La Vie hantée d'Anya, par Vera Brosgol
Le lycée est un univers impitoyable, surtout si l'on vient d'un pays étranger, avec un accent au couteau et le sentiment de porter un lourd fardeau pour se fondre dans le décor. Anya a longtemps combattu ses complexes mais la route est encore longue pour briller sur le podium et afficher une attitude cool et branchée. Comme dans ses rêves.
Bien sûr elle craque pour le beau garçon populaire, elle meurt d'envie de sortir le samedi soir et d'aller dans des soirées de beuveries et de dragues stériles. Ce monde d'artifices est pourtant le passage obligé pour atteindre son but - pense-t-elle... ou ne subirait-elle pas l'influence néfaste d'une certaine Emily.
Celle-ci est en fait un fantôme découvert après sa chute dans un puits. Anya est traumatisée par cette expérience mais se sent également redevable envers cette fille éplorée, qui est morte seule dans son coin, des années plus tôt. Anya a décidé de lui rendre justice et de faire en sorte qu'elle repose en paix...
Seulement, cette Emily est coriace et de plus en plus encombrante. Au début, c'était plutôt chouette d'avoir un fantôme en complice pour décrocher des bonnes notes ou pour connaître l'emploi du temps de son béguin secret. Le temps passant, Emily devient tyrannique et exigeante. La cohabitation n'est plus du tout accommodante. Encore moins depuis que ses proches se sentent menacés par cet esprit vengeur !
Ça rigole moins pour l'héroïne d'Un été d'enfer qui réalise avoir signé malgré elle un pacte avec une Diablesse ! Mais Anya est une jeune fille pleine de ressources et toujours aussi attachante. On suit à la fois ses déboires avec son fantôme, mais aussi ses préoccupations d'adolescente mal dans sa peau, ses fantasmes et ses rêves romantiques dans un quotidien ordinaire et très proche du jeune lecteur. Vraiment, une chouette lecture tantôt drôle, tantôt flippante ! Et surtout, une bonne histoire & un esthétisme assez sobre mais fascinant.
Rue de Sèvres, 2019
“You may look normal like everyone else, but you're not. Not on the inside.”
Un été d'enfer ! de Vera Brosgol
Voilà une BD assez caustique dans son genre.
L'histoire raconte l'expérience traumatisante d'une gamine de neuf ans qui s'imaginait vivre des vacances inoubliables en partant camper quinze jours en pleine forêt. C'était son modèle de l'American Way of Life (Vera est originaire de Russie).
La désillusion sera énorme car la vie en pleine nature n'est pas une image de carte postale : hygiène douteuse et petites bestioles porteuses de la rage. Sans oublier les WC sauvages, baptisés Hollywood pour vendre du rêve. C'est la descente en Enfer pour Vera.
Elle qui avait fait des pieds et des mains auprès de sa mère pour s'inscrire en camp scout comprend vite son erreur. Ses camarades non plus ne lui rendent pas la vie facile : c'est la plus jeune et la petite nouvelle du groupe. Elle n'a pas de seins, pas de soutif, pas de règles. Les filles sont sans pitié et se moquent d'elle en la tenant à l'écart. Les épreuves qui opposent garçons contre filles sont humiliantes (le jeu consiste à voler le drapeau de l'autre puis d'infliger des gages au perdant). Aucun esprit d'équipe. Plaisir sadique à écraser les plus faibles. Bisbilles entre nanas aux hormones bouillonnantes. On n'est pas loin du goulag avec une fabuleuse ambiance délétère.
Du moins, tout est rapporté d'après la vision de Vera. Elle condense ainsi le meilleur et le pire dans cette histoire tirée de souvenirs personnels - à quelques exagérations près. Mais elle produit une bonne histoire, non sans dérision et envie de partager l'envers du décor pour tous les pleurnicheurs de la planète. On a le droit de détester les colos et le camping ! On se sent aussi moins seul de vivre un été difficile et solitaire à la lecture de cette BD trop rigolote.
Rue de Sèvres, 2019 - traduit par Alice Delarbre
Pêle-Mêle : Laissez-moi tranquille ! - Le petit ogre veut voir le monde - L'abri
Qui n'a jamais rêvé d'un petit moment de répit au cœur d'un chaos indescriptible ? C'est le cas de notre héroïne, notre sémillante tricoteuse, qui vit dans une petite maison avec une très grande famille. Tous les jours, les petits-enfants se bousculent, font du bruit, courent dans tous les sens et s'amusent avec ses pelotes de laine. Impossible de travailler. Avec l'hiver qui approche, voilà qui complique ses projets.
Au bout du rouleau, la vieille femme abdique et quitte sa maison, avec un grand sac. En claquant la porte, elle a juste le temps de hurler : “laissez-moi tranquille !”. Elle part loin et s'installe d'abord dans la forêt... Mais même la famille Ours lui fait des misères, puis ce sont les chèvres de la montagne, jusqu'aux petits hommes verts sur la lune. C'en est trop. La coupe est pleine. Et la grand-mère sort par un trou noir. Aaaah, enfin la paix !
Cette histoire est surprenante sur toute la ligne, elle déjoue les attentes, pioche les ingrédients du conte traditionnel mais s'échappe des codes pour mijoter une aventure à sa sauce. Et c'est savoureux, audacieux et truculent. On adore cette petite bonne femme qui rouspète pour avoir du temps pour elle, et qui n'aspire qu'à tricoter tout son saoul. Ce n'est pas la mer à boire ? Il n'est pas dit que la solitude soit un remède à tout, juste une parenthèse appréciable avant le grand retour à la normale.
Un album décidément trompeur et étonnant ! Très, très belle découverte, distinguée par la prestigieuse Médaille Caldecott en 2016.
Laissez-moi tranquille ! de Vera Brosgol
Bayard jeunesse, 2017 (trad. Alice Boucher)
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Ah, la vie d'un Petit Ogre n'est pas aisée lorsqu'on a des envies de voir le monde et des parents qui tremblent pour vous et ne veulent pas que vous quittiez le bout du jardin... Snif ! Le petit ogre veut faire ses propres expériences, ne plus entendre les excès de prudence de son père ou de sa mère qui s'imaginent que le monde extérieur est dangereux.
Seul, devant sa mappemonde, le petit ogre rêve donc d'aventures en pointant du doigt des villes comme Rio de Janeiro, Venise ou Istanbul... N'y pouvant plus, il brave l'interdiction parentale et enfile les bottes de sept lieux de son père. En trois pas, notre petit ogre débarque en Turquie, pays des loukoums, puis décolle au Brésil pour danser la samba, et termine son périple en Italie devant une platée de spaghettis à la carbonara.
Apprenant que ses parents sont fous d'inquiétude, le petit ogre rentre chez lui et annonce à sa famille qu'il existe un monde merveilleux, coloré, parfumé et enjoué autour d'eux ! Plus besoin de se cacher, il faut croquer la vie à pleines dents. Bon point pour cette histoire qui rappelle la richesse culturelle en s'ouvrant aux autres et donne ainsi le goût des voyages avec ce jeune héros fétiche du magazine Les Belles Histoires. Tout simplement, adorable.
Le petit ogre veut voir le monde, de Marie-Agnès Gaudrat & David Parkins
Bayard jeunesse, 2017
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Ce matin, dans la forêt, les maisons s'éveillent sans se douter du branle-bas à venir - une tempête est annoncée ! Tout le monde se prépare au mieux pour affronter le choc. Seulement, dans le brouillard, deux frères se profilent et toquent à chaque porte pour quémander un peu de chaleur. Mais les portes restent closes. Les familles ont peur, elles s'enferment à double tour et tremblent pour leurs provisions, leur tranquillité, leur confort. Seul Petit Renard est sensible à la détresse des deux étrangers et leur confie une petite lanterne pour égayer leur soirée.
Outre son message prônant la tolérance et la solidarité, l'album nous touche aussi pour ses belles illustrations à l'encre et à l'aquarelle. Visuellement, c'est magnifique. Émotionnellement, l'histoire inspire une grande empathie. Elle ne cherche pas à condamner, ni à juger. Elle raconte simplement les aléas de la vie, un soir de tempête, un coup dur, une fraternité et un chant d'espoir. C'est un très bel album, d'une sensibilité et d'une justesse bouleversantes. À découvrir.
L'abri, de Céline Claire & Qin Leng
bayard jeunesse, 2017
crédit photo : Livres et merveilles