L'origine de la violence ~ Fabrice Humbert
Le narrateur, professeur de lettres, effectue un voyage scolaire à Buchenwald où son regard est happé par un cliché qui représente un tortionnaire nazi, médecin du camp, avec un individu dont la ressemblance frappante avec son propre père le trouble instantanément. Après quelques recherches, l'homme met à jour un secret de famille.
Et c'est pas à pas que nous suivons son enquête, il n'y a pas d'autre mot pour décrire la construction du roman, c'est minutieux, palpitant et digressif. C'est aussi subtil, intelligent et brillant. L'auteur, ou le narrateur, nous raconte son histoire comme s'il se la racontait à lui-même, pas d'effet de style trop lourd, pas de pathos, juste des faits, des noms, des anecdotes. Il remonte le temps, il recompose des visages, il expose des théories et il se perd dans le dédale de l'Histoire, dans celui des mensonges et des silences également.
Il ne s'agit pas d'un énième roman sur la Shoah, et n'attendez pas non plus que l'on vous révèle la véritable origine de la violence, tout dans ce roman est terriblement personnel. Le narrateur, en fin observateur qui veut trouver des réponses à ses questions, traite de l'origine de tous les maux, et particulièrement de cette violence qui grouille en lui depuis l'enfance, de son intérêt pour la question juive et l'horreur des camps, pourquoi s'est-il senti interpellé par ce chapitre, et comprendre aussi l'idée du Mal absolu, qu'on ressent à l'intérieur de soi, qui vous taraude et ne vous lâche plus, du genre marche ou crève... Plusieurs fois il le répète, il s'intéresse autant aux victimes qu'aux bourreaux. Pourquoi ?
C'est aussi et avant tout l'histoire banale et terrifiante d'un type très beau et ambitieux, qui voulait épouser une femme pour de l'argent, qui en aime une autre parce qu'elle est son double, et qui sera déporté dans un camp à cause de tout ça.
Notre narrateur est l'héritier de cette lourde histoire familiale, « Je suis mon grand-père livré aux bourreaux, je suis mon père frémissant d'une violence suicidaire, je suis l'héritier d'une immense violence qui traverse mes rêves et mes récits. »
Et c'est très difficile de parler d'un tel livre, il est riche en secrets et en révélations, voilà pourquoi il est nécessaire de le lire en toute innocence. C'est un roman époustouflant, qui vous agrippe et ne vous lâche plus avant la fin, et c'est fort, c'est prenant, c'est éblouissant.
Je vous le conseille sans attendre !
Et puis il y a ce petit caillou à ramasser dans sa poche :
« Des hommes et des femmes à prénom et sans prénom, à histoire et sans histoire, des bons et des mauvais, des ni mauvais ni bons, des beaux et des laids, des lucides et des fous (...) Comme nous tous, ils n'ont aucune importance particulière et chacun d'eux, pourtant, est l'âme du monde (...) »
Le Passage, 2009 - 315 pages - 18€
Fabrice Humbert est également l'auteur de : Biographie d'un inconnu (2008)
Le sabre sacré ~ Yves-Marie Clément
Jigoro, étudiant japonais de vingt ans, a perdu la vue trois ans auparavant, dans un accident qui a également coûté la vie de ses parents. Elevé chez son oncle, Jigoro est cependant totalement indépendant, il continue de pratiquer le judo, se rend au lycée seul mais a choisi de s'enfermer dans sa bulle. Un soir, il reçoit un coup de fil et apprend que son oncle est hospitalisé, victime d'une agression. La police vise le tueur en série qui sévit dans le quartier mal famé de Hara-Ga, mais Jigoro et son oncle pensent autrement. La famille possède effectivement un dojo privé, et des légendes prétendent qu'un sabre sacré y serait enterré.
Chapitres courts, narration alternée entre Jigoro et Ochika, une camarade d'école éperdument amoureuse, on entre vite dans le vif du sujet, avec une économie de mots, l'immersion dans la tête des protagonistes, la compréhension du handicap du garçon qui apprivoise son monde en s'appuyant sur ses sensations odorantes et auditives, et à ceci s'ajoutent le poids des mystères, les crimes en série, les légendes du Japon impérial, les guerres féodales, la culture judoka. Et c'est un français - Yves Marie Clément - qui nous offre cette plongée hallucinante, fidèlement retranscrite, troublante d'authenticité, pour un polar japonais efficace, froid, implacable. Belle découverte, j'ai bien aimé !
Seuil, coll. Karactère(s), 2009 - 140 pages - 8€
Couverture : Frédérique Deviller
Il était une fois... peut-être pas ~ Akli Tadjer
« toi et moi, on s'aime sans réfléchir alors on croit que dans la vraie vie c'est pareil »
Mohammed a élevé seul sa fille, Myriam, et lui porte un amour fort et absolu. En bon papa poule qui se respecte, Mohammed a beaucoup de mal à dire non, à laisser partir sa fille et à accueillir le nouvel homme de sa vie. Gaston Leroux, comme l'auteur ou la chicorée, mais pour Mohammed la réaction est virulente, « un Français de souche, blanc comme la cuvette des chiottes, franchement, tu te fiches de moi ».
En fait l'homme est jaloux. Il affiche une tête de six pieds, d'autant plus que sa fille chérie lui demande mielleusement d'héberger le fameux gus qui n'a plus de toit car il s'est fâché avec ses parents et souhaite trouver du boulot à Paris.
C'en est trop, mais Mohammed est bonne pâte. La cohabitation n'est pas rose, les deux hommes se cherchent des poux, la situation dégénère et puis c'est le calme plat, la brutale solidarité masculine parce que l'objet de leur affection, Myriam, n'est plus la même. Elle fait ses études à Toulon, elle vit seule, a gagné en indépendance et a rencontré un autre type. Le sang de Mohammed se glace, la prunelle de ses yeux lui échappe, en perdant la tête dans sa nouvelle passion qui l'endoctrine dans un culte religieux, contre tous les principes de Mohammed. L'homme se sent seul, perdu, il a pris l'habitude de se réfugier dans ses contes et légendes algériens qu'il récite aux peluches Cruella et Lucifer, des vestiges de l'enfance, mais c'est une autre histoire qui va apparaître.
Car où est la mère de Myriam ? Elle brille par son absence, et Mohammed se défile devant les questions qu'on lui pose. Toutefois, pour sauver sa Myriam, il est prêt à raconter la vraie histoire, à ranger au placard ses histoires à dormir debout.
Ce roman est d'une grande beauté, écrit avec humour et sensibilité, il raconte avec exactitude l'amour d'un papa pour son enfant unique. On a parfois le coeur gros ou le sourire aux lèvres, mais on ne décolle pas une minute son nez des pages. C'est une histoire incroyable, que j'ai découverte avec plaisir.
En plus d'un amour fusionnel, le livre rapporte une histoire familiale pas banale et une aventure humaine pleine de couleurs. Mohammed est un narrateur bougon mais attachant, ce n'est pas le type le plus sociable de la planète mais il se soigne. Il a aussi une façon de parler qui n'appartient qu'à lui, employant des expressions très drôles, « quel est l'intérêt d'avoir inventé ces contes et légendes si tous mes personnages doivent se ressembler comme des petits pois alignés les uns derrière les autres » ou «c'était d'une misère à se foutre à l'eau le pavé autour du cou ». Ses bons mots nous charment, en plus ils sont terriblement vrais, « c'est de l'antagonisme que naissent la beauté et la richesse » et aussi « il n'y a pas de race pure, il n'y a que la bêtise humaine qui le soit ».
J'ai follement aimé ce roman, je ne connaissais pas Akli Tadjer, mais c'est un auteur que j'inscris d'office dans mes incontournables, à suivre, à découvrir.
JC Lattès, 2008 - 325 pages - 17€
Lu pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com
L'orgue de Quinte ~ Hervé Picart
Frans Bogaert est en vacances à Provins. Il a confié sa précieuse boutique brugeoise, l'Arcamonde, aux mains de son assistante, la troublante et délicieuse miss L. (double parfait et confondant de l'actrice Lauren Bacall). Frans séjourne dans la maison de Lamartine avec son beau-père, Victor Brunel, qui vient d'emménager en France pour une raison personnelle (la disparition de sa fille, en fait) et se révèle un compagnon érudit et passionnant dans la cité provinoise.
Sur la place du marché, un dimanche matin, l'antiquaire fait la trouvaille d'un objet curieux, vendu comme étant l'orgue à liqueurs de des Esseintes (célèbre personnage du roman d'Huysmans). Bogaert flaire l'arnaque et marchande l'objet car sa curiosité est piquée au vif, il veut connaître le secret de cet objet. Avec délicatesse, il va le dépouiller, le caresser d'un fin pinceau et révéler des initiales gravées. Mais les découvertes ne s'arrêtent pas là !
Cette série décrite comme un roman-feuilleton en douze épisodes est définitivement un rendez-vous incontournable ! Ce volume 2 nous offre une aventure encore plus singulière, qui fourmille de passion, d'érudition et d'énigmes !
On retrouve avec bonheur le personnage de Frans Bogaert, l'antiquaire perspicace et gourmand de savoir, dans un cadre qui n'est plus Bruges (qui n'est pas totalement absente, merci la sublime Lauren qui intervient avec brio et beauté !). Provins n'a pas à rougir et se montre à la hauteur de toutes les espérances. La ville offre un cadre idyllique et historique, chargé de mystères, idéal pour alimenter l'intrigue, qui est tout bonnement extraordinaire, riche et excitante. On découvre l'histoire étonnante d'un maître-verrier, obsédé par sa quête du cristal parfait, mais inutile d'en lâcher plus.
Entre les lignes, on commence à percer une autre piste sur la disparition de Laura Bogaert, l'épouse de l'antiquaire, ce mystère (cf. Le dé d'Atanas) figure comme un fil rouge et la suite promet monts et merveilles. Comble de tout, ce texte est servi par une plume à faire pâlir d'envie, le style d'Hervé Picart est léché, fluide et agréable. Un régal.
Ne résistez plus ! C'est une perte de temps et d'énergie. Une impardonnable erreur, en plus !
Le Castor Astral, 2009 - 216 pages - 13€
Déja annoncés : Le coeur de gloire (tome 3) en novembre 2009 - La pendule endormie (tome 4) en mars 2010.
L'Arcamonde vous ouvre ses portes : http://arcamonde.hautetfort.com
Les recettes de l'Arcamonde :
« Victor Brunel a tendu à son beau-fils un élégant verre ballon où danse un précieux liquide doré, qui happe la lumière pour mieux scintiller.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Du vin de glace. Cela ne peut que vous réchauffer, non ?
- Du vin de glace ? s'étonne Bogaert. De quoi s'agit-il ? Encore une de ces richesses de bouche de nos amis français ?
- Tout à fait. Ce régal est le produit miraculeux de la plus tardive des vendanges. Les vignerons alsaciens attendent que les premières fortes gelées viennent crisper les derniers pampres. Sous la peau fripée du raisin se produit alors une exceptionnelle concentration des sucres. Ainsi s'élabore ce divin breuvage, à mi-chemin entre un Riesling ancien et un vin de paille. »
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« Bogaert a commandé une grouse à l'hydromel. Il attaque la bête avec un bel entrain, la narine tout émoustillée par le fumet aigre-doux qui monte de son assiette. La chair du gibier, à l'arrière-goût de réglisse, se marie à merveille au miel de la sauce. Le régal lui fait baisser paupière.
- Excusez cette faiblesse, croit-il bon d'ajouter aussitôt, de peur de paraître excessivement ridicule ou gourmand. Ce plat est somptueux. Vraiment, cette grouse me grise. Vous auriez dû vous laisser tenter. Votre thon au poivre jaunet me semble un tantinet austère.
- Un peu d'austérité ne peut nuire au bonheur, monsieur Bogaert. C'est juste un condiment de vie comme un autre : elle produit une douceur aigrelette qui rappelle celle de votre grouse. »
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La ferme du crime ~ Andrea Maria Schenkel
Une ferme située dans un village de Bavière devient le théâtre de crimes abominables commis sur les membres d'une même famille : le patriarche, sa femme, leur fille et ses deux jeunes enfants. Les Danner n'étaient pas aimés, ils vivaient reclus et avaient leurs petits secrets qui provoquaient jalousie et convoitise dans le voisinage, mais est-ce que ça peut expliquer une telle férocité ? Et puis, les enfants ? On murmure partout que ce ne peut être que le geste d'un maniaque, ou d'un monstre qui passait par là, mais ce n'est pas possible que ce soit l'un d'eux. Il règne alors dans le village une ambiance glaciale, où la suspicion et la peur ont trouvé leurs marques.
Quelques années se sont écoulées, l'affaire avait fait grand bruit dans les journaux, pour autant le coupable n'a jamais été mis derrière les barreaux. Mais impossible d'oublier pareille histoire. Dans la réalité, un fait divers semblable a secoué l'opinion publique dans les années 20, et l'auteur Andrea-Maria Schenkel s'en inspire pour raconter son histoire, mais en la plaçant dans les années 50.
Et c'est un livre qu'on avale en une lampée, il est construit comme celui de Truman Capote (De sang-froid), car ce sont les témoins qui racontent toute l'histoire, lentement, progressivement. Il y a un vrai suspense, on tourne chaque page avec avidité, les chapitres sont courts, chaque témoignage apporte sa petite pièce au puzzle, et on en voit de toutes les couleurs ! C'est un excellent roman, noir de chez noir, et qui tient en haleine. On VEUT savoir, on est pris dans l'engrenage, et on ne lève pas le nez avant d'avoir tourné la dernière page.
La Ferme du crime a été classé meilleur roman criminel du printemps 2006 par les libraires allemands. C'est tout à fait mérité !
Actes Sud, coll. Actes Noirs, 2008 - 157 pages - 15€
traduit de l'allemand par Stéphanie Lux
Disponible en édition poche, collection Babel noir, dès le 1er Avril 2009 !
Festin de miettes - En poche ! #19
Festin de miettes, Marine Bramly
C'est une histoire entre deux amies d'enfance, qui se sont perdues de vue et se retrouvent près de dix ans après. On en a déjà lu, des histoires à cette sauce. Alors pourquoi se laisser tenter par cette énième copie, après tout ? Tout simplement parce que « Festin de miettes » donne l'impression que l'écriture coule de source, qu'une histoire peut s'écrire et se raconter de façon claire et limpide, que cela vous emporte et ne vous lâche plus avant la dernière page.
C'est la quête d'une mère qui pousse Sophie et Deya, fraîchement réconciliées, à se lancer vers une piste qui les conduit tout droit au Sénégal. Mais pour toutes les deux, le parcours réveille des anciennes bouffées d'envie et d'aigreur. Le voyage n'est pas gratuit, il va les mener vers des vérités dérangeantes.
Avant cela, le décor était planté dans un « petit pavillon enfoui sous une perruque de glycine, dont la façade était en grande partie ouverte aux regards, comme dans une maison de poupée », une maison nichée au fond du jardin d'un hôtel particulier que possède la famille Rausboerling. Et ce théâtre de la rue des Grands Augustins semble coupé du reste du monde, plus rien n'existe autour. On entre chez les Rausboerling comme dans une autre dimension, dans une demeure splendide d'un autre temps, où l'on croise des figures flamboyantes et décaties.
Le vertige qui saisit Sophie est là pour lui rappeler les années de frustration, de rage et d'amertume. Sa propre vie est devenue si médiocre le jour où elle a quitté ce foyer d'adoption, poussée par la colère de Deya. Et pourtant, aujourd'hui, la jeune fille la réclame. Comme au bon vieux temps.
L'histoire est étourdissante, passionnante et brillante !
Marine Bramly paraît aussi à l'aise en pleine brousse africaine ou dans un hôtel particulier d'une famille de vieux bourgeois, baladant personnages et lecteur au gré d'une aventure captivante. J'ai été soufflée, emportée, enjouée et séduite par ce récit. Peut-être la quatrième partie est un peu plus faible, plus esquintante... même si finalement j'ai trouvé que le point final était osé.
C'est superbement envoûtant, d'un romanesque époustouflant, parfois déconcertant, mais quel brio ! Vous ne lâcherez pas ce livre avant la fin !
(roman lu en janvier 2008)
JC Lattès, 2008 / Livre de Poche, 2009 - 6,50€
Le proscrit - Sadie Jones
Elizabeth Aldridge est une jeune femme moderne. Nous sommes à la fin des années 40. Elle aime les blagues d'un goût douteux, elle boit beaucoup, elle déteste se rendre à l'église et fréquenter les autres épouses de cette bonne société du Surrey. A la place, Elizabeth passe son temps libre avec son fils de 7 ans, Lewis, elle préfère flâner, lire ou discuter avec sa cuisinière, Jane. Avec la fin de la guerre, son mari Gilbert rentre au bercail. L'ambiance change. L'homme entend rétablir la hiérarchie dans son foyer, montrer qu'il est le centre d'intérêt et que son fils doit quitter les jupes de sa mère pour le pensionnat. Trois ans passent, Lewis a dix ans. Sa mère et lui sont toujours inséparables, mais un drame va déchirer cet amour. Lors d'un pique-nique au bord de l'eau, Elizabeth se noie sous les yeux de son fils.
C'est un monde qui s'écroule. Gilbert, qui déjà ne s'accordait pas avec Lewis, le tient pour responsable. Un climat lourd de ressentiment règne à la maison. Et puis Alice fait son entrée, lorsqu'elle se marie avec Gilbert Aldridge, moins d'un an après la mort d'Elizabeth. Lewis, proscrit, s'est déjà isolé dans son chagrin. Il ne laisse pas la moindre chance à la jeune femme de le comprendre, et elle-même se sent incapable de faire le moindre effort. Elle est jeune, totalement naïve aussi. Elle renonce donc très vite à être du moindre secours. « Lewis était pour elle pareil à un oiseau blessé. Et les oiseaux blessés finissaient toujours par mourir. »
Lewis va également s'exclure du groupe des enfants avec lequel il avait coutume de passer toutes ses vacances, il est banni pour un acte de violence que tous condamnent, seule la petite Kit Carmichael cherche à le défendre. Elle sait pourquoi il a agi aussi spontanément, pourquoi il a cassé le nez de cet autre garçon, mais ses cris de protestation sonnent dans le vide. Lewis lui-même préfère le silence, il a trouvé « enfin quelque chose qui le soulagerait » en se mettant à boire. Le garçon a quinze ans, la spirale infernale est lancée. Le début du roman a montré Lewis, âgé de dix-neuf ans, en train de sortir de prison après avoir purgé une peine de deux ans pour l'incendie de l'église de Waterford. Son père lui a mandaté une forte somme d'argent, appelant ainsi à ne pas rentrer à la maison, mais Lewis choisit de revenir.
Ce retour met le feu aux poudres. Dans cette petite communauté régie par les apparences et le conformisme, Lewis, par sa simple présence, met le doigt où ça dérange, débusque les secrets honteux, dénonce les drames où la violence familiale a fait son nid. C'est un personnage remarquable, attachant malgré son caractère taciturne, violent et effrayant. Car il reste le petit garçon blessé, témoin du drame qui a coûté la vie de sa maman. Ok, il s'est renfermé, il ne laisse personne l'approcher ni l'aider, il commet d'énormes erreurs. La vie aussi ne lui a fait aucun cadeau. Heureusement, il y a l'émouvante Kit Carmichael, une jeune fille également au coeur de la tourmente. Depuis son enfance, elle s'est accrochée à Lewis, parce qu'il représentait, à ses yeux, l'héroïsme, la résistance, la bravoure, la plaie à vif. Ce n'est pas un secret pour le lecteur que le père de Kit est un homme violent qui bat sa femme, et plus tard sa fille cadette. Mais à Waterford, on se tait. C'est l'après-guerre, il faut reconstruire et recoller les morceaux fragmentés. C'est difficile, car dans les années 50 la bonne société du Surrey s'accroche à l'illusion de valeurs sûres et irréprochables. Et Lewis est contre l'hypocrisie, on le comprend, il en a été la victime malheureuse.
C'est un premier roman étonnant, émotionnellement fort, mais qui ne cherche pas à vous mettre à plat. On sent le climat lourd, le drame, le manque de la maman, la douleur jamais cicatrisée, l'injustice. Il y a une pointe de nostalgie, derrière le récit, qui est poignante. L'histoire est d'ailleurs racontée en flashback, elle se déploie lentement, elle fait grimper la tension, elle répand la tragédie... or, jamais je n'ai ressenti d'oppression ni d'abattement. Le spleen est efficace, les personnages sont complexes, ce n'est pas une histoire gaie, c'est bel et bien un drame humain, mais bon sang c'est limpide, sensible et juste. J'ai beaucoup aimé.
Buchet Chastel, 2009 - 377 pages - 23€
traduit de l'anglais par Vincent Hugon
« Pourquoi ne peux-tu pas t'entendre avec les autres ? Tu te rends compte à quel point tu es impossible ? »
Une bande-annonce a été créée spécialement pour la promo du livre.
C'est intéressant, mais attention aux *spoilers* !
http://www.libella.fr/buchet-chastel/auteurs/jones/video/
Booktrailer - "Le Proscrit", premier roman de Sadie Jones
envoyé par editionslibella
Les droits cinématographiques viennent d'être vendus dans la perspective d'un film par John Madden, le réalisateur de Shakespeare in love.
Magic Retouches - Françoise Dorner
Son père est couturier à Magic Retouches, il est veuf et reçoit souvent les visites de clientes qui se trémoussent devant lui ou dans la cabine d'essayage. La petite Justine, douze ans, n'est pas dupe et préfère courir à la boulangerie pour se changer les idées. Son père et elle ne se parlent pas, ils ne se comprennent pas. Ils mangent en silence, devant la télévision. Les informations font écho d'un tueur en série qui s'en prend à des adolescentes de l'âge de Justine, c'est révoltant mais que fait la police !? Justine sent monter en elle son âme de justicière, son prénom résonne comme la justice, dit sa grand-mère, Margot, quatre-vingt ans et un tempérament d'acier. C'est elle qui bichonne la petite fille, c'est elle qui lui donne la photographie de Geronimo et c'est elle aussi qui lui parle de l'histoire familiale, avec le soldat inconnu qui est leur valeureux aïeul, et le grand-père, décédé trop tôt, mais de façon héroïque. Les histoires de famille arrangées à la sauce de Margot pèsent un peu lourd dans la balance, le déséquilibre est flagrant, et Justine s'est saisie du flambeau en se lançant sur la piste du tueur à l'écharpe blanche, avec ses fléchettes en bois et son prénom en bandoulière.
Je pensais que ce roman allait être léger, il ne l'est pas vraiment. C'est raconté d'après la jeune adolescente de douze ans, qui souffre d'affection et se sent bientôt une vieille personne avec ses idées. Sa mère lui manque, son père compte sur le temps pour qu'elle grandisse toute seule, vite et bien. Et l'appartement ressemble à un mausolée où il fait tout gris, où chacun s'enferme dans son silence et sa solitude. Le tableau n'est pas fabuleux. De plus, Justine a un gros complexe dans ses relations avec les autres, elle déteste la promiscuité, elle manque très sérieusement de tendresse et on sent qu'elle est dégoûtée par les liaisons de son père avec ses clientes. Heureusement il y a la grand-mère Margot, quatre-vingt ans au compteur, en plus d'être une fieffée menteuse. Mais pourquoi raconte-t-elle toutes ces histoires ? Et surtout, n'empoisonnent-elles pas la tête de la petite Justine ? On ne s'improvise pas Miss Marple croisée avec Geronimo en un clinquement de doigts... Soulagement au final, l'histoire réussit l'exploit de nous toucher avec le sourire et d'éloigner tout spectre de désolation. Bon point, donc.
Albin Michel, 2009 - 150 pages - 14€
Françoise Dorner est également l'auteur de La fille du rang derrière et La douceur assassine.
Êtes-vous passés à côté de... En poche ! #18
Rêve d'amour, de Laurence Tardieu ?
C'est l'un de mes romans préférés de l'année 2008. Ne le loupez pas !
Puissant dans son écriture et affolant par son style épuré, sensible comme de la soie, le livre de Laurence Tardieu renferme une quantité de passages que je souligne avec passion !
Tout me parle dans ce livre, notamment cette histoire d'une jeune femme de 30 ans qui a grandi sans maman, sans le souvenir de celle-ci. Vingt-cinq ans plus tôt, elle a été emportée par la maladie mais personne n'a prévenu la petite fille. Plus tard, elle comprendra. Cependant, aucun souvenir, aucune mémoire, aucun culte de la personnalité. Alice Grangé est élevée par son père, silencieux et imperméable, et qui lui soufflera le Grand Secret sur son lit de mort.
Ce court roman, en nombre de pages, est déstabilisant par sa justesse et son flot d'émotions. J'ai été émue aux larmes à maintes reprises, tout en soutenant l'entreprise d'Alice. Celle-ci apparaît fragilisée au début du livre, abrutie et désillusionnée. En fouillant le passé, elle cherche ainsi à redonner des traits au visage de sa mère, à cerner ce qu'est un amour fou. Ce qu'elle comprendra en chemin sera forcément bouleversant, et ne pourra que vous toucher (du moins, moi j'y ai été fort sensible).
« Le bonheur, c'est de se savoir appartenir au royaume des vivants, et d'en éprouver les innombrables frémissements. »
« Il n'y a pas de vérité, ni des êtres, ni du temps. Il n'y a que le présent, son éblouissement. »
C'est dans un cahier bleu qu'Alice Grangé raconte son parcours, et à la fin elle a cette formidable conclusion, que je m'approprie : « (...) j'ai compris que les livres étaient une des expressions les plus fortes, les plus troublantes et les plus vraies de la vie. »
Livre de Poche, 2009 - 5€
L'Eglise des pas perdus - Rosamund Haden
Catherine et Maria sont deux amies que rien ne sépare, malgré les apparences. Elles ont huit ans, l'une est la fille de la cuisinière, elle est noire ; l'autre est la fille du fermier, blanche et intrépide. Nous sommes en Afrique du Sud, sur les terres de l'apartheid. Katie a tout appris à Maria - l'anglais, lire, nager - et a juré de rester amies pour la vie. Les parents en décideront autrement, Catherine suit sa mère et part en Angleterre. Vingt longues années vont passer, et la jeune fille rentre au pays. Or, ses terres appartiennent maintenant au couple Fyncham. Et lorsque Catherine rencontre Tom la première fois, elle en a l'estomac noué. Il est beau, il est mystérieux, il est seul... elle se sent prête à tomber amoureuse, mais avant il faut comprendre. Quel triste sort a connu son père ? Où se trouve Isobel Fyncham ? Que cache Tom derrière ses virées nocturnes et les coups de fil qui crépitent ? Maria a-t-elle des réponses ? Et qui est ce garçon curieux qui rôde près de l'église lorsque la nuit est tombée ?
Ce roman est en fait un voyage, qui vous emmène loin, en Afrique du sud. L'apartheid n'est ici qu'effleuré, car on assiste davantage à une grande histoire d'amitié, d'amour, de passion et de drame. Il y a du charme et du mystère en puissance, beaucoup de sensualité, un paysage d'une beauté à couper le souffle... on s'y croirait. A Hebron, on piétine l'herbe folle dans les koppies, plonge sans frémir depuis un rocher pour se baigner dans l'eau fraîche de l'étang. On boit du whisky, flâne sur la véranda, admire le coucher de soleil et on s'égare sous une pluie d'orage. On vole, on roule fenêtres ouvertes, on danse, on nage, on aime, on se quitte, on tue aussi. C'est intense, il y a du secret derrière la volupté, des larmes derrière les élans du coeur. J'ai vraiment beaucoup aimé.
La musique d'Edmundo Ros envahit l'espace, la magie aussi se faufile par les visions de Maria, et l'ambiance dans l'église ensorcelle parce qu'elle suscite l'étrangeté. Bref, c'est une très belle découverte. Un roman admirable, qui pourrait se prêter à une adaptation cinématographique... j'imagine très bien Tom Fyncham sous les traits de Hugh Jackman (*). Cela peut vous dire combien les images sont très présentes, au coeur du roman ! Et le sentiment de chaleur, entrelacée à la torpeur, vous file des frissons sur tout le corps. Mais pas seulement. Lisez, vous comprendrez.
(*) C'est pas ma faute... mais celle d'Ori !!!
Livre de poche, 2008 - 280 pages - 6,95€
traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Judith Roze
--) Alice vient également de le lire...
et les avis de Brize, Praline, Delphine, Lo, Joëlle, Amanda
Une petite phrase, pour toutes les amoureuses de livres (qui se reconnaîtront) : « Elle est nulle en ménage, vous savez. Elle lit toute la journée. Elle a lu presque tous les livres de la bibliothèque. »