River, de Claire Castillon
J'aime beaucoup la plume de Claire Castillon et je n'ai de cesse de découvrir son univers roman après roman. Un univers à la fois poétique, étrange, fascinant et déconcertant. Son dernier né en est la preuve.
L'histoire de River est celle d'une adolescente harcelée et qui subit ses sévices sans réaliser leur gravité car River n'est pas une fille ordinaire... C'est sa sœur, sa version parfaite, qui nous livre ses secrets et qui rapporte ce qui ne tourne pas rond, qui sont ses assaillants, comment ses parents sont dépassés par la situation et dans quelle détresse River est en train de plonger.
Il y a de l'amour dans ce roman. De la tendresse, de l'espoir, de la cruauté et de l'impuissance.
En vrai, j'avais deviné la révélation censée tout bouleverser. Je n'ai donc pas été totalement surprise... Reste, cependant, un roman pudique, sensible, éprouvant. Un roman qui porte un message et qui se lit entre les lignes. S'il peut dérouter au moment de tourner la dernière page, il a aussi déjà planté sa graine et va s'inscrire sur la durée. Enfin c'est souvent comme ça que fonctionnent les romans de Claire Castillon sur ma pomme...
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto (2019)
Couverture illustrée par Emmanuel Polanco
« Boulet, sangsue, poids mort, pot de colle, River est tout cela à la fois. Les parents lui répètent qu’elle est exceptionnelle, que tous ensemble – tous, ça veut dire eux, les six thérapeutes, elle et moi –, on va trouver le chemin idéal vers son épanouissement. Mais moi, je sais que personne n’y croit. On l’améliore, c’est tout. On voudrait obtenir l’enfant parfait, mais la vérité, on la connaît : River ne sera jamais comme moi. »
La Théorie de l'iceberg, de Christopher Bouix
Été 1993. Noé vit dans une petite ville face à l'océan. Passionné de surf jusqu'à son accident, le garçon souffre de choc traumatique et se renferme sur lui-même. Face à sa souffrance, sa famille est impuissante et son psy l'incite à se remettre en selle. Les vacances arrivent, avec son flot de saisonniers. Noé l'ignore encore, mais sa routine va en être bousculée : d'abord, il rencontre Lorraine, qui adore les haïkus, la photographie et les étoiles, puis M. Hereira, un vieux monsieur qui vit cloîtré dans une maison pleine de livres. Chaque samedi, Noé lui rend visite en lui apportant les derniers ouvrages commandés à la bibliothèque. Assez hostile et grincheux, l'homme va tomber sur son carnet et critiquer l'histoire qu'il est en train d'écrire. Le garçon va néanmoins encaisser les remarques en comprenant qu'il s'agit d'un célèbre auteur de science-fiction et qu'il pourrait bien l'aider à terminer son texte pour un concours de nouvelles. De cet été 1993, découleront d'autres rencontres et d'autres vérités qui allégeront considérablement le poids que porte notre jeune héros de 15 ans. « Peut-on savoir qui sont les autres ? Qui ils sont vraiment. Soudain, je n'en étais plus si sûr. Peut-être qu'on se contente de passer notre vie à côté d'eux, à les côtoyer, à les croiser, sans jamais les connaitre. »
J'ai refermé ce livre en ressentant une immense quiétude. C'est en effet une lecture pleine de douceur et de sensibilité, une lecture infiniment charmante et délicieuse. On se laisse bercer par la jolie plume de l'auteur et par l'histoire de Noé. On retient aussi de belles paroles sur l'écriture et le processus de création. C'est très inspirant mais aussi apaisant. Un premier roman convaincant et profondément attachant !
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2018 - couv. illustrée par Emmanuel Polanco
« Selon Hemingway, la force d'une histoire réside dans ce qui est sous-jacent. Tout ce qui n'est pas exprimé mais que le lecteur ressent. Imagine un iceberg. Les sept huitièmes sont sous l'eau. On ne les voit pas. Mais ce sont eux qui portent la masse. En littérature, c'est pareil. C'est toute cette partie immergée, cet ensemble de non-dits, qui fait la force d'un texte. »
Trois filles en colère, de Isabelle Pandazopoulos
Suzanne et Magda sont cousines et viennent de partager cinq années sous le même toit à Paris. Nous sommes en 1966, Magda rentre chez elle en Allemagne, rejoindre sa famille enfin réunie à Berlin-Ouest.
Toutes deux s'écrivent et se racontent leur quotidien - l'une cherche sa place dans une société qui l'étouffe et prend en grippe le modèle de ses parents, qui sauvent les apparences alors que son père collectionne les liaisons et sa mère tombe en dépression après une grossesse non désirée ; l'autre prend ses marques dans une ville inconnue, auprès d'une famille meurtrie et repliée dans ses secrets. L'ambiance n'est guère joyeuse et insouciante.
Pourtant, l'Europe gronde d'une colère qui enfle et prend de l'ampleur, bientôt relayée par des étudiants accablés par le poids des traditions désormais passées de mode. Bientôt, une troisième voix vient se glisser dans ce récit - en Grèce, Cléomèna quitte précipitamment son pays suite à la dictature des colonels (avril 1967, coup d'état des militaires contre la monarchie en place). Ses parents et son frère ont déjà été arrêtés. Sans l'ambassade de France, celle-ci aurait suivi la même sinistre destinée.
Accueillie à Paris, par la famille Lavagauleyne, Cléo s'adapte à sa nouvelle existence, avant de prendre fait et cause pour la révolution en marche.
Quel roman bouillonnant, passionnant, fascinant et captivant ! Je ne m'attendais pas à y plonger mon nez avec autant d'impatience et d'excitation. J'ai pourtant tourné les 300 pages avec avidité. J'ai vécu au rythme des coups de cœur, des rêves et des espoirs des trois héroïnes. J'étais complice, témoin, spectatrice de leurs trajectoires. Et c'était divin !
Le format épistolaire apporte également de l'élégance, du panache à l'histoire. Après un petit temps d'adaptation pour cerner qui est qui, j'ai rapidement trouvé ma place et savouré cette jolie plume qui révèle les personnalités farouches de nos trois jeunes filles pleines de désir, de colère et de fièvre.
Le roman se compose aussi de photos d'archives, de cartes, de notes et d'extraits de journaux intimes. Mais il est avant tout le portrait d'une époque et d'une génération. C'est beaucoup moins factuel que dans 68 année zéro de Paule du Bouchet. Ici on ressent les émotions, on vibre, on aime, on écrit sa rage et sa flamme.
J'y ai été forcément plus sensible. C'est comme si on y était. Et j'ai adoré. ♥
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2017
Par Isabelle Pandazopoulos, l'auteur de La Décision et On s'est juste embrassés.
68 année zéro, de Paule du Bouchet
Le 1er janvier 1968, Maud boit du vin blanc en écoutant les Beatles avec son groupe d'amis, réunis dans un vieux château à la campagne, où ils tournent une adaptation rock-n-roll du Grand Meaulnes. L'ambiance est volubile et insouciante, même si tous ont en ligne de mire leur bac en juin.
Comme toutes les filles de son âge, Maud rêve d'amour et de baisers, elle regarde avec envie les jupes courtes et la frange de Sylvie Vartan, elle sent bouillir en elle une impatience et une envie de vivre autrement que le modèle de ses parents (sa mère est bibliothécaire, son père écrivain, tous deux sont séparés). Il n'y a pas de télévision, pas de radio à la maison. Aucune conscience sociale ou politique, juste le besoin de s'enivrer de nouvelles modes.
Dans leur Quartier Latin, jamais ils n'avaient eu connaissance de la petite ville de Nanterre. Là-bas, des étudiants protestent, crient, sortent des clous. Bientôt la Sorbonne est occupée par des centaines de manifestants. Dany le Rouge devient une figure de proue. La police est dépassée, le gouvernement entêté. Et les premiers affrontements retentissent.
Maud est aux premières loges. Sous sa fenêtre, spectatrice du soulèvement populaire, elle regarde s'ériger les barricades et assiste aux échauffourées. Le désordre règne et laisse place à une scène de désolation. L'air est irrespirable, les mines sont hagardes. Le pays tout entier est mis k-o.
C'est en rassemblant ses souvenirs que l'auteur nous livre son année 68 à travers un récit où se mêlent efficacement l'intime aux événements devenus historiques. Elle restitue au mieux le parfum d'une époque et le cri de révolte d'une jeunesse qui a enflammé les passions.
On plonge au cœur même de cette frénésie. On suit l'enchaînement des événements. On refait le monde dans des squats enfumés. On bouscule les traditions. Le texte est lapidaire et ne cache rien de la nature de sa narratrice - seize ans, éducation bourgeoise et privilégiée, naïve et idéaliste.
Avec elle, on découvre les espoirs, la peur, la colère, la folie furieuse, en gros les heures sombres et électriques de cette année hors normes. « Mai 68 ne s'était pas arrêté en mai. Ni en juin. Quelque chose avait continué à faire son chemin. En chacun de nous. »
La lecture est perspicace, mais ne dégage pas de grande force non plus. On reste assez en retrait du récit, à distance des personnages. C'est mon seul reproche... mais c'est parce que j'ai lu - en comparaison - Trois filles en colère d'Isabelle Pandazopoulos qui m'a tellement plu (et davantage marquée). ☺
Gallimard jeunesse, coll. Scripto / 2018
Les valises, de Sève Laurent-Fajal
Sarah, quinze ans, se rend en voyage scolaire en Pologne où elle visite avec sa classe le camp d'Auschwitz. Pudique et solitaire, l'adolescente ressent un grand froid l'envahir en découvrant l'amoncellement des valises abandonnées ayant appartenu aux millions de déportés juifs. Prise de vertiges, elle a des visions de scènes sur un quai de gare où des enfants sont arrachés à leurs parents. Muette, angoissée d'horreur, Sarah se ferme comme une huître. Car tout ceci l'amène à réfléchir à ses propres origines.
Sarah vit seule avec sa maman, elle ignore qui est son père, ne sait rien de sa famille. Toutes deux sont cloîtrées dans leur bulle de silence et d'isolement, mais la jeune fille n'en peut plus et a envie que ça change. Seulement, le soir où elle s'arme de courage pour discuter avec sa mère, Sarah apprend que celle-ci a eu un accident et se trouve dans le coma sur un lit d'hôpital. Abrutie de chagrin et de désespoir, Sarah n'abandonne pas l'idée de fouiller le passé de sa mère et comprendre le mystère autour de sa naissance.
Quel doux roman ! Charmant, émouvant, totalement bouleversant. J'ai été littéralement captivée, complètement absorbée par la quête identitaire, par le cataclysme émotionnel et par les montagnes russes sur lesquelles surfent l'héroïne. C'est intuitif, l'histoire vous touche en plein cœur tant elle est éloquente, sensible et compatissante. Et au milieu de ce chaos sans nom, Sarah découvre aussi les fulgurances du premier amour. Une relation tendre, farouche et explosive se dessine, elle se noue ainsi au besoin de savoir qui elle est, quelles sont ses racines. C'est tout emmêlé, emberlificoté dans un parcours teinté de rencontres et révélations parfois rapides et improbables, mais qu'importe. La lecture est entraînante, animée d'une belle sincérité. On en ressort avec le cœur pulvérisé, un sourire heureux et des larmes au coin des yeux. C'est tout bon ! ♥
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 2016
Confessions d’une catastrophe ambulante : Le journal de Chloe Snow, de Emma Chastain
Chloe Snow a quatorze ans et la trouille au ventre de rentrer au lycée (qui commence par l'année de troisième aux USA) sans avoir jamais embrassé un garçon ! Il est plus que temps d'y remédier, aussi dresse-t-elle une courte liste de futurs prétendants en tirant des plans sur la comète. C'est assuré du soutien de sa meilleure amie, Hannah, que Chloe va multiplier les sourires, les contacts, les suivis sur les réseaux sociaux... S'éparpiller pour mieux atteindre son but ? CQFD. Face à son succès, notre adolescente en perd la tête mais risque également de se brûler les ailes, ouille !
À la maison, rien ne va plus également. Son père est aux petits soins pour elle, depuis que sa mère est partie au Mexique pour écrire son roman, juste pour quatre mois, la cohésion familiale est quelque peu ébranlée. En attendant son retour, la jeune fille rédige son journal intime où elle rapporte TOUT pour ne rien oublier. Les journées passent, le bilan des conquêtes est au point mort, alors que son amie Hannah vit sa première grande histoire d'amour, en cachette de ses parents. Chloe compense sa frustration en multipliant les pistes, entre Tristan, son nouveau confident, Zach, le musicien au look rebelle, ou Mac, le sportif sûr de son charme et à la petite amie sublime...
Chloe Snow brille par sa mauvaise foi, ses maladresses et ses audaces mal placées. Elle vient aussi de décrocher le premier rôle de la comédie musicale organisée par sa prof de théâtre, s'attire les foudres de la jalousie, ne touche plus terre et batifole avec l'interdit. À force de jouer ce jeu dangereux, Chloe bascule dans la zone rouge. Crise générale. Il faut sauver le soldat Snow. On a donc une lecture honteusement délectable, même si elle parle essentiellement de garçons et de baisers baveux. Mais on s'attache à l'héroïne, fofolle et inconséquente, et on suit son parcours à la va-comme-je-te-pousse avec des yeux hallucinés. Chloe fait tout de travers, et va heureusement apprendre de ses erreurs. Cela se lit sur le ton de l'humour - second degré - c'est léger, futile et ça dégouline d'hormones en folie. Contient aussi des propos crus, pour les plus farouches. ^-^
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 2017
Trad. Nathalie Peronny [Confessions of a High School Disaster: Chloe Snow's Diary]
Toute la beauté du monde n'a pas disparu, de Danielle Younge-Ullman
Envoyée à Peak Wilderness, un camp d'été dans la nature la plus sauvage, dans les conditions les plus rudes, avec un groupe d'adolescents ravagés du bocal, Ingrid doit tester au mieux sa résistance pour prouver à sa mère sa force de caractère avant d'intégrer une prestigieuse école de chant. Margot-Sophia Lalonde, également une ancienne cantatrice, désapprouve totalement son choix. C'est comme réveiller un vieux traumatisme, auquel sa mère est encore prisonnière, et non merci.
Depuis le jour où sa carrière a brutalement pris fin sur scène, face à un public ébahi, Margot-Sophia n'a plus du tout été la même. Prostrée dans sa chambre, dans un état dépressif, elle a complètement ignoré sa fille, livrée à elle-même, avant de refaire surface pour mener une existence banale et ordinaire, de laquelle elle a effacé toute trace de son passé. Nul ne pouvait évoquer son drame ou sa vie d'avant en sa présence. Et Ingrid a grandi dans l'ombre de cette mère dévastée par un gouffre jamais comblé, ne sachant jamais comment faire pour lui plaire ou la satisfaire.
Ingrid débarque ainsi à Peak Wilderness sans se douter du sort qui l'attend, elle qui s'imaginait passer trois semaines dans des cabanes en bois, autour d'un feu de camp, en communion avec des compagnons épris de nature et attentifs à leur bien-être intérieur, la voilà en train de s'aventurer dans un trek épuisant, éprouvant et fracassant. Le vrai choc. Ingrid va pourtant s'accrocher, se découvrir une endurance à toute épreuve, et en même temps, crever l'abcès qui l'empoisonne depuis l'enfance.
Suivre le parcours de cette héroïne combative et attachante a été sincèrement stimulant. J'ai souvent souri, beaucoup compati, malgré moi gloussé et halluciné à la lecture de son apprentissage, mais c'est raconté à la fois avec fraîcheur, humour et ironie. Il faut lire toutes les lettres que la jeune fille adresse rageusement à sa mère, sa montagne de reproches tournés en dérision, sa sensation de subir un rite initiatique auquel elle n'était pas préparée (et on la comprend, imaginez vous balader avec vos papiers WC usagés pour protéger l'environnement... eh ouais !). Bref. Le roman cache aussi une bonne couche d'émotions, en traçant les contours d'une relation mère-fille conflictuelle et bancale, on l'appréhende au compte-gouttes et on reçoit l'onde sismique avec autant d'effarement que d'incompréhension. Mais on ressort de cette histoire émouvante en inspirant bien fort et en levant le nez vers le soleil. C'est tout plein d'espoir, d'amour et de résilience. Un concentré de passion, de détermination et d'énergie positive. Top. ♥
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 2017
Trad. Laetitia Devaux [Everything beautiful is not ruined]
Tout pour se déplaire, de Jen Klein
Chic, encore une lecture qui met en joie et de bonne humeur ! Le roman de Jen Klein a pour lui de nous embarquer dans son histoire sans prétention, mais où les sentiments sont vrais, sincères et spontanés, en plus d'avoir une bande-son à la fois tonitruante et dégoulinante de guimauve... N'en jetez plus, l'aventure s'annonce piquante, drôle et savoureuse !
Parce que leurs mères sont copines de fac et ont conclu ensemble un accord pour leurs enfants, sans même leur demander leur avis, June et Oliver font donc route tous les matins pour se rendre au lycée. La jeune fille appréhende cette intimité forcée car elle imagine un garçon fidèle aux archétypes du genre sportif, populaire et désinvolte. Elle le met aussitôt au pas, arguant que cette dernière année au lycée est insipide et futile, car la vraie vie ne commence qu'après. Oliver prétend le contraire et cherche à lui démontrer les aspects positifs de leur passage au lycée. Ils mettent ainsi en jeu les titres de leur playlist du matin, chacun pouvant l'enrichir s'il obtient l'argument irréfutable. Car, autre point de discorde, June et Oliver ont des goûts musicaux diamétralement opposés. Là aussi, la guerre est déclarée... avec sourires malicieux et étoiles dans les yeux.
On s'attend à une romance cousue de fil blanc, sauf que c'est bien mieux, car c'est avant tout l'histoire d'une complicité, d'une découverte et d'une ouverture. June est par exemple obstinée, revêche et prétentieuse. Elle qui se prétend au-dessus de la mêlée a pourtant tendance à cataloguer hâtivement ce qu'elle mésestime. À l'inverse, Oliver est un garçon adorable, charmant et différent de son image superficielle. C'est entendu, ils vont rapidement déposer les armes pour discuter tout naturellement de musique, de famille, d'amitié et d'amour. En vrai, ils sont tous deux engagés dans une relation officielle (lui avec la pom-pom girl fétiche de l'école, bien entendu) mais on sent déjà une June fébrile sur le sujet (durant l'été, séparée temporairement de son copain, elle a embrassé un autre type en vacances). Et on réalise ainsi qu'elle n'est qu'une carapace en toc et qu'elle a beaucoup, beaucoup de zones d'ombre à éclaircir ! Tout se goupille à merveille, sans situation saugrenue, sans tension inutile ou autres malentendus lourdingues. C'est une délicieuse friandise à déguster sans culpabiliser. C'est bon, doux, réconfortant et craquant à souhait. J'ai passé un très, très bon moment. ♥
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto - Trad. Marie Hermet [Shuffle, Repeat] - 2017
Scarlett Epstein rate sa vie, par Anna Breslaw
Enfin un roman qui ne prend pas les filles pour des nouilles et qui s'affranchit des clichés tout en racontant une histoire ordinaire, mais sur un ton plein d'humour ! J'ai adoré.
Scarlett Epstein est une fan inconditionnelle de la série Lycanthrope College, mais voit son monde s'effondrer en apprenant que celle-ci s'arrête sans crier gare. Pour tromper son ennui, elle se met à inventer une fanfiction librement inspirée de sa vie personnelle. En effet, la jeune fille extrapole le petit monde cruel du lycée dans un univers d'androïdes qui connaît un gros succès en ligne. Scarlett y trouve un certain confort de pouvoir se libérer de toutes les frustrations de la journée. Car Scarlett snobe résolument ses petites camarades, en particulier la clique des populaires, qu'elle juge navrants de bêtise. Elle est aussi extrêmement déçue de l'attitude de Gideon, son ami d'enfance, avec lequel elle ne parlait plus depuis des années, et qu'elle découvre en train de papillonner avec ces moutons, ou dans les bras de sa rivale, la sublime Ashley, qui ne manque jamais l'occasion de critiquer Scarlett, trop pauvre, trop geek, trop asociale. Scarlett se sent au-dessus du lot, certes sa mère fait du ménage, boit trop et s'imagine souvent avoir trouvé le grand amour, mais Scarlett ne cultive pas non plus l'image sordide du foyer misérable. Sa voisine, Ruth, une vieille intellectuelle qui passe son temps à fumer des pétards, lui parle de lectures, de féminisme et de ses folles expériences, pendant que l'adolescente s'occupe de son jardin. Elle évoque aussi la vie sans mesure et incite Scarlett à s'ouvrir davantage, loin de son écran et de sa communauté virtuelle.
J'ai trouvé ce roman très riche, intelligent, drôle, caustique et savoureux. Scarlett Epstein est une héroïne extra, avec un caractère de cochon, de la mauvaise foi et du sarcasme en bandoulière. Au fond, on le sait, c'est une grande sensible, qui préfère se réfugier dans un monde imaginaire, pour fuir le réel. On la découvre touchante et vulnérable, à se voiler la face et à accuser les autres alors qu'elle envie leur aisance, leur naturel, leur spontanéité. Son histoire contient juste ce qu'il faut de dérision, d'ironie et de situations téléphonées. Le tout est mordant, actuel et frais. J'ai totalement accroché à ses réparties, à sa vision de la vie, à ses blagues, à ses références en matière de pop culture... C'est loin des modes actuelles qui surfent sur le mélodrame à deux balles et qui pondent des romances ineptes et fades. Ici, le portrait de la lycéenne est désopilant, décalé, décapant. Franchement top !
Traduit par Laetitia Devaux pour les éditions Gallimard Jeunesse - Collection Scripto - Janvier 2017
Titre VO : Scarlett Epstein Hates It Here
La Légende de Lee-Roy Gordon, par Aurélie Gerlach
Un nouveau roman décapant d'Aurélie Gerlach, après son hilarante série de l'impossible Lola Frizmuth au Japon ! Cette fois, il est question de Paris, de Birmingham, de musique rock, de revival, de mafia, de duos improbables, de whisky et de salade de pâtes au cheddar, mais aussi de paradis perdus, de vocation et d'inspiration, sur fond de création artistique et d'énergie libératoire. En bref, une rencontre explosive. J'ai beaucoup, beaucoup aimé. L'histoire concerne Morgane, dix-sept ans, un bac loupé et plus l'envie de retourner au lycée, une jeunesse qui vivote et le besoin de se trouver une voie et de prouver sa valeur. Morgane répond donc à une petite annonce, pour servir d'assistante à une ancienne légende du rock qui tente son comeback en enregistrant un nouveau disque. D'abord recalée, la jeune fille finit par convaincre la bande qu'elle est un élément indispensable, qui apprend vite et dont la curiosité est sans limites. L'aventure peut alors commencer, une aventure truffée de hauts et de bas, de situations cocasses et d'entourloupes grandguignolesques, qui donnent forcément un ton mordant au roman. Et quelle bouffée de fraîcheur ! Aurélie Gerlach a de l'humour à revendre, du bagout et de la répartie en toutes situations. Je suis définitivement fan de son style déjanté et décomplexé, ses personnages sont attachants, l'histoire dégouline de musique et ça fait du bien, c'est hyper stimulant à lire, ça vous touche et vous embarque vers un univers folklorique hyper tendance. ♥
Gallimard Jeunesse, Coll. Scripto - mai 2015
Couverture et illustrations : Sandrine Martin