de Meltem de Sigrid Baffert
“ Ballet de fourmis dans mes doigts et mes chevilles. Sensation de marcher sur un paquebot. Saletés de pilules. Je dois avoir l'air d'être tombé d'une nuit blanche. Mes yeux glissent sur ses deux petits seins au garde-à-vous sous son pull. J'essaie de fixer mon attention sur l'abeille joufflue qui rit sur son paquet de céréales. Mais là, soudain, face à ce visage, ces talons de cigogne et ses seins sublimes, je réalise que je ne ressens plus rien.
Black out.
Je cherche mon désir dans ses yeux verts, ses cheveux, sur sur hanches. Plus de tectonique des sens, de molécules en désordre, de promesses folles. Est-ce que les sentiments peuvent claquer comme un vieil élastique ou se vitrifier d'un coup ? Il y a quelques semaines, j'aurais donné mon sang pour un regard de Lilia, et aujourd'hui, je donnerais ce qui reste pour ne pas être là, devant elle. Devant elle, si pleine de vie et de futur, si debout devant, si haut perchée sur ses talons, tendue vers un avenir où je ne me vois plus. D'ailleurs, pourquoi s'encombrerait-elle d'un mec au cœur de verre ?
Bon sang, que t'arrive-t-il, Virgil ? ”
À la suite d'une compétition de natation, Virgil fait un malaise. Trop de stress ou un entraînement trop intensif ? Point du tout. Le garçon souffre de la maladie du cœur de verre. Une insuffisance cardiaque héréditaire. Ce problème révèle alors qu'il est né d'une insémination artificielle, que son père n'est pas son père. Un secret qui dure depuis seize ans. L'adolescent, sous le choc, est en colère contre ses parents. Par défi, il se lance alors à la recherche de son géniteur, coupable d'avoir légué à des milliers d'autres enfants sa triste maladie, mais se heurte aux failles d'un système. Incidemment, cela remet en question son identité, le voilà un parmi tous... dans le flou, dans le brouillard. Une entité inconnue, avec probablement des frères et des sœurs parsemés dans le monde. Cela fragilise son rapport avec les autres, il est refroidi avec les filles, n'ose plus se lancer vers les rencontres, laisser voguer ses sentiments. Il est pétri de doutes. À force d'acharnement, ses recherches seront fructueuses, le garçon va mobiliser les troupes et jouer au Zorro. Un combat admirable ! Car, le sujet est sensible, mais abordé avec délicatesse, et parvient à transcrire les émotions contrastées qui vont naître chez les jeunes héros de cette histoire. Cela se lit vite et bien, sur un rythme agréable et entraînant. Sigrid Baffert a parfaitement maîtrisé son sujet (la PMA et ses conséquences), sans jamais soulever un débordement passionnel dans les interrogations qu'il suscite. C'est un texte intelligent, qui jamais ne juge ou ne sermonne, avec des personnages attachants et une histoire très romancée ! ... Jolie couverture, au passage.
La Joie de Lire, co. Encrage, avril 2014 ♦ couverture illustrée par Séverin Millet
Yankov, par Rachel Hausfater
« J'ai tant de haine à jeter au monde, tant de chagrin à étouffer, tant de vengeances à commencer ! »
Yankov est un enfant rescapé du camp de Buchenwald. Libéré par des soldats noirs américains, il est envoyé, avec l'uniforme des jeunesses Hitlériennes sur le dos (quelle ironie !), dans un château où se trouvent d'autres orphelins désabusés et vindicatifs. Tous sont des enfants brisés, devenus « des bêtes, des brutes, des bandits ». Ils se tapent dessus, se volent entre eux, ils ne savent plus communiquer, n'ont plus d'identité, ils se jettent sur la nourriture, dévorent tout ce qu'ils peuvent, mais ne se sentent jamais rassasiés, et bien évidemment ils ne croient plus en rien, ni personne. Et puis, l'arrivée d'une nouvelle directrice va enfin bousculer leur vie, à force de patience elle va réussir à les apprivoiser et leur rendre ce qu'ils ont perdu : leur enfance. Car ce tout petit roman d'à peine 150 pages ne paie pas de mine, mais il est extrêmement bouleversant ! Rachel Hausfater nous raconte l'histoire authentique de ces enfants à qui on a volé cette enfance sacrée et qui doivent réapprendre à redevenir eux-mêmes, libres et insouciants, après avoir vécu l'horreur. L'écriture est de toute beauté. Cela cogne dur et fort, ça vous noue parfois l'estomac. C'est un texte admirable, poignant, à recommander aux enfants, petits et grands, c'est une lecture indispensable !
éditions Thierry Magnier ♦ avril 2014 ♦ illustration de couverture : Séverin Millet
Quelques extraits, pour vous convaincre :
« - Comment tu t'appelles ? me demande-t-elle doucement dans son yiddish hésitant.
Je ne lui réponds pas, je lui montre juste mon bras.
Mon numéro, c'est moi.
Alors elle tend la main et me touche la peau. Ça brûle ! Je me lève brusquement et me sauve en courant, regrimpe l'escalier et me jette dans mon lit. Mon cœur est tout battant et j'ai envie de pleurer.
Je veux pas ses caresses !
Car la tendresse, ça ment.
Ça fait croire aux mamans... »
« Toute ma vie, il y aura en moi un trou là où ma mère m'aimait. »
« Je veux repartir en enfance, réapprendre l'insouciance. Ne pas rester les yeux vitreux à regarder le vide avec envie de m'y jeter. Ne pas me cacher tout seul dans le noir à espérer qu'il va m'avaler. Ne pas penser sans cesse au cauchemar qui a duré presque toute ma vie.
Je ne sais pas si c'est possible, redevenir enfant après avoir été vieux, rattraper le temps volé, revivre, après une si longue mort. Mais je vais essayer.
Après mille ans de désespoir, je veux enfin avoir onze ans. »
« J'ai vu les pères tomber, les mères s'en aller et les enfants brûler. J'ai vu la fin du monde. Comment oublier ? »
Teaser Tuesday #52
« Les pères des autres collégiennes les attendent dans la rue. Ou bien certains entrent aussi dans le collège, mais les filles se fâchent. Elles deviennent rouge écrevisse, elles enragent. Elles regardent vite vers les garçons pour vérifier qu'ils ne remarquent pas que leurs pères patientent dans l'enceinte du collège. Moi, je ne me fâcherai jamais contre mon père parce qu'il se montre. Le pauvre, je ne vais pas renier onze ans d'amour pour dix malheureux garçons dans la cour.
Mon amie Marie et son père se crêpent tout le temps le chignon. Elle ne comprend pas que je m'entende si bien avec le mien. Forcément, elle ne pense qu'à Jeff, un cinquième 2 qui ne la regarde pas. C'est à désespérer de porter un bandeau rouge dans les cheveux. La pauvre déteste cette couleur, mais elle l'a choisie pour lui. Elle a pensé que son bandeau ferait à Jeff l'effet du rouge sur un taureau. Elle a, comme elle s'en vante, employé les grands moyens. Résultat zéro. “Il est peut-être daltonien”, a-t-elle conclu.
Marie ne comprend rien à ma traîne et à mes dentelles. Je suis beaucoup plus mûre qu'elle. Je n'ai aucun problème à me jeter dans les bras de mon papa. Il en a besoin. Mais depuis mon entrée au collège, papa ouvre moins grand ses bras. Croit-il que j'ai grandi ? Il est fou. De mon côté, je suis bien plus tranquille avec lui qu'avec un Jeff dans la tête. Quand je sors de classe, je n'ai pas besoin de porter un bandeau rouge pour que mon père me sourie. Il ne voit que moi. »
Voilà un petit roman délirant, servi par la plume excentrique et décalée de Claire Castillon, qui réussit haut la main son deuxième test en section jeunesse (après Tous les matins depuis hier). On sourit beaucoup en lisant les interrogations de l'héroïne, Nancy Pinsault, qui contemple sa famille “avec un moteur dans le ventre” qui ne cesse de rugir de déplaisir.
Certes, elle adore son papa mais s'imagine que sa mère a une liaison avec le dentiste. Depuis, elle scrute leurs moindres faits et gestes. Malheureusement, un scandale familial a déclenché une crise planétaire : depuis, tout le monde se fait la tête à la maison et l'ambiance est moisie. Nancy veille au grain mais craint que ses parents divorcent !
Cette lecture est un hymne à la fantaisie enfantine, qui correspond très bien au style de Claire Castillon, d'ailleurs elle a aisément trouvé ses marques pour se glisser dans la peau d'une môme de 11 ans. C'est vif, rigolo, dynamique et délicieusement extravagant.
Un maillot de bain une pièce avec des pastèques et des ananas, par Claire Castillon
Neuf de l'École des Loisirs, février 2014 - ill. de couverture : Séverin Millet
Un auteur, deux livres : Christine Avel
« Hier, c'était mon anniversaire. Pour mes onze ans, j'étais sûr qu'il allait m'arriver quelque chose d'incroyable. Comme à Harry Potter.
L'an dernier en CM2, j'ai lu Harry Potter. Toute la série, de 1 à 7, sans m'arrêter. À la fin, j'étais sûr d'une chose : pour mes onze ans j'allais recevoir, comme Harry, une lettre m'annonçant que je suis un sorcier né par erreur dans une famille de non-sorciers, des Moldus. La lettre m'inviterait à poursuivre mes études dans une école de magie où on m'aurait inscrit, en secret, depuis des années. Là, je découvrirais enfin mes dons pour me transformer en animal, par exemple, ou pour l'arithmancie : c'est la science des chiffres magiques.
Je ne l'ai dit à personne, bien sûr. Ni à mes amis à l'école, ni à mes frères, encore moins à mes parents. Personne ne m'aurait cru.
Mais moi, j'en étais sûr. Des mois que j'attendais ça.
Je savais qu'il allait m'arriver quelque chose. J'avais raison. »
Une histoire qui commence ainsi, en faisant allusion à Harry Potter... forcément, il ne m'en fallait pas davantage ! J'ai plongé. Bon, évidemment il arrivera au jeune garçon (Abel) une autre aventure, puisqu'il va se voir offrir un voyage en Finlande, par le concours de circonstances très bizarres. Le hic, avec ce périple, c'est qu'il doit passer une semaine chez un mathématicien de renom... alors qu'il n'a franchement pas la bosse scientifique. C'est se moquer du monde ! Abel est en pétard.
Mais heureusement, cette évasion lui sera bénéfique, on s'en doute, et lui apportera ce petit regain de confiance en lui qui lui faisait cruellement défaut. En effet, contrairement à tous les membres de sa famille, des génies en puissance, lui est un élève quelconque, il a ce que sa mère appelle “le creux des maths” (pas la bosse, non, le creux !).
Libéré de cette pression, le garçon, seul en Finlande, va vivre des aventures complètement farfelues (j'ai hélas trouvé que c'était trop court, pas assez détaillé, mais je pense qu'un enfant n'y verra que du feu !) car la conclusion est super apaisante et nous rappelle que nos enfants ont “le temps de grandir, le temps de voir” et qu'ils peuvent faire “des tonnes de choses dans leur vie”.
Une petite lecture pour le plaisir, racontée sur un ton rafraîchissant !
Le creux des maths (Neuf de l'École des Loisirs, mars 2012 - ill. de couverture : Séverin Millet)
Deuxième bonne surprise avec ce petit roman se passant dans l'obscur village de Nébouzat-le-Froid, en Auvergne. Depuis des générations, les habitants se sentent floués au détriment de leurs voisins d'en face, à Nébouzat-le-Chaud, qui se trouve sur le bon versant de la colline, toujours au soleil. Mais surtout, ils sont les détenteurs de précieux trésors, comprenant des “traces de dinosaure authentiques et grottes troglodytes”.
Tout ça turlupine Éloi, son grand-père et son grand frère Fabien. Jusqu'au jour où la chance va leur sourire, enfin... Le chien Jojo a trouvé un os, sans nul doute une pièce rare et inestimable, et il n'y a plus qu'à fouiller le jardin pour trouver le reste du trésor !
L'aventure va partir dans tous les sens, pour le plus grand plaisir du jeune lecteur. Les personnages sont attachants, animés par une soif de reconnaissance et de gloire qui leur ferait presque perdre la raison. C'est raconté avec panache, beaucoup d'humour et un soupçon de dérision. On passe un très bon moment, c'est toujours aussi frais et divertissant.
La revanche de Nébouzat-le-Froid (Neuf de l'École des Loisirs, avril 2013 - ill. de couverture : Gabriel Gay)
La bobine d'Alfred, de Malika Ferdjoukh
“La bobine d'Alfred” est un roman doux et tendrement nostalgique, qui rend un bel hommage au cinéma de l'âge d'or hollywoodien et au grand Alfred Hitchcock.
L'histoire : Harry Bonnet a tout juste 16 ans lorsqu'il traverse l'Atlantique, avec son père, pour vivre son aventure américaine. À lui les films à toute heure du jour et de la nuit, les rencontres de starlette sur la plage, le permis de conduire, les crèmes glacées au parfum improbable...
Ce qui l'attend sera encore plus époustouflant : assister au tournage (secret) du dernier Hitchcock, Mary Rose, d'après la pièce de J.M. Barrie. Le garçon est aussitôt ébloui, par l'actrice Veronica West, par l'ambiance sur le plateau, électrique, pesante mais fascinante, par le mystère environnant.
D'ailleurs, n'en pouvant plus de lambiner dans son coin, il n'hésitera pas à commettre un petit délit pour assouvir sa passion dévorante...
Et nous voici plongés au coeur d'une histoire invraisemblable, mais palpitante, qui séduit et envoûte littéralement, même si force est de reconnaître que tout le charme du livre réside dans son atmosphère ! C'est délicieusement désuet, poudré d'un voile infime (mais pas ringard), absolument élégant, irréel et fabuleux. Un pur régal.
Je sèche pour vous dire à quel point cette lecture a su me transporter, me faire sourire, m'enchanter (et pourtant, je l'avoue, ce n'est pas mon roman préféré non plus). Mais j'étais tellement sous la coupe de mon émerveillement, j'avais tellement anticipé ce mariage entre Malika Ferdjoukh, Alfred Hitchcock et toute cette thématique autour du (vieux) cinéma hollywoodien.
Je soupçonne l'auteur de s'être livrée à cet exercice juste pour satisfaire un plaisir égoïste et elle a eu drôlement raison ! Ce roman, c'est son cri d'amour en bonne cinéphile qui se respecte.
Amen.
École des Loisirs (grand format), octobre 2013 - illustration de couverture : Séverin Millet.
«Ah, c'est de la belle histoire. Ça parle des morts, tu vois, des morts qui reviennent et qui partent. Du souvenir. Du temps qui passe. De l'amour d'une maman pour son enfant. Mais va proposer ça à des producteurs ! Ils te répondent quoi ? "Monsieur Hitchcock, tu nous as montré des meurtres sous une douche, sur un manège, un trapèze, dans un train, un bateau, un moulin, un clocher... et tu te ramènes avec ta petite histoire de fantômes sans crime ? Sorry. No money." Trop romantique pour 1964.»
"Je suis devenu un lecteur."
Comme à son habitude, le père de Kévin Pouchin a mis les bouts sans crier gare, et cela dure depuis deux semaines. La mère est à cran, entre colère et dépression elle ne supporte plus rien, ni les enfants, ni le chien qui pisse sur le paillasson, elle met tout le monde dehors, qu'importe s'il gèle à pierre fendre. De plus, ce sont les vacances, Kévin n'a nulle part où traîner, alors il se décide à pousser la porte de la bibliothèque, là où il pourra se réchauffer.
Chez lui, les livres n'ont pas droit de cité. C'est pour les intellos, les têtes d'ampoule, pour ceux qui parlent de façon maniérée, bref ce n'est pas de leur monde. La famille de Kévin passe uniquement du temps ensemble lorsqu'il faut laver la BMW du père ou regarder une émission débile à la télévision. D'abord, le garçon hésite. Il redoute d'être mis à la porte, dénoncé comme étant un imposteur, qu'ici non plus il n'est pas à sa place.
Puis il croise une fille de sa classe, Laurie, qui le prend pour un poète. Mais surtout, il rencontre une mamie révolutionnaire, Dame Chamallow, qui lui colle entre les mains "L'attrape-cœur" avec ordre de lui faire un compte-rendu de sa lecture. A partir de là, la vie de Kévin va se dédoubler : d'un côté, il voit en secret ses nouvelles copines de bibliothèque, de l'autre il est le fils de personne, dans une maison où ça braille tout le temps, où les blagues sont crasses, où les penchants culturels sont inexistants.
Ce livre m'a fait énormément soupirer, de dépit et de désespoir. Heureusement, le jeune héros est un garçon formidable. Il en bave, mais c'est tout de même un môme qui comprend peu à peu qu'il a le droit de sortir de sa condition. Qu'il n'est pas dit qu'il appartenait à un milieu et se devait d'y rester. Alors, oui c'est grâce à la lecture qu'il va prendre confiance en lui. Toutefois, son apprentissage se fait aussi dans la violence, parce qu'on se moque de lui d'aimer lire ou de passer du temps à la bibliothèque, pour autre chose que bécoter sa petite copine.
Les clichés ont la dent dure, vous verrez que l'histoire est loin d'être mielleuse ou niaise, par contre il y a aussi beaucoup de dérision, de l'humour et du cynisme pour sauver les apparences, pour se protéger et pour rendre les coups. Il y a vraiment de belles réflexions de la part de Kévin en tant que lecteur qui découvre le pouvoir des mots et la force des histoires. D'ailleurs, pour moi, le cap le plus important, c'est lorsqu'il reconnaît enfin qu'il est devenu un lecteur. Que cette passion lui dure !
Holden, mon frère - par Fanny Chiarello
Medium de l'Ecole des Loisirs, 2012 - illustration de couverture : Séverin Millet
"Drôle d'idée que de lire des romans, quand on y pense bien : on s'attache à des personnages qui n'existent pas, on se sent moins seul alors qu'il suffirait de lever la tête de sa page pour constater qu'on l'est toujours autant dans le vrai monde, et après, tout est fini. Chacun rentre chez soi..."