Le chagrin du roi mort ~ Jean-Claude Mourlevat
Il n'y a pas de romans pour la jeunesse, juste de la littérature pour tous.
Le roman de Jean-Claude Mourlevat est une belle claque, une leçon de maître. On y pénètre comme dans un conte, c'est l'histoire de deux frères élevés comme des jumeaux, l'un d'eux va être enlevé. Nous sommes à Petite Terre, une île où on y trouve que des livres et de la neige. Pas besoin de chercher sur une carte, ni de situer dans le temps, c'est une histoire qui pourrait se passer ici ou ailleurs, une histoire qui n'a pas d'âge. Elle te touche, là, maintenant, et c'est le principal.
Je conseille à tous ceux qui auront l'occasion de lire ce roman de ne pas aller à la pêche aux informations, de faire confiance à l'auteur exceptionnel qu'est Jean-Claude Mourlevat (rappellez-vous, Le combat d'hiver, c'était lui aussi !!!) et de pénétrer dans ce livre en acceptant de suivre le guide.
Les 200 premières pages se lisent d'une traite, elles vous transportent à Petite Terre où le roi vient de mourir. Suivra alors une folle chevauchée où il sera question de séparation, de fraternité, d'amitié et de conquête. Les personnages sont attachants et semblent tout droit sortis de royaumes imaginaires et enchanteurs - un nain maniaque qui part à l'aventure avec son violon à l'épaule, une vieille sorcière qui mange les têtes de rat ou une femme aux yeux de louve qui vit pour l'amour exclusif d'un homme.
Je pense d'ailleurs que toute la première partie est la plus belle, la plus envoûtante. La deuxième aussi est captivante, elle reprend les thèmes chers à l'auteur, que sont la guerre, la dramaturgie, l'absolutisme, le sacrifice, la rédemption. Je vous défie de sortir de ce roman en ne ressentant pas ce petit serrement au creux du ventre, cette frustration de ne plus en être et de quitter cette terre peuplée de personnalités inoubliables.
C'est un grand, un vrai roman. Une merveille.
Gallimard jeunesse, 2009 - 405 pages - 16€
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Extrait
Mme Holm avait une habitude bien innocente : certains soirs, elle se laissait enfermer dans la bibliothèque royale de Petite Terre. Comme elle était l'âme de ce lieu, en tout cas l'employée la plus ancienne et la plus irréprochable, on lui avait accordé ce privilège. Peu de personnes le savaient.
Le gardien en chef, qui était le dernier à s'en aller, fermait une à une toutes les portes d'accès et laissait derrière lui la petite dame toute seule dans l'immense bâtiment.
Elle pouvait alors circuler à sa guise et profiter des livres qu'elle aimait. Elle se rendait dans une salle qu'on appelait « l'infirmerie » et dont elle possédait la clé. Il s'agissait d'un local dans lequel on entreposait les livres en attente d'être restaurés. Sa préférence allait aux enluminures. Elle pouvait rester penchée longtemps sur une seule page, à admirer les couleurs éclatantes et la minutie des dessins. Ou bien elle s'asseyait et lisait une saga, dans le silence absolu, sauf le bruissement des pages, et il lui semblait que l'auteur s'adressait à elle, en confidence, par-delà les siècles.
Y avait-il quelque part dans le monde un endroit où se trouvaient rassemblés plus de précieux volumes qu'ici ? Elle en doutait. Être seule au milieu de ces trésors l'emplissait de bonheur et de fierté.