Vingt-quatre heures d'une femme sensible - Constance de Salm
"Vingt-quatre heures d'une femme sensible", roman épistolaire qui se propose de "peindre la jalousie, non dans ses fureurs, mais dans les douleurs dont elle accable une âme ardente et sensible", en 46 lettres écrites dans un espace de temps répondant aux unités de la tragédie ou de la comédie classiques, d'un mercredi, à une heure du matin. (postface de Claude Schopp)
Il faut lire ce livre et en savourer minute par minute chacune des lettres écrites pour cette femme anonyme qui souffre le martyr après être rentrée d'une soirée où son tendre ami l'a quittée au bras d'une autre.. Aussitôt les plus folles pensées la gagnent, le doute, l'atermoiement, la douleur, la rage, la folie. Cette amoureuse éplorée, incapable de se raisonner, ou juste le temps d'une lettre, passe donc sa journée à tourner en rond, à écrire des lettres enflammées. Tour à tour, les sentiments les plus ardents la brûlent. Et même les "égarements de l'imagination" la submergent. C'en est trop pour cette femme, elle sombre, elle pleure, son honneur semble perdu...
C'est simplement superbe et écrit avec une virtuosité admirable. Constance de Salm décrit avec justesse et sensibilité un coeur pur, un coeur simple, un coeur juste. Son héroïne est une passionnée, qui dérive et divague, elle passe des sentiments les plus exaltés aux menaces d'en finir avec la vie. Elle promet, elle menace. Telle lettre est sensée être la dernière, plus jamais elle n'accordera un regard, une pensée pour cet homme qui l'a trahie, et puis non... son amour est trop fort, trop déraisonnable.
"L'amour !... Qu'est-ce que l'amour ?... Un caprice, une fantaisie, une surprise du coeur, peut-être des sens; un charme qui se répand sur les yeux, qui les fascine, qui s'attache aux traits, aux formes, aux vêtements même d'un être que le hasard seul nous fait rencontrer. Ne le rencontrons-nous pas ? rien ne nous en avertit, ne nous trouble... nous continuons de vivre, d'exister, de chercher des plaisirs, d'en trouver, de poursuivre notre carrière comme si rien ne nous manquait !... L'amour n'est donc pas une condition inévitable de la vie, il n'en est qu'une circonstance, un désordre, une époque... que dis-je ? un malheur ! une crise... une crise terrible... elle passe, et voilà tout."
Phébus, 150 pages.
Constance de Salm, c’est Constance de Théis, née en 1767, épouse du chirurgien Jean-Baptiste Pipelet, poétesse et tragédienne dont « Sapho » tragédie lyrique triompha au théâtre. C’est l’auteur de « L’épître aux femmes » qui la range aux côtés des défenseurs du droit des femmes, au moins dans le domaine des arts et de la culture. Devenue par son deuxième mariage la comtesse de Salm, elle tient salon et on rencontre chez elle l’élite intellectuelle de la nation. On y croise Stendhal et Alexandre Dumas.
Cette lecture m'a fait repenser à ce livre-ci :
"Laissez-moi", autrefois baptisé "commentaire", est le long récit d'une jeune femme, en cure de repos pour grave maladie, qui reçoit une lettre de son fiancé lui annonçant la rupture, mais d'une manière complètement insultante: "Je me marie avec une autre... que notre amitié demeure...". Ce livre c'est donc la longue réponse que la jeune femme souhaiterait lui donner. Et à travers son récit, elle revient sur cet homme, ce goujat, et sur les exigences de l'amour, l'emprise sur les femmes etc..
C'est très poignant, criant de vérité et de sensibilité. Ce récit a été rédigé dans les années 30 mais son contenu demeure d'actualité et nous interpelle encore aujourd'hui. On est d'autant plus touché, sachant que son auteur, Marcelle Sauvageot est décédée peu de temps après (des suites de sa maladie), au jeune âge de 34 ans. Phébus, 112 pages - réédition février 2004.