14/05/09

Les arbres pleurent aussi ~ Irène Cohen-Janca

Illustrations de Maurizio Quarello

Dans la cour de la maison 263 Canal de l'Empereur, à Amsterdam, un marronnier est témoin de la vie clandestine d'une jeune fille de 13 ans. Nous sommes en 1942, et Anne vient d'arriver dans la maison après une longue marche sous une pluie battante. Dans son cartable, elle a un cahier qui va devenir son journal intime...

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Encore un ouvrage essentiel, qui traite avec pudeur et justesse de l'Holocauste. Inutile de préciser qu'il se destine à tous.
Pour une question d'originalité et de distance, Irène Cohen-Janca a choisi un marronnier pour être le narrateur de cette triste histoire, du moins triste et grise, mais pas pathétique ou misérable. Parce que le marronnier est souvent cité dans le journal d'Anne Frank, il était intéressant d'avoir l'autre versant de l'histoire, celui de l'observateur observé. Des citations du journal sont donc reprises et montrent à leur façon le cycle de la vie, on découvre un arbre dénudé aux branches, puis totalement en fleurs et bourré de feuilles, et revient l'hiver, le froid, le printemps, l'arbre passablement vert et les premiers bourgeons...
Le marronnier raconte la vie des hommes qui jouent à la guerre et décrètent que les juifs ont interdiction d'exister, il soupire face aux hordes de soldats qui embarquent des hommes, des femmes et des enfants, sans grand espoir de retour... Il est témoin impuissant, muet. Pour lui aussi le temps va passer, il a 150 ans et il est malade de l'intérieur. Avant d'être abattu, il veut raconter son histoire, car  « j'ai donné à une petite fille de treize ans, captive comme un oiseau en cage, un peu d'espoir et de beauté. A elle qui, dans sa cachette, rêvait de sentir sur son visage l'air glacé, la chaleur du soleil et la morsure du vent, j'ai donné par mes métamorphoses le spectacle des saisons. »
Le spectacle de la vie.

Rouergue, coll. Varia, 2009 -  40 pages - 14€

d'autres pistes de lecture :

anne_frank_et_les_enfants_de_la_shoah   anne_frank_journal   anne_frank_mon_amie 

 

 

A noter : 

Irène Cohen-Janca a dédicacé son album à Ilan Halimi qui porte le nom d’un arbre et qui a été tué, après 24 jours de tortures,  le 13 février 2006, jour de Tou Bishvat, le Nouvel an des arbres. Sa mère Ruth Halimi en collaboration avec  Emilie Frèche vient de faire paraître un livre au Seuil 24 jours, la vérité sur la mort d’Ilan Halimi.

Alors que le procès de ses assasins s'ouvre le 29 avril et que la semaine du 21 avril est en Israël sous le signe du Yom Hashoah, je dédie à mon tour ce billet à Ilan, à Anne, à Mona, à Hermina et à tous les jeunes gens qui n’ont pu ni vieillir ni donner de bourgeons. Que leur souvenir soit béni.
Source : Kef Israel

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13/05/09

L'histoire de Clara ~ Vincent Cuvellier

Illustrations de Charles Dutertre

histoire_de_claraClara est un bébé juif né pendant la guerre. Quelques mots qui annoncent la couleur...
La particularité de cette histoire est d'être composée de plusieurs textes qui donnent voix à différents narrateurs, créant ainsi une ambiance nouvelle, chaque histoire s'influençant d'une couleur unique, d'une langue qui n'est jamais la même, entre le ton radoteur d'une vieille dame, la parole espiègle d'une bonne soeur gourmande, l'argot paysan d'un bonhomme dans sa ferme, le babillage insensé d'une sorcière folle etc.
On commence l'histoire par une berceuse, il s'agit de la maman de Clara, elle se cache avec sa famille, grapille quelques heures de bonheur avant l'arrestation. L'enfant est sauvé in extremis, et de fil en aiguille le bébé dans son couffin sera confié entre de bonnes mains. Objectif commun : la protéger des griffes du Mal.
L'histoire rebondit sans cesse, le destin de Clara est sur la corde raide, mais chaque rencontre vaut son instant d'amour, de gloire, de tendresse, de détresse, d'incompréhension, de révolte... Le passage avec le soldat allemand, par exemple, est intéressant (et romanesque) puisque l'homme répète sans cesse « Je croyais pas que je venais faire la guerre à des enfants ». La boucle est bouclée lorsque les dernières notes de l'histoire retentissent sur la berceuse entendue au début...
Avec simplicité, Vincent Cuvellier parvient à nous raconter la guerre, l'injustice et l'ignominie. Pour cela, pas besoin de sortir les violons pour faire pleurer dans les chaumières, il suffit d'un sourire enchanteur et des yeux de bébé qui posent sur le monde un regard rempli d'inquiétude, de reproche et de colère. L'histoire se veut également drôle, et pleine d'espoir. Sans dévoiler la fin, elle nous offre un joli tableau de douceur et de silence. C'est une très belle histoire, un ouvrage qui salue la complicité entre Vincent Cuvellier et l'illustrateur Charles Dutertre, rappellez-vous de La première fois que je suis née ...

Gallimard jeunesse, coll. Giboulées, 2009  - 65 pages  -  13,50€

Je n'ai pas d'idée pour l'âge à conseiller, dans mon cas je l'ai lu à voix haute à ma fille, elle a neuf ans, et je pensais qu'elle était encore trop jeune. Je me suis totalement trompée, cette histoire a su la toucher et lui parler, même si elle est encore ignorante sur la thématique de la déportation des juifs. (J'ai trouvé dommage, par exemple, qu'en classe sa maîtresse d'école n'explique pas pourquoi le 8 mai était un jour férié, que signifiait l'armistice, et à quoi cette date correspondait, sans tomber dans le didactique, mais au moins pour informer cette jeune génération.) Il y a beaucoup de texte dans ce livre, avec parfois un vocabulaire ou un ton qui demandent un accompagnement. En quelque sorte l'histoire se présente comme une leçon sans prétention qui pourra interpeller l'enfant, l'inviter à réfléchir et - pourquoi pas ? - poser quelques questions. Je me suis rendue pour la première fois au Mémorial de Caen avec ma fille qui avait 7 ans. C'était un peu jeune. J'ai tenté de lui expliquer la guerre, à travers l'histoire de mes grands-parents, parce qu'il y a des choses incroyables à dire, mais c'est encore neuf et innocent dans sa petite tête... Mais je pense qu'il est bon de proposer des ouvrages sur la guerre et la Shoah, il y a différentes façons d'en parler et c'est un devoir de mémoire. Surtout.

A lire :   l'explication par Vincent Cuvellier lui-même sur la naissance de ce livre 

01/04/09

Le remplaçant ~ Agnès Desarthe

remplacant

Ce livre était censé être un portrait d'un pédagogue polonais, mais dès les premières pages « le lapsus a oeuvré ». Et au lieu de lire un livre sur Janusz Korzack, directeur d'un orphelinat du ghetto de Varsovie, on découvre une autre figure humaine, celle de Triple B, pas un type exemplaire, mais « un exemplaire d'homme » !

Triple B, parce qu'il avait trois prénoms, Bouz, Boris et Baruch, était donc le grand-père d'Agnès Desarthe, du moins c'était le deuxième mari de sa grand-mère. Après la guerre, elle s'est retrouvée veuve, lui aussi. Ils se connaissaient, ils ont uni leur destin. Mais Triple B reste une énigme, un homme sans histoires qui pourtant en raconte des tonnes. Alors que dans la famille, on cultive de façon très aristocratique l'art de raconter des histoires drôles, il devient un figurant de second plan. Oh, bien sûr Triple B était cocasse à sa façon, il aimait arrondir les angles, il n'était pas un bon artisan, il avait souvent les poches vides, ou alors il flambait et s'enflammait, prétendait être un héritier des grands tsars de Russie. Il était d'ici et d'ailleurs, la tête dans les étoiles, et pourtant il vit toujours dans un appartement à Paris, il est seul, il a vieilli mais il conserve toute sa lucidité quand il trouve que le bébé de cinq mois n'est pas très bavard, et j'en passe.

Figures libres, collection indépendante et rêveuse, permet à un auteur de laisser sa plume vagabonder. Agnès Desarthe s'y emploie à merveille, elle nous balade d'un bout à l'autre de ses envies, de ses souvenirs, de ses questions, de ses joies et de ses peines, jusqu'à friser l'extase avec le miracle (ou le mirage ?) de l'apfel strudel. « A cause des choses perdues et jamais retrouvées, à cause de l'enfance si lointaine. » Je ne dirai pas de ce texte qu'il est émouvant, juste ou sincère, pudique ou intelligent, il est simplement vrai. C'est un livre très court, de 87 pages, où comme l'auteur le suggère, on a plus d'une fois le sentiment de lire l'histoire d'à côté avec le héros d'à côté, celui qui est devenu le remplaçant. Bref, pour moi ce livre était incontournable parce qu'il est signé d'Agnès Desarthe, un auteur que j'affectionne particulièrement, et j'espère que vous aussi vous l'apprécierez à sa juste valeur.

Bonne lecture !

Editions de l'Olivier, coll. Figures Libres, 2009 - 87 pages - 12,50€