Corps de ballet - Michel Quint
Maria est une ancienne danseuse, au corps déglingué et usé par le temps qui a passé, elle est aujourd'hui femme de ménage chez Paul, un prof d'histoire, et les Gamelin, un couple d'avocats, parents de deux jeunes enfants, Astrid et Vincent. Maria passe son temps libre au Comtesse à écouter son ancien amant Armand, ou s'éblouit les yeux devant la vitrine de Diva, la boutique de fripes vintage d'Adèle. Maria est d'ailleurs une femme extraordinaire, elle lit chez les autres les romans comme Giono, Steinbeck ou Dos Passos. Elle n'a jamais été mariée, a rompu avec ses amants car elle refusait tout engagement, ne voulait pas non plus d'enfants. Elle se rattrape chez les autres, comme les petits Astrid et Vincent, avec lesquels elle prépare en cachette un ballet pour la surprise du matin de Noël. Au coeur de ce fantastique remue-ménage, Maria est également fâchée après Paul, fâchée d'avoir répondu à des questions sur sa vie, sur son père et son passé dans l'armée Rouge, durant la bataille de Stalingrad. Maria est chamboulée d'avoir commencé à "déboutonner la mémoire", des vieux démons semblent s'échapper de sa boîte de Pandore...
En un mot comme en cent, "Corps de ballet" est un livre éblouissant et remarquable, il met en scène cette femme, Maria Voronina, dont le parler ne s'enrobe d'aucun maniérisme, qui fait fi des ronds-de-jambe, "mes mots je les vois d'en dehors, je les juge à la carcasse, m'en fous un peu de leur sens, pourvu qu'ils se tiennent correctement et soient sages, et qu'ils dansent bien, évidemment". C'est un exercice ensorcellant, impossible de ne pas s'attacher à cette ancienne ballerine, désormais âgée de soixante ans, qui vit dans le Vieux Lille, dans ses petits quartiers qui constituent à eux seuls un village dans la ville. Son histoire est touchante, à la fois entraînante et élégante, comme un "corps de ballet", mais elle cache en fond de tiroir un passé plus troublant, plus opaque et qui est sincèrement bouleversant. Michel Quint est un prodige qui entend ce que lui chuchotent "les murs, les rues, les pavés" de ce Vieux Lille qu'a su attraper Cyrille Derouineau du fond de son objectif, "un attrapeur d'âmes". Emparez-vous de ce livre, il est étourdissant, poétique et émouvant, il montre également qu'on peut faire de la littérature avec d'autres matériaux que 900 pages d'un vocabulaire ronflant ! Pssst, suivez cette ombre qui porte un ocelot et qui se balade dans les rues de Lille, c'est sans doute Maria Voronina...
Texte de Michel Quint, Photos de Cyrille Derouineau - Estuaire
- échappée de lecture : "Voilà tout mon royaume de Cendrillon qu'a passé l'âge des citrouilles. La paix y régnait, jusqu'aux curiosités de Paul. De vouloir à tout prix me grimper à l'arbre généalogique, remonter à mes origines, il a tout chamboulé mes amnésies tranquilles. Et moi, bécasse, qui suis entrée dans son manicrac ! Faut croire que j'avais besoin de vider mes poches... Ce que je finis de faire aujourd'hui, dimanche de Noël, maintenant que les plaies de maintenant sont à vif, celles du passé rouvertes comme une tombe profanée, et qu'on s'écarquille la bouche sur un grand cri sans fin... Mais faut revenir sur nos vieilles danses, retrouver là où on a fait des faux pas et qu'on a dansé un monde inhumain. Peut-être que le dire ça va le remettre d'aplomb, allez savoir. "