20/09/17

Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson & Lu par Grégori Baquet

sur les chemins noirs

En 2014, Sylvain Tesson fait une chute de plus de dix mètres en escaladant un chalet chez des amis à Chamonix. Le corps en vrac, après des mois d'hospitalisation, l'écrivain se relève douloureusement de ce traumatisme et se lance pour défi de traverser la France à pied. Un périple qu'il va effectuer entre août et novembre 2015, non sans mal. Lui qui avait coutume de vivre en surchauffe se découvre une lenteur et une faiblesse qui ralentissent sa marche et entaillent son insouciance. Durant tout son voyage, il éprouve avec peine son endurance, se familiarise avec son nouveau corps, n'ignore pas que sa paralysie faciale suscite effroi et répulsion, ou qu'il s'exprime désormais avec l'apathie d'un vieux grabataire. Sylvain Tesson est un miraculé, mais ne supporte plus la compassion qui l'entoure et s'échappe donc vers “les chemins cachés, flanqués de haies, les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés”. C'est donc avant tout pour le plaisir de flâner au cœur des campagnes profondes et oubliées qu'on se plonge dans cette lecture, parsemée d'éclats poétiques, de considérations philosophiques, d'aigreurs politiques, de fulgurances littéraires et de petites victoires personnelles. La marche de l'écrivain est en effet jalonnée de rencontres avec d'autres randonneurs, à la recherche du pittoresque, et surtout avec des paysans désabusés, les rares témoins du paysage de la France et de son évolution. Le roman est court, il s'écoute en seulement 4 heures, s'apprécie pour la composition sensible et sincère de Grégori Baquet, portée par une réalisation sonore qui invite à l'évasion et à la rêverie. Cela se lit aussi comme une échappée belle à la Giono - prose élégante et contemplation de la nature environnante - cela nous contraint quelque part à se poser, à profiter du moment présent, à souffler et à réfléchir aux vies toujours pressées que l'on mène. Cela force enfin l'admiration, pour l'acharnement à reconquérir une liberté perdue, pour l'accomplissement de soi et la sensation galvanisée d'une renaissance chèrement acquise.

Ce livre s'ouvre comme une parenthèse salvatrice et bienfaisante - que l'on referme à regret. Au final, c'est aussi une belle leçon de vie et d'absolutisme, un hommage à la beauté des paysages façonnés par des artisans de l'ombre. Un récit qui s'écoute avec beaucoup d'attention.

©2016 Éditions Gallimard (P)2016 Éditions Gallimard Coll. Écoutez Lire

Lu par : Grégori Baquet - Durée : 3 h 51

  • « Il m'aura fallu courir le monde et tomber d'un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j'ignorais les replis, d'un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides. La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs. Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre. »  

(Sylvain Tesson) 

 

Posté par clarabel76 à 07:45:00 - - Commentaires [1] - Permalien [#]
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02/09/16

Berezina, de Sylvain Tesson

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« Un vrai voyage, c’est quoi ?
– Une folie qui nous obsède, dis-je, nous emporte dans le mythe ; une dérive, un délire quoi, traversé d’Histoire, de géographie, irrigué de vodka, une glissade à la Kerouac, un truc qui nous laissera pantelants, le soir, en larmes sur le bord d’un fossé. Dans la fièvre…
– Ah ? fit-il.
– Cette année ce sont les deux cents ans de la Retraite de Russie, dis-je.
– Pas possible ! dit Gras.
– Pourquoi ne pas faire offrande de ces quatre mille kilomètres aux soldats de Napoléon ? »

 

Quelle formidable épopée racontée avec panache, émotion et passion ! C'est tout ce qu'inspire le récit fabuleux du road-trip de Sylvain Tesson sur un vieux side-car en compagnie de son ami Cédric Gras, de deux camarades russes et Thomas Goisque, l'ami photographe.

C'est suite à un salon du livre basé en Russie que notre trio un peu fou lance ce projet de rentrer à Paris en suivant les traces des troupes napoléoniennes. Treize jours pour tenir un pari insensé à rouler sur des routes enneigées, par un froid de canard et couvrir la retraite de l’Empereur sur plus de quatre mille kilomètres. L'auteur nous entraîne dans une épopée carnavalesque et réjouissante, entre soif d'histoire et hommage bouleversant. On replonge dans des chapitres oubliés, on revit les batailles enfiévrées et on imagine la détresse de ces Français en déroute, leur lutte acharnée et leur désespoir face à des stratégies militaires proche du suicide. On éprouve aussi un formidable élan d'admiration pour les Grognards qui n'ont rien lâché et ont tout donné jusqu'au bout, malgré les conditions rudes, malgré le froid, la faim et malgré la fuite de Napoléon qui a précipité son retour à Paris en solo. Le moral des troupes est au plus bas, mais ces hommes se démènent pour sauver l'honneur. Une notion au sujet de laquelle l'auteur débat, tout en s'interrogeant sur l'héroïsme et notre capacité aujourd'hui à nous sacrifier pour la nation. Une cause hélas décotée. Il compare alors le génie de Napoléon qui avait réussi à imposer son rêve par le verbe, à étourdir les hommes, à les enthousiasmer et à les associer à son projet. « Il avait raconté quelque chose aux hommes et les hommes avaient eu envie d'entendre une fable, de la croire réalisable. Les hommes sont prêts à tout pour peu qu'on les exalte et que le conteur ait du talent. »

J'ai beaucoup aimé partager cette aventure, en alternant les pages du roman aux épisodes lus à voix haute par Franck Desmedt pour Audiolib. Le comédien livre une performance vivante et captivante, nous donnant l'illusion d'être à bord du side-car (ou presque) et d'être au cœur du récit. C'est passionnant, à dévorer en une bouchée tant on se sent porté par le feu de l'action. Une expérience où le sublime flirte avec le grotesque. Unique. Et fascinant.

 

Texte lu par Franck Desmedt pour Audiolib (durée : 4h 51) - Juillet 2015

Repris en poche chez Folio / Mars 2016

 

Cédric Gras, en bon baroudeur, a également fait l'écho de son récit de voyage à travers la Russie d'Extrême-Orient dans L'hiver aux trousses (Folio, 2016). 

Rien à voir avec les Grognards et Napoléon ! Il s'agit d'une autre quête fabuleuse et folle, qui consiste à partir à “la chasse aux feuilles rouges”. Soit, accompagner l'automne par tous les moyens possible (à pied, en camion, sur des canots ou à bord de remorqueur). Ainsi, des contrées polaires à la mer du Japon, ses pas ont foulé des parcelles méconnues de cette Russie du Pacifique. Une lecture totalement dépaysante !