La cérémonie du café, de Franck Krebs
“ Il y a des mères qui ne devraient pas être permises. Leur amour détériore tout ce qui passe à portée de leur cœur. Leur tendresse ressemble à des fringales de vampires. Elles empoisonnent, déchiquettent, dévorent. Jusqu'à ce que l'avenir de leur enfant n'existe plus. ”
Voilà un court roman écrit sur un ton humoristique, mettant en scène deux sœurs, Leïla et Sabbah, livrées à elles-mêmes, dans leur petit appartement d'un quartier populaire. La sœur aînée souhaite le meilleur pour sa cadette, aussi refuse-t-elle qu'elle traîne dans les rues après le collège. Ce sont les voisines du dessous, “les siphonnées du huitième”, qui vont assurer l'intérim. Horreur et damnation, Madame Mavre et sa fille Brigitte traînent une sacrée réputation dans le quartier : sorcières tyranniques et tout le bastringue. Au début, c'est vrai que Sabbah n'en croit pas ses yeux, “c'est mieux qu'au cinéma : action garantie, en direct, avec son dolby stéréo, selon l'humeur de Brigitte”. Et puis, le temps passant, les cernes de Leïla se creusant davantage sur son visage, l'adolescente va apprendre à mieux connaître ses voisines, s'attacher à elles, recoller les morceaux d'une histoire familiale brinquebalante, prendre sa vie en mains et se donner toutes les chances de réaliser son rêve (devenir policière). C'est un texte résolument optimiste, avec une note de sensiblerie, mais écrit avec un pur sens de la comédie, qui fait qu'on passe un vrai, bon moment ! Très sympa, pour jeunes lecteurs niveau collège.
éditions Thierry Magnier, avril 2014 ♦ illustration de couverture : Véronique Figuière
“La nature trouve toujours moyen de se venger des outrages qu'on lui fait subir !”
« Quinze ans, pour mes parents, c'est l'âge de faire un grand tour hors du nid, pour apprendre à être autonome. Voilà pourquoi ils m'envoient passer le mois d'août dans le Sud, sur une île. » Accueilli par la famille Casanova, Maxime comprend qu'il devra s'adapter à une vie plus modeste, mais centrée sur la nature, dans ce petit village de pêcheurs.
En compagnie de Maria et de son petit frère Ange, Maxime va passer ses journées à vadrouiller et explorer l'île. Un jour, lors d'une excursion dans les montagnes, ils sont surpris par une violente tempête et des torrents de boue qui ravagent tout sur leur passage. C'est cette tache noire dans le ciel, qui menaçait depuis quelques temps, qui vient d'exploser et déverser sa colère sur la terre.
Le décor change du tout au tout, les paysages idylliques et vacanciers se transforment en un univers de désolation apocalyptique. Les éléments sont déchaînés, nos trois jeunes gens ne sont plus en sécurité. Par aubaine, ils trouvent refuge chez un éleveur de chèvres, qui vit seul, loin de toute civilisation, avec des idées réactionnaires et un comportement de plus en plus fébrile.
C'est un récit prenant, sombre et inquiétant, dans lequel on avance à l'aveuglette, en se sentant cerné par l'angoisse, le doute et l'accablement. On fait corps avec les personnages, on partage leur galère, on ressent leur énergie, leur abattement, leurs espoirs et leurs rêves (brisés).
Il y a, certes, un message écologique derrière cette terrible histoire : la nature est fâchée et veut nous rappeler que c'est elle qui commande. Pour la calmer, il faut faire preuve de repentance et lui montrer notre respect.
Mais que d'émotions au programme ! D'ailleurs, on sort complètement groggy par un tel acharnement. C'est diabolique et éprouvant, même le retour "à la normale" est bouleversant, mais c'est tellement fort et poignant.
J'ai été scotchée, j'en aurais voulu encore un peu plus, surtout lors du passage au monastère, m'attendant probablement à des embrigadements louches et flippants. Mais je divague, je divague... Lisez ce livre, c'est du bon, du brut, un sacré remontant !
Prisonniers du chaos, par Roland Godel (éd. Thierry Magnier, août 2010) - ill. de couverture : Véronique Figuière
Camille aime pas danser
Quand j'étais petite, je croyais que la vie ressemblait aux histoires que j'inventais en jouant avec mes figurines Playmobil. Je croyais qu'il suffisait de bâtir des maisons, comme celles que faisait papa, et d'y installer un père, une mère, des enfants et des animaux de compagnie pour que ça fonctionne. Quand j'étais petite, j'étais sûre que le bonheur coulait de source. Que la vie était solide, et que jamais rien de mal ne pourrait nous arriver.
Camille a grandi dans l'ombre de sa soeur Anastasia, plus brillante, plus belle, plus charismatique. Lorsque celle-ci révèle son début de grossesse, la nouvelle assomme la mère qui choisit de fuir ses responsabilités. Alors que s'organisent les rendez-vous au planning familial et les mesures plus radicales, Camille observe sans comprendre. Pourquoi le silence de sa soeur ? pourquoi l'égoïsme de sa mère ? pourquoi ce rôle de Zorro, assumé par son père, qui déboule de l'autre bout de la planète pour secourir les siens ? pourquoi ce sentiment de ne pas être à sa place et de ne plus trouver ses repères ? pourquoi croire que l'amour ne sert à rien alors qu'un sourire d'un inconnu dans un train peut vous donner des fourmis dans les jambes ?
Ce petit roman est bien trop court, seulement 110 pages. Mais il est juste, très bon et vous fait sentir une petite boule au ventre à de nombreuses reprises. On assiste au côté de Camille au naufrage de sa famille confrontée à une grossesse non désirée et à l'avortement. A aucun moment l'adolescente ne va juger sa soeur ou sa mère (pourtant, celle-ci a une attitude choquante et inacceptable). Au contraire, elle porte un regard lucide, tantôt drôle, tendre ou cruel. Souvent elle gratte là où ça fait mal, n'est pas dupe des défauts des gens qui l'entourent et elle semble faire avec. Après tout, elle n'est pas parfaite non plus, à sa façon elle fuit les autres, se moque d'être prise pour ce qu'elle n'est pas et cultive sa différence avec intelligence. J'ai vraiment beaucoup aimé ce petit roman, de toute façon je suis rarement déçue par ce qu'écrit Marie-Sophie Vermot, et je trouve la couverture de Véronique Figuière particulièrement attirante.
Camille aime pas danser - Marie Sophie Vermot
Editions Thierry Magnier, 2011 - 110 pages - 8€