Orgueil et préjugés et zombies ~ Seth Grahame-Smith
Flammarion, 2009 - 317 pages - 17€
traduit de l'anglais par Laurent Bury
« - Elle est tolérable, mais pas assez jolie pour me tenter, et je ne suis pas d'humeur à accorder de l'intérêt aux demoiselles que les autres hommes dédaignent.
Alors que Mr Darcy s'éloignait, Elizabeth sentit son sang se glacer. Jamais de sa vie elle n'avait été insultée de la sorte. Le code des guerriers exigeait qu'elle vengeât son honneur. En veillant à ne pas attirer l'attention, Elizabeth baissa la main jusqu'à sa cheville, où elle trouva la dague qu'elle dissimulait sous sa robe. Elle avait l'intention de suivre cet orgueilleux Mr Darcy à l'extérieur et de lui trancher la gorge.
Cependant, à peine avait-elle saisi la poignée de son arme que la salle se remplit d'un choeur de hurlements, aussitôt accompagnés d'un bris de vitres. Des innommables se répandirent dans la pièce, avec des mouvements gauches mais rapides ; les habits dans lesquels ils avaient été inhumés illustraient toutes les formes de désordre possibles. Certains portaient des robes en lambeaux, si bien que leur nudité en était scandaleuse ; d'autres, des costumes si crasseux qu'on les aurait crus faits de terre et de sang séché. Leur chair présentait des degrés divers de putréfaction ; chez ceux qui venaient de trépasser, elle était souple et légèrement verdâtre, alors que chez ceux dont la mort remontait à plus longtemps, elle était grise et friable. Leurs yeux et leur langue étaient de longue date tombés en poussière, et leurs lèvres se retroussaient en un perpétuel sourire de squelette.
Quelques-uns des invités, qui avaient la malchance de se trouver près des fenêtres, furent aussitôt capturés pour être dévorés. Lorsque Elizabeth se redressa, elle vit Mrs Long tenter de se dégager alors que deux monstres femelles lui mordaient la tête. Le crâne craqua comme une noix et projeta des éclaboussures de sang noir jusqu'aux lustres.
Tandis que les invités fuyaient en tous sens, la voix de Mr Bennet retentit à travers le vacarme.
- Mesdemoiselles ! Pentagramme de la Mort !
Elizabeth rejoignit aussitôt ses quatre soeurs, Jane, Mary, Catherine et Lydia, au centre de la pièce. Chacune des filles détacha un poignard de sa cheville et elles se disposèrent de manière à former les cinq branches d'une étoile, puis s'avancèrent simultanément. Chacun brandissait d'une main un poignard tranchant comme un rasoir, l'autre main pudiquement rangée dans le dos.
D'un angle de la salle, Mr Darcy regarda Elizabeth et ses soeurs progresser vers les murs, décapitant zombie après zombie sur leur passage. Il ne connaissait qu'une seule autre femme dans toute l'Angleterre qui maniait le poignard avec autant d'habileté, avec autant de grâce et avec la même précision mortelle.
Lorsque les filles atteignirent les murs de la pièce, le dernier des innommables gisait au sol, inerte.
En dehors de cette attaque, la soirée se déroula agréablement pour toute la famille.
(...) »
Une farce, ce roman !
Pas le temps d'avoir une petite pensée pour Jane Austen, ou tout juste, qui doit se retourner dans sa tombe. Cette parodie est à prendre à la légère, l'intrigue de base est la même que l'oeuvre originale (Orgueil et Préjugés) mais cette fois le Hertfordshire est ravagé par un terrible fléau : des attaques de zombies. M. Bennet ne gamberge plus dans son bureau, parmi ses livres poussiéreux, il a le souci de veiller à la défense de sa maison et passe son temps à aiguiser son poignard, nettoyer son mousquet et entraîner sa progéniture. Les filles Bennet sont des fines mouches, elles constituent l'armée de faction (en jupons et dentelles) à Longbourn et ses environs (elles ont même suivi un entraînement intensif dans l'art du combat à mort !).
Netherfield Park accueille ses nouveaux locataires, soit M. Bingley et toute la clique londonienne, dont le très orgueilleux Darcy. Vous l'avez compris, 85 pour cent du texte original ont été préservés, Grahame-Smith s'est ensuite contenté de fondre son grabuge du zombie ultraviolent pour un roman au-delà de toute morale. Les puristes crieront au scandale, les autres lecteurs penseront juste que c'est à prendre au second degré !
Car c'est effectivement cocasse, absurde, grand-guignolesque, invraisemblable, terrifiant et ridicule. Et pourtant, ce n'est pas totalement mauvais non plus, sauf si vous n'aimez pas les zombies et ce qui s'apparente à de la comédie très gore !
Pour ma part, j'ai ricané. J'ai franchement passé un bon moment, en reconnaissant que c'était osé, maladroit, en perte de vitesse au fil des pages et proche du sacrilège.
Ce livre de Grahame-Smith n'a aucune prétention, l'auteur a d'ailleurs de l'humour puisqu'il se présente lui-même comme un écrivain et scénariste américain qui ne s'est jamais remis de la lecture de Jane Austen ! Bien sûr, son délire littéraire est voué à l'oubli, en attendant il est bon de rire...
Et c'est à souhaiter que les lecteurs qui trouveront ce livre, sans connaître l'original, auront l'envie de découvrir la véritable pépite sans attendre !
D'autres facéties sont à craindre pour la suite : Sense and Sensibility and Sea Monsters ; Mansfield Park and Mummies ... Et un prequel à Pride and Prejudice and Zombies va paraître en mars 2010 sous le titre de Dawn of the dreadfuls, où Liz Bennet devient cette stupéfiante tueuse de zombies qu'on connaît.
Les Janeites sont sous le choc ! :o)