grAAl nOIr
C'est en cherchant un autre livre sur le roi Arthur que mon regard s'est posé sur Graal Noir de Christian de Montella. Un livre vraiment tout noir, par son apparence (allez juger en librairie), de quoi vous faire fondre d'envie et de curiosité. Le contenu, lui aussi, vaut le détour. C'est l'histoire de Merlin. Oui, Merlin l'enchanteur. Mais il s'agit en fait de la jeunesse de Merlin, il aurait ici approximativement dix-huit ans. Il est accompagné de maître Blaise lorsqu'il arrive à Caer Lûdd, le château du roi Uther. C'est jour de fête. Maelgwyn le Gallois rouge, également le meilleur ami du roi, rentre de sa mission avec le fils du Diable enchaîné, prêt à servir de sacrifice. Car le roi a des soucis avec sa tour du Val Vert qui ne cesse de s'écrouler. Dans le grimoire, qui a déjà permis à Uther d'accéder au trône en assassinant son père, il est écrit que l'épandage du sang du fils du Diable permettrait de conjurer la malédiction. Bouche en coeur et sûr de lui, Merlin se présente et fait son show. Il connaît le passé, peut prédire l'avenir et avertit le roi Uther que l'être le plus proche de son coeur le poignardera dans le dos. La vieille reine Gwenhwyar incite son fils à ne pas croire les balivernes de Merlin, qui serait, selon elle, un instrument des druides.
Un vrai nid à complots, trahisons et autres manipulations que tout cela ! J'ai halluciné, et savouré. A ceci, s'ajoute la touche sensuelle, belle et dangereuse de Pamina, délicieuse créature diabolique qui s'est jouée de Merlin et ne compte pas en rester là. C'est vraiment captivant. Et ensorcelant. Merlin ne ressemble pas à l'image qu'on connaît de lui : c'est un jeune homme arrogant, séducteur et insolent, il plaît et il déchaîne les passions. Il possède déjà beaucoup de pouvoirs, mais n'a pas encore rencontré Myrghèle, pour atteindre le paroxysme de ses capacités. Il ne s'agit que du premier tome d'une trilogie qui promet de bien belles heures de lecture. L'histoire se termine sur la rencontre avec Morgane, la belle et redoutable magicienne... brrr j'en ai des frissons. Vivement la suite.
Graal Noir (Le fils du Diable) - Christian de Montella
Flammarion (2010) - 324 pages - 13€
dès 14-15 ans.
(...) parfois, les rêves se réalisent vraiment.
Tout commence par un blog : Trois Voeux. Rose, une adolescente de seize ans, affiche les siens : gagner une fortune au loto, avoir une paire de chaussures argentées et souhaiter que quelque chose de fantastique se produise. Peu de temps après, elle reçoit une invitation pour venir en France rencontrer son grand-père, le comte Valentin du Merle de la Tour d'Argent. La nouvelle fait l'effet d'une bombe ! Rose, dont les parents sont décédés dans un accident de voiture, se découvre une généalogie bien pompeuse et, sous l'insistance de sa tante, accepte de s'exiler (elle vit en Australie). A elle la vie de château ! Sur place, elle ne cesse d'être éblouie et séduite. Et comme l'indique la couverture, il y a bien deux garçons pour faire battre son coeur - l'un est Charlie, le fils de la secrétaire particulière de son grand-père (une femme très froide, surnommée la reine des neiges), l'autre est Paul, dont l'histoire de famille est fortement entremêlée avec celle des châtelains. Dans ce petit coin de paradis, les rancunes demeurent. La présence de Rose n'est pas au goût de tout le monde, puisque depuis son arrivée la jeune fille se sent la cible de menaces et de tentatives de meurtre.
C'est bien gentil, tout mignon, proche du Journal d'une princesse de Meg Cabot mais en beaucoup moins enlevé et pétillant. J'ai trouvé le texte un peu lourd, voulant se prendre presque trop au sérieux (il lui manque de l'humour pour le rendre attachant et léger). Un peu comme de la chick-lit, mais non. Certes, l'histoire respire le parfum du conte de fées, avec all's well that ends well. En plus, on trouve un zest d'intrigue à suspense avec des secrets de famille, un troll sur le net et un type qui harcèle notre héroïne aux abois. Le niveau est sympa, mais pas transcendant. La couverture, comme toujours dans la collection Bliss, est signée Pénélope Bagieu.
Ah bon ? La vie contient des éclats de magie, même s'ils sont différents de ceux des contes de fées.
Vrai ! Le monde d'Internet est vraiment bizarre. J'ai parfois l'impression qu'il s'agit d'un pays de contes de fées. On y trouve des trolls, des pirates, des zombies, des gens qui empruntent de fausses identités et d'autres qui transforment leur apparence. Il existe aussi tout un tas de méchants prêts à piéger les gens trop confiants, et de bonnes fées qui peuvent vous changer la vie. On peut s'y faire des amis invisibles, sans jamais les rencontrer. Et il semble y règner toute une gamme de magie étrange - bienfaisante ou maléfique.
Paul, Charlie et Rose ! ~ Isabelle Merlin
albin michel, coll. bliss (2010) - 390 pages - 15€
traduit de l'anglais (Australie) par Marie Cambolieu
à partir de 12 ans
Vis comme si tu étais dans une histoire. Vis une aventure.
Nous sommes dans le Northumberland, dans la campagne proche de Newcastle. C'est l'été, il fait chaud, très chaud. Liam et son ami Max explorent le jardin où ils déterrent un couteau avant de suivre un choucas qui les conduit vers un bébé abandonné.
Ce n'est qu'un début, le début d'une histoire incroyable, car Liam va ensuite rencontrer Oliver et Crystal, deux oisillons égarés, placés en famille d'accueil. Ils ne veulent plus de cette valse des foyers, ils ont besoin de s'évader et comptent sur Liam pour les aider.
Dans le même temps, Max s'éloigne de plus en plus, le garçon a d'autres priorités (les études, les filles) et partage moins les centres d'intérêt de Liam. Un autre camarade, Gordon Nattrass, traîne souvent dans les parages mais agace prodigieusement Liam. Nattrass est dingue, imprévisible et dangereux. Sa dernière lubie, prouver que l'art est bidon, que le public est fasciné par l'horreur et le morbide. (Bien évidemment, les parents de Liam sont tous deux artistes - son père est écrivain, sa mère expose des peintures ou des photographies dans des galeries.)
Le lecteur se sent légèrement paumé au coeur de toutes ces vies, ces rencontres et autres va-et-vient, mais aussi singulier que puisse paraître le récit, il n'en demeure pas moins scotchant ! C'est la faute de David Almond, cet homme est remarquable, c'est un écrivain qui ne cesse de me surprendre et dont le style, impeccable, irréprochable, élégant, faussement simple, nous happe aussitôt. J'ai beaucoup aimé son roman, de là à dire que j'ai été "imprégnée", il n'y a qu'un pas...
Car on trouve dans le livre une folle théorie à ce sujet (imprégnation, d'où le titre), fantasque mais fascinante, tout comme un passage sur les forces du mystère et de la magie, alors que le livre ne baigne pas du tout dans le fantastique. Au contraire, il est plutôt question d'enfance à quitter, d'adolescence en crise, de violence latente, de guerre, d'adoption, de repères en déroute. C'est signe que cette lecture brasse beaucoup de sensations, aborde des idées, des envies et le lecteur sera heureux - ou non - de les partager. Pour moi, cela a été une lecture envoûtante. De plus, le texte est écrit au présent, du début à la fin, cela donne un relief particulier à l'histoire en la rendant plus forte à l'esprit du lecteur. On aime ou on reste sur le côté.
Imprégnation ~ David Almond
Gallimard, coll. Scripto (2010) - 268 pages - 11€
traduit de l'anglais par Diane Ménard
Je ne veux pas redevenir un petit garçon, et en même temps, j'aimerais bien. Je veux être à la fois comme j'étais alors, comme je suis maintenant, comme je serai plus tard. Je veux être moi, et rien que moi. Je veux être aussi fou que la lune, aussi sauvage que le vent, aussi calme que la terre. Je veux être tout ce qu'il est possible d'être. Je grandis, et ne sais pas comment grandir. Je vis, mais je n'ai pas encore commencé à vivre. Parfois je disparais simplement de moi-même. Parfois, c'est comme si je n'étais plus du tout dans le monde, comme si je n'existais pas. Mes pensées dérivent, et les visions qui apparaissent me semblent extraordinairement nettes.
Alors, ces Quatre Filles, roman mièvre, féminin et bien-pensant ?
Non ! non ! non ! Je n'avais jamais lu le roman de Louisa May Alcott, son plus célèbre roman, Little Women, mais j'avais vu l'adaptation cinématographique de Gillian Armstrong (1995), que j'avais adorée. La nouvelle édition traduite et abrégée par Malika Ferdjoukh s'est donc efforcée de rattraper cet oubli et de corriger un sentiment erroné, à savoir que Little Women était un roman mièvre, féminin et bien-pensant. Cela n'est finalement pas du tout le cas !
Tout est de la faute de Pierre-Jules Hetzel, le traducteur, qui en 1872 a livré une adaptation très personnelle du roman de Louisa May Alcott (chaplain a été traduit par docteur, un terme qui demeurera ancré à jamais pour désigner l'oeuvre à travers le monde francophone). Il ira même jusqu'à se l'approprier sous le pseudonyme de P-J Stahl. Tout ceci est expliqué en détails dans l'introduction de Malika Ferdjoukh. Bénie soit-elle. Elle a dépoussiéré ce classique en livrant une version joyeuse, enfantine et pleine de bons sentiments. Cela a toujours été ainsi, certes. Mais j'ai trouvé en plus une fraîcheur dans l'histoire, que je connaissais pourtant par coeur, un souffle de légèreté, un air enlevé et pétillant. Jamais niais, bien au contraire. C'est pur, charmant et gracieux.
Et la vieille tante March qui serine que “dans une masure, l'amour fait toujours faillite”. Taratata. Les filles March nous prouvent le contraire. Elle sont pauvres, le père est à la guerre, son absence pèse mais les ressources ne manquent pas. Et puis, Laurie et son grand-père se révèlent des voisins attentionnés. Ah ! Laurie... j'avais oublié mon béguin. Triple soupirs. Je ne pardonnerai jamais Louisa May Alcott d'avoir osé briser le coeur de milliers de lectrices, heureusement ce roman (une suite n'était pas encore envisagée) nous ôte toutes nos pertes d'illusions. Et c'est sur de doux espoirs que nous refermons les dernières pages...
Jo alla s'installer dans son fauteuil préféré, avec un air grave et serein qui lui allait plutôt bien ; Laurie vint s'appuyer derrière elle, le menton touchant presque ses boucles ; il hocha la tête et lui adressa un sourire plein d'affection à travers le grand miroir qui les réfléchissait tous deux.
Cette délicieuse parenthèse (j'assume être une midinette) n'enlève pas la part de sérieux qu'offre le roman. Il est bien évident que c'est une dénonciation de la condition féminine dans la société puritaine de l'Amérique du XIX° siècle. Et Jo March, à travers laquelle s'exprimait l'auteur, est une formidable rebelle, une passionnée qui agit en garçon manqué en rêvant d'indépendance.
Jo rêvait d'un grand accomplissement. Lequel ? Elle l'ignorait encore, mais fulminait de ne jamais pouvoir lire, courir, ou monter à cheval autant qu'elle l'aurait voulu. Son caractère emporté, sa langue bien pendue, son esprit qui moulinait sans repos lui valaient souvent des ennuis, et sa vie était une succession de hauts et de bas cocasses ou pathétiques.
A lire ou relire. Il n'est jamais trop tard.
Les quatre filles du pasteur March ~ Louisa May Alcott
édition traduite et abrégée par Malika Ferdjoukh
Classiques abrégés de l'école des loisirs (2010) - 235 pages - 6,00€
Cette collection se propose de rendre accessibles aux jeunes lecteurs de grandes oeuvres littéraires. Il ne s'agit jamais de résumés, ni de morceaux choisis, mais du texte même, abrégé de manière à laisser intacts le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l'auteur.
illustration de la couverture : August Macke, Vier Mädchen
Personne ne revient des Enfers.
Ne serait-ce point une couverture illustrée par Benjamin Lacombe ? Si, si.
Est-ce sa faute si j'ai voulu découvrir ce roman ? Oui, un peu. Beaucoup.
Et j'aime quand le hasard se révèle si profitable car j'ai beaucoup apprécié Jack Perdu et le royaume des ombres.
C'est l'histoire d'un garçon de quatorze ans, Jack, qui vit avec son père à New Haven sur le site de l'université de Yale, où son père enseigne l'archéologie. Sa mère est décédée huit ans plus tôt, alors qu'elle était à New York et qu'un échafaudage s'est écroulé sur elle. Son absence pèse beaucoup à la maison, d'autant plus que c'est un sujet inabordable. Son père est trop triste d'y repenser et ne veut plus en entendre parler. Soit.
Un jour qu'il se promène le nez plongé dans Ovide, car Jack est un passionné de lettres classiques, il ne voit pas la voiture au moment de traverser et se fait renverser avec un beau vol plané. Le garçon s'en sort sans un bleu, mais son père préfère l'envoyer chez un médecin à New York pour plus de sécurité.
Le docteur Lyons le trouve en pleine forme, se contente de le prendre en photo avec un vieux Polaroid, merci, au revoir. Retour à la case Grand Central où son train l'attend. C'est alors que Jack fait la connaissance d'une écolière qui se prénomme Euri. Elle l'invite à le suivre, lui proposant de visiter les sous-sols de la gare. Jack accepte.
A ce stade, cinquante pages ont déjà été lues. C'est le feu vert pour aller encore plus loin, pour découvrir ce qui attend Jack au-delà du quai soixante et un. Le royaume des ombres, on s'en doute. Mais quel est-il ? J'ai envie de laisser le doute flotter. Envie de vous livrer à la totale inconnue - comme moi, au départ. Envie de vous inviter à prendre la corde et de suivre le chemin. N'ayez aucune crainte, la plongée sera sans douleur, juste excitante et pleine d'enchantement. Car au bout du tunnel, la découverte est riche, vraiment étonnante, avec ses théâtres, ses bars, ses bibliothèques et ses clubs des poètes disparus. Règne aussi un soupçon d'interdit et de menace - Cerbère, le chien à trois têtes, et son Gourdin de maître sont toujours dans les parages pour mettre la main sur les resquilleurs. Car, Jack a pénétré un monde censé être invisible aux yeux des mortels. Ce sont les Enfers de New-York. Pourquoi, comment. C'est énorme à expliquer. Une seule chose compte : Jack a enfreint les lois du royaume souterrain dans le seul but de retrouver sa mère, Anastasia.
C'est un roman vraiment passionnant, qui revisite l'histoire d'Orphée et Eurydice, en s'appuyant sur d'autres anecdotes issues de la mythologie grecque, en plus de quelques emprunts à la poésie (John Donne, Emily Dickinson, Dylan Thomas et même Tennessee Williams). Ce fut une plaisante et enthousiasmante découverte, qu'illustre à merveille la couverture de Benjamin Lacombe.
Une suite a été publiée en 2009 (sortie USA) : The Twilight Prisoner. Une traduction française est-elle envisagée ?
Jack Perdu et le royaume des ombres ~ Katherine Marsh
Albin Michel, coll. Wiz (2008) - 250 pages - 12€
traduit de l'anglais (USA) par Luc Rigoureau
A partir de 14-15 ans.
Banal certes, mais il vient de Chine, et un timbre chinois a une valeur négociable dans une cour de récréation.
Chaque quinzaine, Fengfeng lui envoie tous les petits mots qu'il lui a écrits. Ce sont des miettes de sa vie qui, mises bout à bout, font une lettre. Ce soir, il la termine :
Grand-mère, aujourd'hui, on a souhaité l'anniversaire de maman avec un énorme gâteau à la crème, et avant, on avait dîné au restaurant de papa. Et aussi, maman est allée se faire friser les cheveux, et ça lui va très bien. Tu vois qu'on s'amuse tous les trois ! Fais bien attention à ta santé ! Fengfeng
Et plus tard, dans le carnet jaune, il note, en tout petit :
Maman s'est fait faire des boucles si raides que je trouve ça affreux, et toi, grand-mère, tu détesterais aussi, j'en suis sûr ! Papa avait imaginé lui offrir une machine à faire des nouilles ! Il est pas fichu de lui faire plaisir ! Tout ça me rend triste.
Arrivé depuis trois ans en France avec ses parents, Fengfeng a le mal du pays en pensant à sa grand-mère. Il lui écrit des lettres où il édulcore son quotidien, faisant passer sa nouvelle vie merveilleuse et idyllique, mais en cachette, il tient un carnet secret où il raconte la réalité : solitude, dépaysement, incompréhension, clivage culturel et générationnel. Fengfeng est un garçon obéissant, un très bon élève qui a su rattraper son niveau et égaler les meilleurs, c'est un exemple et pourtant il se sent mal dans sa peau. A l'école, il n'a pas d'amis. Il reçoit même des menaces et des insultes le traitant de chinetoque. Il n'en parle pas à ses parents, lesquels ont aussi leurs propres secrets. Sa mère travaille comme une malade sur sa machine à coudre et son père rentre tard du restaurant où il est employé et passe ses soirées à l'extérieur sans plus d'explications. La vie à Paris n'est vraiment pas rose ! Fengfeng ne veut pas faire de peine à sa grand-mère, la faisant mijoter dans sa douce illusion d'une vie en carton pâte. En vrai, Fengfeng n'a jamais quitté son quartier du XIII°, il ne connaît pas la Tour Eiffel, son quotidien est toujours englué dans un sectarisme figé et rien, absolument rien, ne laisse présager d'un lendemain meilleur.
Anne Thiollier a écrit un roman qui raconte comment on se sent dans la peau d'un jeune immigré, totalement déphasé par le choc culturel. La personnalité de Fengfeng est très attachante. Au départ, le garçon est calme, obéissant, il pose des questions mais il n'ose pas encore contester l'autorité parentale. Un peu grâce à ses rencontres, et à son amitié avec un camarade de classe, Fengfeng va comprendre le monde qui l'entoure, comprendre qu'il peut s'affirmer et faire face à la réalité sans voir son univers s'effronder, c'est un garçon intelligent et jalousé car il réussit là où d'autres échouent. Il comprendra aussi que certains connaissent un sort affligeant à cause de l'esclavagisme ou de la clandestinité, et que sa propre culture chinoise peut également briser certaines familles (pour des histoires de clans ou de mariage). Le roman se termine sur une note d'espérance et de foi en la vie qui fait plaisir à lire.
La dernière phrase : Et le bouillon pour les pâtes commence à embaumer la pièce.
Miettes de lettres ~ Anne Thiollier
Seuil jeunesse, coll. chapitre (2010) - 172 pages - 8,50€
illustration : Barroux
A partir de 11 ans.
La femme-cuivre avait les yeux verts et les cheveux rouges, comme toi. Et elle était malheureuse, parce qu'elle était très seule
Six mois ont passé depuis le décès de sa maman, Sofie traîne toujours un spleen lourd comme les pierres. Elle s'isole pour peindre, avec son père elle se sent pataude et n'arrive pas à nouer avec lui une relation de confiance. Cherchant à faire des efforts, celui-ci lui propose de l'accompagner en Amérique du nord où il part photographier la péninsule Olympic avec ses glaciers, sa forêt pluviale, la côte pacifique et ses Indiens pêcheurs. Oui, la péninsule Olympic... Jacob Black, where are you ? Les lecteurs de S. Meyer ont vite tilté.
Et j'avoue que le décor participe au charme de la lecture, c'est absolument merveilleux, nous sommes à Neah Bay, le centre de la réserve des Makah, où Sofie et son père séjournent au motel. L'adolescente de quinze ans rencontre Javid, le fils de la propriétaire, et tombe sous son charme. C'est tout nouveau pour elle, ne nous emballons pas, Sofie souffre de solitude et manque de confiance en elle. En Allemagne, chez elle, son physique osseux n'attire pas les regards, la jeune fille est transparente et n'a pas d'amis. Qu'un garçon aussi beau que Javid, plus mature aussi que ceux de son école, puisse s'intéresser à elle la fait d'abord douter. Petit à petit, elle va mettre de côté ses peurs et sortir de sa coquille tant elle va se sentir à l'aise avec lui.
Et c'est un premier amour touchant, balbutiant mais pas mielleux qui voit jour au fil des pages, le lecteur suit les prémices de la relation et les émotions de la narratrice avec grand plaisir, l'histoire est simple et très belle pour cela. De plus, je le répète, le décor est absolument envoûtant. Imaginez des orques qui viennent tourbillonner près des embarcations, de quoi faire pâlir de peur... Le lecteur plonge aussi au coeur de la vie des Makah, la chasse aux baleines qui revient dans les discussions entre Javid et Sofie, où il est question de culture, de compréhension et de partage. Les paysages, également, sont fascinants, même si la météo est capricieuse et moribonde, cela n'enlève rien à la beauté alentour. Du moins, j'avais l'impression d'y être.
Je savais que j'allais aimer ce roman, et je voulais l'aimer aussi, car je trouvais la couverture très jolie. Le reste, bien sûr, a su me ravir : le portrait d'une adolescente toute recroquevillée sur elle-même et qui, sous nos yeux, apprend à déployer ses ailes est d'une grande justesse. Je suis sûre que les plus jeunes lecteurs y seront sensibles.
A conseiller dès 12 - 13 ans.
Le chant des Orques ~ Antje Babendererde
Bayard jeunesse, coll. Millezime, 2010 - 390 pages - 11,90€
traduit de l'allemand par Marie-José Lamorlette
illustration de couverture : Pietari Posti
Antje Babendererde est également l'auteur de Lune indienne.
Coup de coeur pour Denali.
(...) c'est parfois difficile de se comporter en homme.
Comment réagiriez-vous si votre père, celui que vous pensiez ouvert d'esprit et tolérant, se révélait odieux et raciste ? Simplement parce qu'il annonce à table que son amoureuse s'appelle Djamila, Damien voit son monde s'effondrer. " Tu sais, moi, les Arabes, je les aime beaucoup à la télé, surtout dans un match de foot de l'équipe de France, mais pas trop chez moi." Bonjour l'ambiance ! Aux yeux de Damien, rien n'excuse les paroles blessantes du père. Sa mère a beau le défendre et accuser le mauvais revers rencontré depuis la faillite de l'entreprise familiale, son père n'est qu'un pauvre type, il a baissé les bras et, sous prétexte qu'il se fait honte, a adopté l'attitude du loser de première. C'est un fait qui écoeure notre lycéen, lui l'élève brillant qui s'offre des joutes verbales de haute volée avec sa prof de français. Et lorsque son père est renversé par une voiture, après une énième altercation avec les siens, Damien se sent responsable et coupable de nourrir des sentiments aussi exacerbés.
L'adolescence dans toute sa superbe ! Damien est à un âge où chaque cause mérite qu'on la défende à cor et à cri. Les émotions sont à fleur de peau. Les élans du coeur passionnés et passionnels. Pas de place pour la demi-mesure. Damien aime et déteste à la puissance 1000. Toute cette histoire - en plus des terribles révélations qui suivront le coma du père - le force à s'arracher douloureusement du cocon de l'enfance en plongeant dans des secrets de famille qui ébranlent ses convictions, les liens entre père et fils sont recalculés, les vérités sont-elles bonnes à dire ou à entendre ? Même Djamila, la petite copine, y va de sa confidence... Un mal difficile à cadrer dans l'histoire, à mon goût. C'est mon seul bémol, le sentiment que le récit assume soudainement trop de responsabilité alors que le roman est court, moins de 130 pages, et la boucle est bouclée.
Le roman est une course perpétuelle de savoir et de révélation, une quête de la vérité qui ne laisse pas indemne. La lecture invite à réfléchir et à se poser des questions sur ce qui nous lie, en famille ou en amour, en amitié aussi. Je ne m'y attendais pas du tout en l'ouvrant, alors que je jetais un oeil aux premières lignes, je me suis vue plonger dans le livre sans pouvoir me l'arracher des mains. Paf, j'étais dedans, complètement scotchée. J'ai aussi beaucoup apprécié le style de l'auteur, même si c'est peu probable d'imaginer un adolescent employer de si belles envolées lyriques. Un très bon livre de la collection Rat Noir chez Syros (une collection qui offre souvent de plaisantes découvertes).
Personne n'est parfait ~ Patrick Mosconi
Syros, coll. Rat Noir, 2010 - 128 pages - 10,20€
illustration : Olivier Balez
Son pays à lui, c'est la planète entière.
Sur le parvis de Notre-Dame de Paris, un mois d'avril 1934, la police sème le trouble durant la cérémonie où quarante hommes attendent d'être ordonnés prêtres. Parmi eux, Vango, dix-neuf ans, s'incline devant le cardinal en présentant ses excuses, avant de fuir par les airs. Agile, souple et virevoltant, il s'échappe par les toits de la cathédrale, au nez et à la barbe du commissaire Boulard. Une silhouette dans la foule tremble, tandis qu'une main invisible a brandi une arme et vise la silhouette du fuyard.
A l'image de Vango, le roman n'aura de cesse de sautiller, de vagabonder, de surprendre et de nous étonner. Qui est ce Vango, quel est son crime, pourquoi toutes les polices le cherchent, de France en Allemagne, en passant par la Russie et les îles de Sicile ? ... Car Vango avance dans la vie en effaçant ses traces. L'histoire, elle, tente de rassembler les petits morceaux du puzzle et le lecteur en a l'appétit aiguisé. C'est prodigieux. A en avoir presque la larme à l'oeil. Vous décrire ce plaisir de lecture est d'ailleurs sans fin.
Timothée de Fombelle confirme, après la beauté de Tobie Lolness, qu'il est un grand écrivain. Il manipule ici la plume avec légèreté, cocasserie, passion et émotion, on ressent ce bonheur de l'écriture, c'est un partage unique et palpable. J'ai ainsi dévoré le roman avec gourmandise, savouré les pleins et déliés de ce texte qui est absolument époustouflant. L'aventure de Vango se laisse conter avec une simplicité toute émoustillante, le rythme est haletant, l'intrigue très bien tissée, le lecteur est pris aux pièges, séduit d'emblée par la galerie des personnages, des héros ou des maquereaux, au choix, mais tous savent nous accrocher, nous attirer et nous questionner. Ce roman n'est pas unilatéral, il est mystérieux et ambitieux, parfaitement réussi car envoûtant. Il ressemble à son héros, Vango, dont il est dit dans le livre que c'est un caméléon globe-trotter qui tire une langue multicolore.
Qu'est-ce que c'est beau. Je suis sous le charme et encore éblouie par cette merveilleuse rencontre ! Et ce zeppelin en couverture vous invite au voyage et à mille autres explorations...
J'ATTENDS LA SUITE AVEC IMPATIENCE !
Vango, tome 1 : Entre ciel et terre ~ Timothée de Fombelle
Gallimard, 2010 - 370 pages - 17€
illustration de couverture : Blexbolex
Comme moi, Lili O. a été conquise ... J'avais glissé en amuse-bouche quelques extraits ICI.
Les histoires d'amour, c'est un jeu, rien qu'un jeu.
Qu'est-ce que j'aime les couvertures de la collection Black Moon !
Dernier né de l'écurie, Le Baiser de l'Ange (Kissed by an Angel) a été publié cinq ans après la sortie du film Ghost. Pourquoi je vous raconte tout ça, mais parce qu'il me semble que le film a été la principale source d'inspiration de l'auteur ! Plus d'une fois, je m'y suis revue : Sam et Molly, leur grand amour, la mort, lui qui devient fantôme et communique avec une médium un peu barrée, sa mission est d'aider sa dulcinée car elle court un grave danger. Et blablabla. Normal d'être un chouia surprise lorsque, à la place de Sam et Molly, vous prenez Tristan et Ivy. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont amoureux et un accident les sépare. Cette fois, pas de fantôme à l'horizon mais un ange. Avouons que c'était couru d'avance, tant l'histoire répète la passion ô combien envahissante d'Ivy pour les anges !
L'histoire n'est donc nullement originale mais le roman s'avère tendre et touchant, ce qui n'a pas manqué de me plaire. A vrai dire, ce premier tome flirte avec des scènes légères et drôles pour nous raconter une romance adolescente, on ne tombe pas à la renverse mais c'est joli. Ce qui m'apparaît davantage captivant se trouve dans le mystère que soulève Tristan sur son accident. Un voile sombre était déjà apparu - le jour de l'anniversaire du jeune Philip - plaçant le lecteur dans la délicate posture de dévisager tous les personnages de façon suspecte.
Voilà qui m'interpelle assez pour vouloir connaître la suite... La parution des deux tomes suivants est rapprochée : juin et octobre 2010. Sachez aussi que l'édition originale a rassemblé les trois romans (Kissed by an Angel / The Power of Love / Soulmates) en un seul volume.
Le Baiser de l'Ange ~ Elizabeth Chandler
Hachette, coll. Black Moon, 2010 - 230 pages - 14€
traduit de l'anglais (USA) Catherine Guillet