«Ce n'est pas un livre sur la Seconde Guerre mondiale, mais sur des enfants qui ont grandi pendant la guerre. J'ai rencontré des vieilles dames et des vieux messieurs... des râleurs, des sympas, des tristes, des gais, des combatifs, des politisés, des victimes, des rigolards. Y en a pas deux qui se ressemblent, mais tous ont un point commun: le stress et la peur. J'ai voulu montrer dans ces entretiens que ce sont des enfants d'hier qui parlent aux enfants d'aujourd'hui. Ainsi Jean, Yvan, Marie et les autres se souviennent et racontent...» Vincent Cuvellier
Remarquable ouvrage qui se penche sur l'histoire de nos parents ou grands-parents et leur enfance durant les années noires entre 39 et 45 !
On y découvre une poignée de témoignages tous plus passionnants et intéressants les uns que les autres : de la jeune Livia, fille de réfugiés italiens installés dans une ferme de l'Isère, qui redouteront d'être pointés du doigt à cause de leurs origines, mais qui n'hésiteront pas à donner un coup de pouce pour d'autres exilés ou pour soutenir la résistance française ; du jeune François, fils de bonne famille, qui suit la tendance, sans faire de vagues, rapport à une éducation rigide et religieuse ; du jeune Charles, dont le père est juif polonais, et qui échappera de justesse avec sa mère à la Rafle du Vél' d'Hiv ; du jeune Lionel Rocheman, qui deviendra le grand amateur de folk américaine, qui a porté une étoile jaune, qui a quitté Paris pour devenir agent de liaison chez les maquisards, qui a tracé sa route et qui est revenu à Paris désabusé, meurtri à jamais, comme souvent les rescapés comme lui... Et il y a la Tante Marie, en Normandie, courageuse et intrépide, bravant le feu pour récupérer l'essence d'un avion, pédalant crânement jusqu'à Caen pour prendre des nouvelles de sa grand-mère, partageant la liesse populaire à l'arrivée des soldats américains...
Au fil des portraits croisés, on parcourt aussi plusieurs aspects de la guerre (vivre sous l'occupation, le rôle de Pétain, le régime de Vichy, survivre avec le marché noir, organiser la résistance, suivre De Gaulle ou pas, la persécution des juifs, le débarquement des alliés, les bombardements, la bataille des Ardennes, le retour des prisonniers, la libération des camps...). Entre chaque témoignage, deux pages de documentaire sont glissées en intercalaire pour allier efficacement la part romancée et l'apport éducatif. C'est super enrichissant.
La lecture vaut de toute façon qu'on s'y attarde. Elle alterne les émotions, nous captive par la délicatesse des personnalités rencontrées, par les histoires confiées parfois avec une pointe de nostalgie, ou une immense tristesse. Certaines sont plus bravaches que d'autres. Et l'on découvre alors une guerre aux multiples visages. Une guerre qui a laissé des traces, qui a creusé des sillons sur les visages, qui hantent les mémoires et qu'il est nécessaire de cultiver par la force du souvenir. L'initiative de Vincent Cuvellier est excellente, à donner la parole aux témoins de l'époque, à cette génération qui s'épuise et qui va prochainement se taire à jamais, d'où l'importance de délier les langues, encore et toujours.
« La vie normale va pouvoir reprendre. Mais quand on a connu la guerre, rien n'est vraiment normal. »
Une lecture indispensable !
Gallimard Jeunesse, coll. Giboulées / Novembre 2015
Textes documentaires : Odile Gandon
Illustrations : Baron Brumaire