27/04/09

Jours tranquilles ~ Lizzie Doron

Trente années défilent dans le regard triste et amer de Leyele, une orpheline polonaise, arrivée dans le quartier de Tel-Aviv à l'âge de seize ans, mariée et mère d'un enfant, puis veuve et prise en charge par le meilleur ami de son compagnon, le coiffeur Zaytshik, toujours impeccable dans son costume blanc, les cheveux gominés et la raie sur le côté, chez qui elle deviendra manucure.

Leyele, ou Léa, vient de perdre son ami, son confident. Elle reste inconsolable, le temps a passé, Leyele pense de plus en plus à la mort, c'est maintenant une femme d'une soixantaine d'années, qui s'est nourrie des histoires des habitants du quartier au point d'épuiser toute son énergie. Tous sont des gens de "là-bas", des rescapés des camps, des écorchés vifs, des traumatisés à vie. Ils portent en eux leurs blessures et leurs secrets, mais ce n'est pas si simple d'en parler, les plaies sont encore ouvertes, « il était très facile d'apprendre ce qui allait se produire demain, mais impossible de savoir ce qui était arrivé hier ».

De son côté, Leyele n'a aucun souvenir de son propre passé. « A chaque fois que je pense à ma vie, mon coeur se glace, tout mon corps devient fébrile, mais mes larmes, elles, ne coulent pas et les sanglots sont étouffés dans ma gorge. » Mais tous ces silences et ces secrets, ces jardins secrets cultivés avec préciosité, cachent bien plus que des douleurs, aussi des vérités qu'on refuse d'accepter. 

jours_tranquilles

L'impression générale qui se dégage du roman est donc cette profonde nostalgie et la mélancolie qui colle à la peau de la narratrice. Leyele se voile souvent la face, rêve d'une vie au conditionnel et protège son monde. Cela ne rend pas ce livre follement réjouissant, puisqu'il s'imprègne des chagrins et des secrets des gens de "là-bas", il n'en reste pas moins un roman vivifiant, porteur d'espoir et désireux de croquer la vie à pleines dents. Il est drôle aussi. Les personnages sont parfois de sacrés phénomènes, ils ne sont pas là pour épater la galerie ni pour faire pleurer dans les chaumières. Ils sont justes, beaux, émouvants, attachants. Que sais-je ? Cela reste pour moi une très, très belle découverte. Un très touchant instant de lecture.

Editions Héloïse d'Ormesson, 2009 - 200 pages - 20€
traduit de l'hébreu par Dominique Rotermund

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22/02/09

Une famille aux petits oignons - Jean-Philippe Arrou-Vignod

La nostalgie aurait-elle le vent en poupe ? Oui, je pense ! Quelques exemples : les albums par Dupuy-Berberian (Comment c'était avant), Mes années 70 par Claudine Desmarteau ou les ouvrages d'Armelle Leroy (La Saga de la Bibliothèque Rose) etc.

Une autre confirmation : les histoires des Jean-Quelque-Chose.

9782070622658

« Les gens n'arrivent pas à croire qu'on est juste une famille, pas une colonie des vacances ni une troupe de sosies échappés d'un cirque.
Six frères, ce n'est déjà pas courant. Mais six Jean-Quelque-Chose, ça frise le livre des records. Comme on a tous les oreilles décollées et un épi sur la tête, papa, qui n'est pas très physionomiste, a trouvé un truc imparable : nous ranger par ordre alphabétique, comme dans un répertoire.
Il y a Jean-A., onze ans, alias Jean-Ai Marre parce qu'il râle tout le temps.
Moi, c'est Jean-B., alias Jean-Bon parce que je suis un peu rondouillard.
(...)
Dans la chambre des moyens, il y a Jean-C., sept ans, nom de code Jean-C-Rien parce que c'est le distrait de la bande.
Il y a aussi Jean-D., cinq ans, surnommé Jean-Dégâts, avec qui Jean-C. a inondé deux fois l'appartement depuis qu'on habite à Cherbourg.
Les petits, c'est Jean-E., trois ans, alias Zean-Euh parce qu'il a un cheveu sur la langue, et le bébé Jean-F., alias Jean-Fracas, qui n'a encore qu'un an et pas beaucoup de cheveux sur la tête.
»

Une famille aux petits oignons reprend toutes les histoires des Jean-Quelque-Chose parues séparément : L'omelette au sucre ; Le camembert volant ; La soupe de poissons rouges ; avec en bonus, une histoire inédite : Des vacances en chocolat.

Toutes ces histoires sont fraîches, pleines d'humour, empreintes d'une douceur nostalgique de la fin des années 60, à décrire la vie d'une famille nombreuse, qui habite Cherbourg avant de déménager pour Toulon. Il y a 6 enfants dans cette maison, 6 garçons (dans le premier livre, la maman est enceinte et tout le monde s'imagine déjà accueillir une petite fille dans la tribu !). Il y a une multitude d'anecdotes de la vie de tous les jours, entre les castagnes, les fessées déculottées, les parties de cache-cache, les vacances à la campagne, la piscine municipale, les cousins Fougasse, le mystère de François Archampault (son père est-il un espion qui risque sa peau tous les jours ?)... Il n'y a pas la télévision dans cette maison (au grand dam de l'aîné des Jean, qui se cache dans les toilettes, avec une paire de jumelles, pour observer chez un voisin les épisodes de Rintintin !). A la place, la fatrie s'occupe en jouant à des jeux de société (le monopoly, le 1000 bornes...), ou en créant un club de détectives privés (on sent la très forte influence du Club des Cinq !!!).

Je ne sais pas comment un jeune lecteur de 10 ans d'aujourd'hui percevra ce genre d'histoire, mais moi j'aime beaucoup. 32 ans, cinquième fille d'une famille nombreuse (avec que des filles, en plus !), je n'ai pas connu la même période (fin des années 60) mais je suis touchée quelque part par ces histoires où s'enfilent les anecdotes comme autant de perles sur un collier. Tout me semble bon, tout me rappelle un peu ma propre jeunesse... J'attends encore un ou deux ans avant de pouvoir confier ce livre à ma fille, et j'espère qu'elle comprendra. (Déjà je râle énormément de répondre à ses questions, du style : les années 80, c'est vieux !!!!!).

En somme, je recommande ce livre comme Au pays de mes histoires, le recueil de Michael Morpurgo. C'est une lecture indispensable, sans âge, qu'on prend plaisir à lire et relire, et qu'on garde sous le coude pour les périodes de blues ou de bobos à l'âme. C'est tout à fait l'antidote en matière de lecture qui vous redonne le sourire !

Bonne lecture ! 

On peut consulter en ligne un chapitre du livre.

« C’est drôle une famille de huit…on manque de place, on se donne des coups de coude, on voudrait être fils unique ou orphelin, sans personne pour vous mettre ses pieds dans la figure ou vous expédier séance tenante aux Enfants de troupe…Mais quand l’un d’entre nous n’est pas là, c’est comme un jeu de Sept familles lorsqu’il manque une carte : tout paraît bizarre, faussé, comme si la carte perdue avait rendu tout le jeu inutile. »

Gallimard jeunesse, 2009 - 330 pages - 13,50€
illustrations de Dominique Corbasson

22/01/09

Retour au pays bien-aimé - Karel Schoeman

51pkkdx1RhL__SS500_George, profitant d'une semaine de congés, retourne sur les terres de sa mère défunte, en Afrique du Sud. Il souhaite visiter Rietvlei, la ferme familiale, mais ne découvre que des ruines. En chemin, il s'est arrêté chez des voisins, les Hattingh et leurs quatre enfants, qui lui ont forcé la main en en lui demandant de séjourner plus longtemps chez eux. C'est l'occasion, surtout pour la femme, de se remémorer une époque plus heureuse, plus faste. Les fermes étaient opulentes, les soirées guindées, il y avait de la richesse, de la liberté, de la joie. Et puis tout est parti, en commençant par les fermiers, exilés à l'étranger. George a suivi ses parents, il n'avait que cinq ans. Il pensait ses souvenirs éventés, mais une fois sur le terrain, il est submergé par des images, des sons et des sensations insoupçonnés.

C'est un roman qui a été écrit en 1972, en plein apartheid. Le décor y est âpre, rancunier et lourd de tension. Il y a eu de la perte, de la rancune, du gâchis aussi. On sent le climat oppressant, la violence dans le fond. Les rares personnages croisés sont teigneux, le décor n'est qu'amertume. Il n'y a aucun exotisme comparable au roman de Rosamund Haden, par exemple. Mais à travers le voyage de George, on devine un autre secret, on essaie de comprendre ses motivations. Sa présence suscite de la suspicion, ce n'est pas possible de fouiller le passé en ignorant que ce monde-là a volé en éclats. Pourquoi ce retour ? N'a-t-il pas conscience du danger ? Ou est-il aveugle par convenance ? Mais le roman a démontré que tout ce monde était enfermé dans ses souvenirs et ses rêves de temps passé. Et c'est cette nostalgie qui plane sur l'histoire, cette atmosphère de sombre résignation, de leurre et de silence.
C'est étrangement captivant.

10-18, 2009 (Phébus, 2006)
250 pages / 7,90€
traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein

l'avis de Cathe

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17/01/09

Êtes-vous passés à côté de... En poche ! #18

Rêve d'amour, de Laurence Tardieu ?

C'est l'un de mes romans préférés de l'année 2008. Ne le loupez pas !

reve_damourPuissant dans son écriture et affolant par son style épuré, sensible comme de la soie, le livre de Laurence Tardieu renferme une quantité de passages que je souligne avec passion !
Tout me parle dans ce livre, notamment cette histoire d'une jeune femme de 30 ans qui a grandi sans maman, sans le souvenir de celle-ci. Vingt-cinq ans plus tôt, elle a été emportée par la maladie mais personne n'a prévenu la petite fille. Plus tard, elle comprendra. Cependant, aucun souvenir, aucune mémoire, aucun culte de la personnalité. Alice Grangé est élevée par son père, silencieux et imperméable, et qui lui soufflera le Grand Secret sur son lit de mort.
Ce court roman, en nombre de pages, est déstabilisant par sa justesse et son flot d'émotions. J'ai été émue aux larmes à maintes reprises, tout en soutenant l'entreprise d'Alice. Celle-ci apparaît fragilisée au début du livre, abrutie et désillusionnée. En fouillant le passé, elle cherche ainsi à redonner des traits au visage de sa mère, à cerner ce qu'est un amour fou. Ce qu'elle comprendra en chemin sera forcément bouleversant, et ne pourra que vous toucher (du moins, moi j'y ai été fort sensible).
« Le bonheur, c'est de se savoir appartenir au royaume des vivants, et d'en éprouver les innombrables frémissements. »
« Il n'y a pas de vérité, ni des êtres, ni du temps. Il n'y a que le présent, son éblouissement. »
C'est dans un cahier bleu qu'Alice Grangé raconte son parcours, et à la fin elle a cette formidable conclusion, que je m'approprie : « (...) j'ai compris que les livres étaient une des expressions les plus fortes, les plus troublantes et les plus vraies de la vie. »

Livre de Poche, 2009 - 5€

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06/12/08

Êtes-vous passés à côté de... En poche ! #17

Millefeuille de onze ans, d'Isabelle Jarry ?

51uFmSpLJBL__SS500_Après le refus d'un manuscrit par son éditeur, Isabelle Jarry a eu l'impression que sa vie d'écrivain s'arrêtait, cette vie qui est la sienne depuis si longtemps. "Millefeuille de onze ans" est né de cette terrible déception, du doute et de l'incompréhension d'un auteur face à l'échec.
Isabelle Jarry décide de replonger dans l'année de ses onze ans, lors de son entrée au lycée Jules-Ferry, où elle fit la rencontre de Viviane Der Tomassian, une jeune camarade aux idées révolutionnaires, figure atypique et flamboyante, qui a bien inconsciemment guidé la jeune fille vers sa "révélation" (être écrivain !).
Dans ce livre aux 46 chapitres, l'auteur fait son portrait de jeune lectrice et d'apprenti scribouillarde, forte en contemplation, entichée de grec et latin, papivore convaincue et étudiante rêveuse et romantique, selon les critères de son amie Viviane...
C'est honnêtement un portrait en finesse, écrit avec ce souci des mots justes et simples, qui peut faire écho chez toute jeune fille aspirant aux mêmes affinités (le goût des mots, des livres, la curiosité de l'écriture). C'est surprenant le nombre de passages qui interpelle, qui semble avoir été écrit par et pour soi. Même si nous ne souhaitons pas tous écrire (ou "gribouiller"), ce "Millefeuille de onze ans" semble être destiné à tous les lecteurs qui se reconnaîtront ! Cela se déguste avec appétit, moi j'adore les millefeuilles ! Et ce livre donne en aperçu toute la sincérité d'un auteur qui se questionne et revient aux origines de sa passion. Infiniment attachant et authentique, un beau livre sur les livres et le goût des mots, tout comme j'aime !

A noter, une très jolie couverture pour cette édition folio !

Folio, décembre 2008 / 6,50€

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20/10/08

Plus jamais Mozart - Michael Morpurgo

Journaliste débutante, Lesley McInley remplace une collègue blessée au pied et s'envole pour Venise interviewer l'illustre violoniste, Paolo Levi. Une importante condition a été glissée : ne surtout pas poser la question Mozart. Mais quelle est-elle, se demande Lesley. Perplexe, elle rencontre donc le musicien et perd tous ses moyens. Elle lui bredouille ses plus plates excuses en faisant allusion à la question Mozart qu'elle ne doit pas évoquer, et cela entraîne une réaction tout à fait contradictoire chez Paolo Levi. Il se prend la tête entre le mains et murmure que tous les secrets sont des mensonges. Sur ces mots, il se met à confesser une histoire étonnante. La sienne, celle de ses parents et celle de millions de juifs exterminés.

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Vers l'âge de neuf ans, Paolo a découvert que ses parents ont été de brillants violonistes qui ont choisi de ranger leurs instruments en renonçant au plaisir d'y jouer et d'apprécier tout simplement la musique. Dans la rue, le garçon fait la connaissance de Benjamin Horowitz, un homme de soixante-deux ans, qui lui confie avoir connu ses parents il y a quelques années, dans des conditions cauchemardesques. C'est encore trop tôt pour tout avouer mais Benjamin accepte d'initier l'enfant à la musique en lui enseignant le violon, en cachette de ses parents.

Le pot aux roses sera découvert et Paolo va apprendre le passé des siens, envoyés en camp de concentration et retenus, après audition,  pour jouer dans un orchestre à la solde des officiers nazis. Non, ce n'était pas dans un but de divertissement, c'était bien pire que ça mais le piège était déjà refermé sur Gino, Laura et Benjamin. Et la question Mozart prend alors tout son sens, en une promesse faite à son père de ne jamais raviver cette plaie à vif.

Encore une histoire racontée avec élégance et pudeur par Michael Morpurgo, qui se met au service du devoir de la mémoire et de l'hommage vibrant à tous les prisonniers qui ont pu survivre en jouant de la musique dans un théâtre affreux. Qu'ont-ils pu ressentir de jouer dans des circonstances aussi horribles ? Et associer Mozart à ces heures sombres a-t-il eu une conséquence tout aussi grave et traumatisante ? C'est ce dilemme que traite l'auteur, avec toute la justesse qu'on lui connaît.

L'histoire est tendre, assez émouvante, illustrée par les aquarelles de Michael Foreman. Ici la musique réveille l'écho d'un passé terrible pour nous plonger au coeur de la nuit la plus noire. C'est très beau.

Gallimard jeunesse, octobre 2008 - 75 pages - 11,90€

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