Un monde sauvage, de Xavier-Laurent Petit
- La Maslenita au feu ! La Maslenitsa au feu !
C'était la même chose, chaque année, à l'arrivée du printemps. Les enfants, les parents, les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes... On était tous là, tous ceux de Slobodnié, y compris le minuscule bébé de Klara, notre voisine, qui disparaissait sous le manteau matelassé de sa mère. Rien qu'à nous entendre hurler ce jour-là, on aurait pu croire que nous étions des milliers. Mais Slobodnié n'était qu'une minuscule bourgade perdue au bout du bout de la taïga. À part les loups, les ours et les renards, personne ne pouvait nous entendre. L'air sentait la fumée, le miel, le girofle et les blinis. Il faisait un froid à fendre les pierres, mais on se réchauffait en dansant autour du feu, en buvant et en braillant comme des déments. On fêtait le printemps, qui n'arriverait que des semaines plus tard.
Dans une contrée isolée de l'Extrême-Orient sibérien, Felitsa, une jeune ado russe, a coutume de faire l'école buisonnière pour suivre sa mère dans ses tournées de garde-forestier. Celle-ci vient de relever des traces d'une maman tigre pleine et n'ignore pas qu'elle constitue désormais une proie de rêve pour les braconniers. Le père de Kostia, un camarade de Felitsa, est d'ailleurs la bête noire de sa mère, même si elle veille au grain, son impuissance est grande en apprenant que son échalas de fiston cherche à prendre du galon.
Dans une ambiance sauvage et fascinante, se dessine une vie rudimentaire, basée sur la simplicité, les traditions et le respect de la nature. Et c'est l'homme qui vient y mettre sa pagaille, en traquant férocement des espèces protégées, en glissant vers l'interdit, en se gavant de paradis artificiels ou en cédant aux émulsions hormonales... Observatrice sensible et attentive, Felitsa diffère de ses amis en boudant le shopping, les fêtes, les soirées arrosées, les danses lascives. À la rentrée prochaine, elle devra partir en ville pour poursuivre ses études et quitter l'école de la taïga si chère à sa mère. En attendant, elle va être au cœur des événements tragiques de ce printemps en pleine mutation, dont l'auteur va livrer tous les secrets et les enjeux en déployant force et émotion, insouciance et ferveur. Des drames personnels et familiaux viendront ponctuer l'histoire vers une issue poignante, d'où l'on retiendra essentiellement la valeur symbolique de la préservation des valeurs ancestrales et de l'environnement. Un roman qui complète merveilleusement l'œuvre de l'auteur pour une lecture toujours riche en réflexion et pleine d'une promesse d'évasion. Dépaysement assuré.
L'École des Loisirs, mai 2015