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Chez Clarabel
29 janvier 2008

Le goût des abricots secs - Gilles D. Perez

gout_des_abricots_secs« J'écris depuis le lieu d'une disparition. J'ai besoin de ce désert pour faire place à ce qui lentement affleure. La résidence est devenue une immense caisse de résonnance. Chacun de nous veille sur ses fantômes. La tâche est infinie. Mais chacun de nous, peut-être, aura sauvé quelque chose...
Je n'attends rien. Autrefois, anxieusement, j'attendais le sommeil. Et je m'étonnais de ne pas le trouver. On ne peut pas fuir l'absence. Il faut s'y colleter. C'est ce que j'essaie de faire. Manger l'absence de Véra. La prendre à pleine bouche. Attrape-moi si tu peux, m'avait-elle dit.
»

C'est un livre qu'on peut tout bonnement considérer comme un roman d'atmosphère, car cela se passe dans une résidence abandonnée par ses habitants, sous une pluie infernale et qui noie le jardin alentour. Seuls le narrateur et le vieil homme, son voisin, hantent encore les lieux de cet abri déserté. On y retrouve et partage des amours perdues, des notes de piano et des souvenirs de ce faste lointain. Le vieil homme pleure son épouse décédée, elle ne jouera plus pour lui 'Les Scènes d'enfant' de Schumann. Et le narrateur n'a plus que la collection de chapeaux pour se rappeler son grand amour, Véra.
Il y a une question qui revient sans cesse : où est passée Véra ?! La narration est si lente à dérouler le tapis rouge, c'est un style aussi, pas une critique négative. A première vue, j'avais jaugé ce petit roman de 90 pages et pensé le lire assez vite. Pas du tout ! Ce livre figure parmi les lectures qui demandent du temps, qui demandent à s'immerger jusqu'au cou, à se noyer dans les lignes. C'est très bien écrit, pas de doute, tout en élégance, laissant flotter dans les airs un goût suranné, délicieux.
C'est enfin un roman qui se passe en dehors de tout : du temps, des lieux, du moment, de l'action. « Le goût des abricots secs » est une lecture peu commune, qui vous imprègne de son aura, et puis qui vous abandonne sur ce constat. Il y a eu, il n'y a plus. Cet amour fou qu'ont connu les deux hommes a nourri leur échange, alimenté le roman de début à la fin, à cela se sont aussi mêlées des images de guerre, d'exil et de clandestinité. In fine, on referme le livre, mais on ne possède toujours pas la clef de ses mystères !

Le Rouergue - 95 pages -  10.00 €   (janvier 2008)

Fortement conseillé par Tatiana !

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25 janvier 2008

Ma mère, à l'origine - Emmanuel Pons

ma_mere_a_l_origine« Ma mère est morte. L'autre bonne nouvelle, c'est qu'elle est morte riche... » Patrick a décidé de fêter dignement cette libération, des funérailles expéditives et une voiture de sport flambant neuve, puis un mariage, un enfant et un horizon idyllique.
Enfin libre, oui ! pense-t-il.
« C'est allé crescendo. Il n'a pas évoqué sa mère pendant les deux premières années. Et puis, quand son fils s'est mis à trottiner, la mémoire lui est progressivement revenue mais sans aucun bon souvenir. (...) Maintenant, c'est elle son principal sujet de conversation, ou plutôt la source de ses monologues. »
Madeleine ne reconnaît plus l'homme qui partage sa vie, Patrick vit retranché dans son bureau, à boursicoter comme un fou depuis son ordinateur, c'est un 'home-trader' implacable qui mise sa propre vie comme des titres et des actions, scrutant la moindre chute et n'hésitant pas à les revendre.
Point de sentiment.
« Je ne parviens pas à m'arrêter, c'est terrible. Les souvenirs s'enchaînent et je reste prisonnier de ta vie. Tu ne m'as jamais accepté tel que j'étais, jamais aimé pour ce que j'étais, tandis que, moi, je t'aimais pour deux, maman. Je t'ai toujours aimée pour deux. »
S'il vit ainsi, entre ses fantômes et son ordinateur, c'est parce que Patrick suffoque du trop-plein que lui inspire sa mère, un excès de rancoeur et d'amertume. Patrick est au bord du gouffre, apercevant de loin son fils de 7 ans qui lui rappelle un autre petit garçon, et Madeleine de son côté lance sa bouteille à la mer, mais « ça prend au ventre, ça monte, ça serre la gorge au point que la seule solution pour éviter l'asphyxie, c'est de partir. »
Comédie humaine et tragique, « Ma mère, à l'origine » se cache sous le couvert d'une farce bien grinçante d'un homme qui prend sa revanche en brassant des millions pour assouvir sa puissance et sa place de number one. C'est le peu qui lui reste, après des années d'humiliation et de frustration, le peu légué par une mère avare de démonstration affective. « Je n'ai reçu d'elle ni câlins ni fessées, ni compliments ni remontrances, jamais une récompense pour mon excellent travail scolaire, même pas une mise en garde avant mon premier rendez-vous amoureux ! Rien ! De l'indifférence. »
Marié et père de famille, l'homme est aujourd'hui submergé par l'intuition de n'avoir pas mérité si peu de tendresse. Il s'escrime, s'enferme et devient quasiment fou. Fou de douleur et de chagrin.
Quelques pointes d'humour recouvrent le verbiage, « Je suivrai donc le corbillard dans mon coupé rouge, enrubanné comme un cadeau, avec un noeud sur le pavillon et un Merci maman sur le haut du pare-brise, façon Allez l'OM ! », mais on ne se fait pas d'illusion et c'est bien un cri désespéré qu'on perçoit là, « J'ai besoin d'amour ! » tout simplement. Et ce message s'adresse à une mère, qui n'est plus.

Arléa - 130 pages.  Janvier 2007.  14.00 €

24 janvier 2008

La Théorie du Panda - Pascal Garnier

theorie_du_pandaDans une petite ville de Bretagne, débarque Gabriel qui, comme l'Ange, en plus du prénom, partage cette même vocation d'aider les autres. En effet, l'homme, porté par son altruisme, rencontre des âmes esseulées, désoeuvrées, qu'un simple repas préparé avec amour vient soulager le temps d'une soirée.

Cela commence par José, le patron du bistro qui ne fait plus restaurant depuis l'hospitalisation de son épouse. Une intervention bénigne se mue en coma profond, laissant notre homme éploré. Puis il y a le couple de Marco et Rita, amoureux lessivés, attendant un héritage qui ne vient pas, un peu junkies sur les bords, ils vendent à Gabriel un superbe saxophone qui fera le bonheur des enfants de José. Et pas très loin de tout ça, on retrouve Madeleine, la réceptionniste de l'hôtel où se pose tout ce petit monde bancal. Elle n'est ni laide ni jolie, mais son charme est avenant, avec un petit quelque-chose qui pousse notre homme à lui venir en aide.
« Vous entrez dans leur vie comme ça, l'air de rien. On dirait que vous êtes partout chez vous. (...) Vous me donnez le vertige, c'est tout. Vous n'êtes nulle part et partout en même temps. »

Au début, on ne comprend pas, on se demande d'où vient Gabriel, quel fantôme traîne-t-il dans son fourbis, pourquoi n'est-il que de passage, prêt à repartir vers d'autres destinations imprécises ? C'est seulement au fil des chapitres qu'on aperçoit ses lignes de faille, qu'on saisit l'incroyable. A quelques pages de la fin, on se surprend à en apprendre encore, davantage, toujours. C'est stupéfiant, particulièrement bien dressé. Le portrait de cet homme devient plus nuancé, plus fascinant et troublant. Et l'histoire que nous raconte Pascal Garnier a des allures soudain plus sombres et inquiétantes, faussement simples, plongées dans un décor qui décrit un monde creux, peuplé d'êtres déglingués et qui marchent sur une corde raide. Tout est de guingois, pense-t-on. Et pourtant, la colonne est solide, bien ancrée, et c'est ce qui expliquerait pourquoi ça fait froid dans le dos, le tout ronronnant dans une atmosphère assez asphyxiante. Curieux mélange, improbable rencontre, espoir déraisonnable d'aller à l'encontre de Gabriel et les autres ?... Ne vous y trompez pas, ce fut un instant de lecture inouï !  Un piège, oui.

Zulma - 174 pages -  (Janvier 2008)  16.50

« C'est que ces deux-là s'aiment, enfin, disons que la complicité qui les unit a pris avec le temps les nobles rides des vieux amants. Ils pourraient s'entretuer qu'ils ne s'en voudraient pas. C'est la vie, n'est-ce pas ? À force de voyager dans ce wagon qui pue des pieds, on finit par y faire son petit trou d'intimité, on se comprend. D'odeur à odeur, de coups tordus en coups tordus, on se cannibalise l'un l'autre. C'est dans l'habitude que tout réside, plus besoin de réfléchir, de choisir, on s'y retrouve les yeux fermés, chez l'autre comme chez soi. Les pantoufles avachies, la tignasse du matin, les cheveux sur le peigne, les coulisses de cet exploit de vivre qui nous étonne chaque matin. D'accord, pas toujours exaltant ce reflet dans le miroir, c'est vrai qu'il y a des jours où l'on voudrait le briser mais on ne le fait pas, parce que alors on se retrouverait le nez au mur et que le mur a encore une plus sale gueule que soi. »

Du même auteur, j'ai lu La Solution Esquimau .

D'autres avis sur La Théorie du Panda : Renaud Junillon, de la librairie Lucioles & Florence Xueref du blog Leo Scheer.

22 janvier 2008

Festin de miettes - Marine Bramly

festin_de_miettesCe qu'en dit l'éditeur :

Lycéennes, elles étaient les meilleures amies du monde : Sophie, la petite provinciale, gauche, fille unique et mal-aimée de parents âgés et rabougris, et Deya, fascinante, racée, dotée de l’assurance de sa caste, les Rausboerling, grands bourgeois protestants, extravagants et libres.
Livrées à elles-mêmes, les deux adolescentes ont vécu une parenthèse enchantée dans la petite maison au fond du jardin de l’hôtel particulier de la famille de Deya, rue des Grands Augustins.
Et puis la rupture inexpliquée, suivie de l’exil en province, jusqu’à ce coup de fil de Deya, huit ans plus tard, qui conduit Sophie à abandonner travail et mari – cette existence médiocre qui lui fait horreur – pour sauter dans le train pour Paris.
La maison des Rausboerling à la splendeur perdue, puis la brousse sénégalaise où vivent la mère de Deya et son fiancé africain servent de cadre aux étranges retrouvailles des deux amies. Mais peut-on jamais revenir en arrière ? Face à l’exubérance de Deya et au poids du clan, se creuse le vide de Sophie. Face à l’élan de vie, le vertige, jusqu’à la folie…
Roman d’amour et d’amitié, roman de mœurs, roman de démence et de ténèbres, ce Festin de miettes nous mène de Saint-Germain-des-Prés à Dakar, en passant par la Porte de la Chapelle, dans une épopée contemporaine envoûtante où le romanesque se dispute avec brio au suspense intimiste.

Ce que j'en dis :

C'est une histoire entre deux amies d'enfance, qui se sont perdues de vue et se retrouvent près de dix ans après. On en a déjà lu, des histoires à cette sauce. Alors pourquoi se laisser tenter par cette énième copie, après tout ? Tout simplement parce que « Festin de miettes » donne l'impression que l'écriture coule de source, qu'une histoire peut s'écrire et se raconter de façon claire et limpide, que cela vous emporte et ne vous lâche plus avant la dernière page. 

C'est la quête d'une mère qui pousse Sophie et Deya, fraîchement réconciliées, à se lancer vers une piste qui les conduit tout droit au Sénégal. Mais pour toutes les deux, le parcours réveille des anciennes bouffées d'envie et d'aigreur. Le voyage n'est pas gratuit, il va les mener vers des vérités dérangeantes.
Avant cela, le décor était planté dans un « petit pavillon enfoui sous une perruque de glycine, dont la façade était en grande partie ouverte aux regards, comme dans une maison de poupée », une maison nichée au fond du jardin d'un hôtel particulier que possède la famille Rausboerling. Et ce théâtre de la rue des Grands Augustins semble coupé du reste du monde, plus rien n'existe autour. On entre chez les Rausboerling comme dans une autre dimension, dans une demeure splendide d'un autre temps, où l'on croise des figures flamboyantes et décaties.
Le vertige qui saisit Sophie est là pour lui rappeler les années de frustration, de rage et d'amertume. Sa propre vie est devenue si médiocre le jour où elle a quitté ce foyer d'adoption, poussée par la colère de Deya. Et pourtant, aujourd'hui, la jeune fille la réclame. Comme au bon vieux temps. 

L'histoire est étourdissante, passionnante et brillante !
Marine Bramly paraît aussi à l'aise en pleine brousse africaine ou dans un hôtel particulier d'une famille de vieux bourgeois, baladant personnages et lecteur au gré d'une aventure captivante. J'ai été soufflée, emportée, enjouée et séduite par ce récit. Peut-être la quatrième partie est un peu plus faible, plus esquintante... même si finalement j'ai trouvé que le point final était osé. 
C'est superbement envoûtant, d'un romanesque époustouflant, parfois déconcertant, mais quel brio ! Vous ne lâcherez pas ce livre avant la fin !

JC Lattès - 359 pages -  (Janvier 2008)  18.00 €

Madame Figaro, 01-2008

"A lire Marine Bramly, on a l'impression qu'un roman c'est simple comme bonjour. Il y faut simplement du talent, un brin d'humour et d'émotion, une façon de cueillir les phrases comme elles se présentent, sans tambour ni trompette." Eric Neuhoff

"La diabolique Sophie, qui a mis son existence entre parenthèses dans le secret espoir de renouer leur amitié passionnée, n'a qu'une idée en tête : «fusionner en paix» avec son ancienne amie. Cette insupportable créature «aurait tellement aimé être comme Deya, aussi relax, aussi indifférente, et se laisser porter par le cours des événements», mais elle est toujours si mal lunée qu'elle en devient comique. Passé l'âge de se contenter des miettes de son idole, celle qui se perçoit comme un «hérisson avec les épines à l'intérieur» a appris, sous des dehors caressants, à sortir les griffes."   Le Figaro.fr

21 janvier 2008

Rêve d'amour - Laurence Tardieu

reve_d_amourMy god ! ce roman est sublime ! Puissant dans son écriture et affolant par son style épuré, sensible comme de la soie, le livre de Laurence Tardieu renferme une quantité de passages que je souligne avec passion !
Tout me parle dans ce livre, notamment cette histoire d'une jeune femme de 30 ans qui a grandi sans maman, sans le souvenir de celle-ci. Vingt-cinq ans plus tôt, elle a été emportée par la maladie mais personne n'a prévenu la petite fille. Plus tard, elle comprendra. Cependant, aucun souvenir, aucune mémoire, aucun culte de la personnalité. Alice Grangé est élevée par son père, silencieux et imperméable, et qui lui soufflera le Grand Secret sur son lit de mort.
Ce court roman, en nombre de pages, est déstabilisant par sa justesse et son flot d'émotions. J'ai été émue aux larmes à maintes reprises, tout en soutenant l'entreprise d'Alice. Celle-ci apparaît fragilisée au début du livre, abrutie et désillusionnée. En fouillant le passé, elle cherche ainsi à redonner des traits au visage de sa mère, à cerner ce qu'est un amour fou. Ce qu'elle comprendra en chemin sera forcément bouleversant, et ne pourra que vous toucher (du moins, moi j'y ai été fort sensible).
« Le bonheur, c'est de se savoir appartenir au royaume des vivants, et d'en éprouver les innombrables frémissements. »
« Il n'y a pas de vérité, ni des êtres, ni du temps. Il n'y a que le présent, son éblouissement. »
C'est dans un cahier bleu qu'Alice Grangé raconte son parcours, et à la fin elle a cette formidable conclusion, que je m'approprie : « (...) j'ai compris que les livres étaient une des expressions les plus fortes, les plus troublantes et les plus vraies de la vie. »

Stock - 159 pages - 15.50 €

Merci Laure d'en avoir parlé la première et de façon si brillante !

A été lu par Amanda aussi.

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17 janvier 2008

L'homme que l'on prenait pour un autre - Joël Egloff

joel_egloff_hommeLe narrateur a un gros inconvénient : son visage est commun et n'importe qui dans la rue est persuadé de le connaître ou de l'avoir déjà rencontré. Notre homme collectionne, bien malgré lui, les étiquettes et les identités, il n'y comprend rien, et en dépit de ses nombreux efforts, il s'enfonce  et endosse les parures.

Les altercations commencent très tôt, avec le facteur qui lui remet un courrier qui ne lui appartient pas, ensuite il découvre que ce sont des lettres d'amour, des déclarations belles à faire fantasmer et il se prête à rêver un instant à cette douce inconnue, qui pleure son amour perdu... Puis il se trompe d'étage et se trouve nez-à-nez avec une épouse et ses deux enfants ! Ou il est pris pour un ancien gangster, se fait passer à tabac en pleine rue et ne trouve plus l'adresse de son cordonnier. Un dimanche sur deux, notre homme se rend à Mourmelon visiter une vieille tante dans une pension pour personnes âgées. Elle pourrait le raccrocher à sa réalité, mais elle-même vit dans sa bulle, tout en sucrant ses fraises et en attendant l'arrivée des Américains. Un jour, elle aussi disparaît, ou alors c'est lui qui ne la retrouve plus ?

C'est ainsi que ça se passe, dans le roman de Joël Egloff les identités sont floues, les défenses passives et les repères égarés. A l'instar du personnage central, le lecteur s'y balade en étant incrédule et perplexe. L'aventure rocambolesque de cet homme peine à adhérer toute compréhension, le bizarre colle aux doigts et pourtant jamais l'envie d'abandonner le roman ne vient nous effleurer. Et pourquoi ? Tout simplement parce que c'est superbement écrit ! Joël Egloff a le don, le talent et le sens des mots au centimètre près. Il a recours à sa poésie particulière et à l'humour noir pour dresser le portrait de ce Monsieur Tout-le-Monde, un brin pathétique, mais touchant à ne rien pouvoir retenir entre ses filets. Alors tout coule, et 200 pages défilent...

Buchet Chastel - 202 pages.  17.90 €

Illustration de couverture : Anne Bénoliel-Defréville

14 janvier 2008

Les derniers Indiens - Marie Hélène Lafon

derniers_indiens« Les Santoire vivaient sur une île, ils étaient les derniers Indiens, la mère le disait chaque fois que l'on passait en voiture devant les panneaux d'information touristique du Parc régional des volcans d'Auvergne, on est les derniers Indiens. » Ils ne sont plus que deux, désormais, à vivre dans la maison familiale, Marie et son frère Jean. La mère est décédée, laissant un trou béant. Elle était tout, directive et intransigeante, menait le foyer à la baguette, et ne voyait que par Pierre, l'aîné. Ce dernier n'était pas du même moule, il aimait partir, vivre et menait une vie en dehors du cocon. Un jour, il est revenu et s'est éteint doucement, épuisé par la maladie.

La maison des Santoire est une demeure remplie de fantômes et de spectres, une maison de souvenirs qui écrasent et engloutissent les vivants. « Les morts étaient dans la maison, dans ses murs et dans son air, ils respiraient avec les vivants, à leur côté, ils avaient leurs aises, leurs usages, même les morts de peu de conséquence, comme le père. Tous habitaient, demeuraient, ceux que l'on avait connus et les autres, nombreux et patients, à leur place, sans acrimonie, et c'était simple de glisser avec eux d'une heure à l'autre chaque jour. On n'avait plus de tristesse comme on avait eu pour Pierre à en être déchirés de folie en attendant la suite, c'était derrière, la tristesse les larmes chaudes la peur. On restait, on, les deux, avec les choses formidables qui grouillaient silencieusement et proprement dans l'ombre des pièces fermées. »

Marie vit aujourd'hui dans l'attente de l'instant où les voisins d'en face, les Lavigne, viendront et prendront tout. C'étaient des incapables, selon la mère, des brutaux en agriculture, mais ils sont devenus « plus gros, plus visibles, plus enviables et plus enviés ». Toutefois, un malheur les a frappés avec le meurtre de l'Alice, la drôlette de la famille. Et ce crime est resté irrésolu.

Ce qui fascine le personnage de Marie intrigue le lecteur, bien forcé de suivre les pensées de cette femme, et de connaître son monde à travers son regard. Le milieu est reculé, agricole et rural. Le cadre familial est sec comme du bois ; la figure de la mère est omniprésente, omnisciente. Longtemps Marie s'est tue pour suivre les préceptes de celle-ci, maintenant elle se permet des entorses aux règles de la mère, elle agit à sa guise et commence même à nourrir quelques rancunes, en plus des regrets. « Marie comprenait que ses propres ruminations répondaient à celles de la mère, étaient du même sang, faisaient pendant, muettes, gratuites, incongrues. »

Marie-Hélène Lafon nous plonge une nouvelle fois dans une ambiance âpre, mais pas douloureuse, un peu inquiétante et sourde au progrès (et aux modes). Cette façon de raconter l'histoire est son empreinte, et cela ne cesse de me séduire à chaque fois !

Buchet Chastel - 208 pages.  13.90 €

Marie Hélène Lafon est également l'auteur de :  Le soir du chien (roman) ; Liturgie (nouvelles) ; Sur la photo (roman) ; Mo (roman) ; Organes (nouvelles).  Pour avoir tout lu et aimé, je vous la conseille vivement !   

13 janvier 2008

Les glorieuses résurrections - Alice Dekker

glorieuses_resurrectionsDans une clinique de Montana en Suisse, courant juin 1945, des femmes sont recueillies pour une longue convalescence, pénible et douloureuse, car ce sont toutes des rescapées des camps nazi. L'action est subventionnée par la Croix Rouge, encadrée par une équipe de médecins et d'infirmières dévoués à cette fonction pas facile.

Le roman se décompose comme un journal, écrit par l'un des médecins, narrateur consciencieux, investi d'une mission de grande écoute, et lui-même va vivre là une expérience unique, enrichissante mais aussi prête à l'ébranler, car plusieurs de ses certitudes vont être remises en cause, savamment, mais elles lui permettront de mieux mener à terme son travail. Et sur un plan personnel, cette étude lui ouvrira un plus large horizon et le conduira à entreprendre des choses nouvelles, oser franchir un autre cap et s'affranchir de son passé. Ce constat se vérifie au fil du temps, car il comprend que ses applications scientifiques sont parfois dépassées par la réalité, qu'il a face à lui des femmes dévastées et qui parfois ne trouvent qu'un peu de réconfort dans une séance de coiffure ! Toutefois, l'homme s'attache, malgré le protocole, et parmi toutes les patientes, il se rapproche d'Anne, une jeune fille de 24 ans, qui ne livre pas son histoire.

Dans cette clinique, on croise des réfugiées, des déportées, deux autrichiennes, une mère et sa fille, violemment prises à parti par le reste des femmes. On assiste à des départs, à des morts, dont une violente, et à des retrouvailles. On saisit quelques bribes sur les unes ou les autres, mais ce sont des morceaux volés au hasard, suite à des confessions arrachées sur le bout de la langue. L'émotion reste palpable !

Le livre se lit très vite, il n'est pas bien épais non plus, et il apporte un éclairage intelligent sur le traumatisme des déportées qui, en 1945, n'osaient pas livrer leurs témoignages mais portaient en elles des stigmates lourds et indélébiles. Les médecins de cette clinique pratiquent des placebos pour lutter contre les démons, et « ne pas laisser leurs souffrances les submerger ». Durant une année, le médecin nous raconte cette expérience admirable de glorieuses résurrections, à la manière d'un témoignage sobre et pudique, qui rend la lecture tout à fait intéressante !

Arléa, 130 pages.  15.00 €

Couverture : Albert Cos, A Zinal.

11 janvier 2008

Et mon coeur transparent - Véronique Ovaldé

et_mon_coeur_transparentLancelot Rubinstein a une enclume dans le ventre depuis l'annonce du décès accidentel de son épouse Irina. Effondré, l'homme découvre dans son malheur que sa femme n'était pas ce qu'elle prétendait être, et sa mort brutale le met face à tous ses mystères. Pour un type jaloux, qui avait tout quitté, première femme comprise, pour vivre le grand amour avec son double, l'émotion s'emballe, devient vrillante. En toute logique, notre homme se pose la question : Sait-on jamais avec qui l'on vit ? Connaît-on tout de la personne avec laquelle on partage le quotidien ?
Au fil du temps, Lancelot découvre que Irina a fini ses jours dans une voiture qui n'était pas la sienne, qu'elle se trouvait à un endroit où elle n'était sensée être, que son coffre était rempli d'objets étranges et que son père, Paco, n'est pas mort.
La découverte du vrai et du faux s'amoncelle et plonge le personnage dans un trou sans fond, de même le lecteur l'accompagne dans sa chute ! Il n'est pas facile du tout de suivre l'histoire abracadabrante inventée par Véronique Ovaldé. Souvent l'auteur reprend son habitude des chapitres alambiqués, troubles et truffés de points fantaisistes et absurdes. Tout esprit cartésien est largué ! Mais le point fort du livre - oui, il existe bel et bien - est justement cette étonnante écriture, audacieuse et pleine, intelligente et ronde, délirante et coquine. Là où le lecteur s'attend à un minimum de jugeotte, l'auteur décide de ne pas en découdre et propose une virée extravagante, complètement grotesque, mais suffisament captivante pour subjuguer et susciter la curiosité.
Qui était Irina Rubinstein ? Le roman est un peu construit comme une enquête, le chef de file ( = Lancelot, son compagnon) est complètement paumé, mais il va de l'avant et se rappelle les souvenirs de son idylle. C'est tantôt superbe et remarquable, tantôt gonflant et incompréhensible. C'est très bizarre, mais ça vaut le coup de tenter et d'y jeter un oeil !

Editions de l'Olivier - 232 pages.  18.00 €

Photographie : Love is in the air, Helen Bendon & Jo Lansley

10 janvier 2008

Le strip-tease de la femme invisible - Murielle Renault

strip_tease_femme_invisiblePetite et ronde, Mélanie a quinze ans et rencontre au lycée Fanny, une brindille criblée de piercings, mauvaise élève, mais formidable locomotive pour embarquer les kilos en trop et l'esprit maussade de Mélanie ! Toutes deux deviennent inséparables, et Mélanie sent un brin de confiance enfin la gagner, grâce à un relooking express. Peine perdue ?

A vingt-cinq ans, comme à quinze, Mélanie est toujours trop grosse et n'a pas de petit ami sérieux. Fanny l'incite à fréquenter un site de rencontres pour les femmes rondes, et peut-être Mélanie trouvera là son âme soeur. Qui sait ?

Dix nouvelles années s'écoulent, et Mélanie va se lancer dans une grande aventure : un programme de télé-réalité pour l'aider à perdre du poids et subir une chirurgie plastique. A elle, la vie de sylphide, les régimes drastiques et les calories à compter scrupuleusement. Pour le lecteur, nul doute que ce petit jeu est malsain et fait tomber notre héroïne dans une spirale dangereuse. Ainsi soit-il ?

La quête du poids idéal, l'obsession de l'apparence sont les deux chevrons qui maintiennent la jeune femme dans la course du paraître à tout prix. Assoiffée de reconnaissance, Mélanie a tout tenté auprès de ses proches ou des hommes de sa vie pour y trouver une étincelle de bonheur. Sans cesse, la jeune femme revient à la case Départ, laissant le malaise la ronger.

Cette histoire est donc celle d'un sauve-qui-peut, d'une pauvre fille intelligente, mais qui ne s'accepte pas dans son corps, et c'est la tentative désespérée de décrocher une timbale inaccessible. Ce reflet d'un mal moderne donne un peu la chair de poule, le lecteur en sera quitte pour accompagner Mélanie dans l'escalade vers l'enfer (boulimie et anorexie). Mais au lieu d'être accusateur et moraliste, le livre demeure léger, dévoilant la bêtise humaine (nutritionnistes et psys font chorus pour blâmer sans cesse la jeune femme), l'ineptie d'un programme tv qui cherche à modeler votre image selon un faux-semblant, et la quête absolue et maladive de la minceur. Bien avant de sombrer dans l'amertume, l'histoire se veut enlevée, délicieuse et vous donne le goût d'une tartiflette à faire saliver les papilles !

Le dilettante - 222 pages.  17.00 €  - Couverture : Alice Charbin.

A été lu par Gawou aussi !

Du même auteur, j'ai lu : 

enfin_la_verite

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