Les Chaussures sont parties pour le week-end : Trois petites pièces de théâtre, de Catharina Valckx
Catharina Valckx connaît le goût des enfants pour les déguisements et la mise en scène. Avec son esprit fantaisiste et ses illustrations rigolotes, elle décide de concocter trois petites pièces de théâtre racontées à force de dialogues pétillants et enjoués. Franchement, c'est la rigolade assurée ! Imaginez un maître et sa servante en train de danser sur du Boney M ! Une limace parler anglais ou un diplodocus chanter à tue-tête ! Mais aussi un cerf passer le balai dans la maison d'une sorcière et mettre à plein volume de la musique pour chat ! C'est parfaitement saugrenu, mais purement jubilatoire. Pour bien faire, C. Valckx accompagne son texte d'indications sur les accessoires ou le décor à prévoir. Cela fourmille de petits détails qui peuvent paraître insignifiants, mais seront autant d'indices précieux pour construire une mise en scène élaborée et distrayante ! J'ai adoré et je recommande chaudement.
L'École des Loisirs ♦ mars 2015
Maman dans le vent ♥
C'est la deuxième pièce de Jacques Descorde que je lis, après J'ai 17 pour toujours. Et pour la deuxième fois, je suis séduite, emportée, bouleversée par les mots que je viens de découvrir.
Il est très difficile de raconter son histoire - celle d'un papa et de sa fille de dix ans, en voiture, puis dans une chambre d'hôtel en bord de mer. On ne sait pas ce qu'ils fuient, on craint le pire lorsqu'on découvre le pistolet dans le sac du père, on sourit face à l'exubérance de l'enfant, on récite avec eux leurs jolies poésies, on joue dans la mer et on se glace les doigts de pieds en prétendant que l'eau est chaude, on essaie une robe rouge, on danse, on chante, on s'époumone, on s'enferme dans la salle de bains, on attend, on regarde les autres couples manger leur homard sans dire un mot, on soupire, on retient son souffle, et on attend toujours et encore.
Il y a une véritable beauté dans ce texte, court, incisif, poétique, troublant et bouleversant. Je ne sais pas l'expliquer, à chaque fois je suis touchée, j'aime et je le chuchote à voix basse.
Maman dans le vent, par Jacques Descorde (Théâtre, pour l'Ecole des Loisirs, 2012)
LE PERE : A quoi ils pensent tu crois ?
LA FILLE : Herbe verte.
LE PERE : A quoi ils rêvent ?
LA FILLE : Poisson rouge.
LE PERE : Ils sont comme ailleurs.
LA FILLE : Dans la mayonnaise.
LE PERE : Ensemble dans cet ailleurs.
LA FILLE : Le homard en deux.
LE PERE : Sacrifié.
Un temps.
Je vous aime Roxane, et plus longtemps ne puis retenir cet aveu qui de ma main s'enfuit.
LA FILLE : C'est ce qu'il lui a dit ?
LE PERE : Oui. Un matin de printemps sous un grand tilleul.
♥
Sur les trois heures après dîner - Michel Quint
Etudiante en terminale, Rachel a choisi le théâtre, sa grande passion, et les cours de Thomas Bertin, tout jeune professeur qui fait son entrée sur les planches, « pas si grand, la trentaine à peine passée, des allures d'aventurier revenu de toutes les élégances, tout le cheveu blond en tempête, ce type était un immense sourire. » (...) « Ça m'a fait vlan au creux de la poitrine, du chaud aux joues, un picotis partout partout et une bête envie de pleurer... »
Rachel tombe amoureuse, même si Thomas reste inacessible, un rêve éveillé et douloureux. C'est son professeur, il vit avec Babette, qui est également son assistante pendant les cours. Elle est belle, n'est pas dupe du charme qui s'opère entre l'élève et l'enseignant. Thomas exerce un attrait, il joue un jeu de séduction dangereuse, il pointe le doigt sur Rachel, cerne chez elle des talents de grande tragédienne. Il va la pousser, lui donner du terreau, arroser la plante et devenir soleil pour faire éclore la plante.
Et puis, tout s'arrête. Thomas est victime d'une attaque cérébrale. Les deux femmes amoureuses se font face, comme des tigresses autour d'une proie. Brusquement, les rôles s'inversent. Il faut accompagner le malade, lui redonner confiance, le conduire vers la guérison, et dans le même temps il faut supporter un duel de sourds, panser ses blessures infligées par la jalousie.
La passion amoureuse de Rachel est décrite en des termes exaltés, qui éclatent comme des bulles, là on reconnaît le talent de Michel Quint dont la langue est belle, ronde, chaloupée et volupteuse. C'est une histoire qui ressemble fort à une éducation sentimentale, en plus du drame cornélien. Il n'y a pas que la relation triangulaire entre Rachel, Thomas et Babette. Car Rachel a également un amoureux transi, Kader, qui souffre, qui est jaloux et qui est prêt à tout pour ravir le coeur de la donzelle qui l'ignore. Les passions adolescentes sont maladroites, mais touchantes. Chacun sent l'urgence d'aimer l'autre, même s'il faut passer par du n'importe quoi, de l'exagération et des larmes.
Dans ce court roman de 100 pages, on apprend à se casser les dents, à grandir et à choisir, c'est en somme un roman d'apprentissage où « on a peur et envie de grandir, de l'irrémédiable, où on ne sait pas qui on est mais qu'on veut devenir quelqu'un de bien, de digne, et qu'on se fabrique des faux modèles, et qu'on aime qui on doit pas, qui on peut pas, et qu'on entre, éblouis et terrifiés, dans le bref parcours de la vie ». Et toute l'intrigue se dessine dans les grandes lignes de Cyrano ou d'Hedda Gabbler, ce qui parfois me rappelle un autre roman de Michel Quint, Et mon mal est délicieux, où l'auteur démontre également l'importance du théâtre dans ses livres.
De toute façon, il faut tout lire de Michel Quint ! Il est remarquable.
Gallimard, coll. Scripto, 2008 - 106 pages - 7€
Belem éditions, 2004
Où en étais-je ? - Philippe Beaussant
Un écrivain, assis à sa table devant la fenêtre, scrute la rue qui s'offre à lui et s'invite dans son activité de noircisseur de pages. En un coup de crayon, sans ternir ni réfléchir, l'homme plonge dans la digression avec une élégance rare et appréciable. Il nous croque des histoires empruntées au précieux 17ème siècle, mouille sa plume dans les pièces de Molière ou redessine les contours flous des créatures croisées ci et là dans la rue. Tout commence par une voiture rouge, non pas une berline classique, d'abord le véhicule est d'un beau rouge coquelicot, mais un rien plus acide, tirant sur le corail, et il s'agit ensuite d'une belle américaine... d'un rêve galbé. Je n'invente rien, je suis, je souris car notre homme est un idolâtre du mot juste. A travers son récit, il nous explique en long, en large et en travers les dessous de son métier, celui d'écrivain. C'est une activité intense, épuisante, excitante aussi. Il soupire d'être incompris, il brûle d'évoquer le roman tel un civet de lapin qui se hume et s'apprécie avant et après... Tout un programme.
Cette lecture est une invitation au voyage littéraire, de façon poétique et juste elle déploie les ailes de la digression. Il est conseillé au lecteur de se prêter au jeu, sous peine d'être recalé, sinon perdu en chemin.
De l'intelligence, de la poésie, de l'imagination, de l'effronterie, de la folie, de l'étrangeté aussi... l'académicien Philippe Beaussant nous en offre comme sur un plateau.
Fayard, 2008 - 202 pages - 17€