Le Ciel est partout
C'est notre histoire. Il prononce cette phrase avec sa voix des dix commandements, et leur résonnance en moi est à l'avenant : profonde. Avec tous les bouquins que je lis, j'aurais pourtant pu y penser avant. Mais non. Pas une fois je n'ai songé à l'interprétation, au récit que l'on donne de sa vie, ma propre vie. J'ai toujours eu le sentiment que c'était une histoire, oui, mais pas une histoire dont je serais l'auteur et dont je pourrais influencer le déroulement.
Chacun est libre de raconter son histoire comme il l'entend.
Chacun son solo.
Follement romanesque et romantique, poignante et exaltante, l'histoire de notre John Lennon (Lennie, pour ses proches) nous touche et nous bouleverse. Son chemin vers la guérison (ne pas s'en vouloir d'être en vie et heureuse sans sa soeur décédée) est parsemé de petits cailloux, sur lesquels elle trébuche, et de petits bouts de papier sur lesquels l'adolescente griffonne ses états d'âme, ses bouts d'elle, avec ou sans sa soeur, lâchés au vent, confiés dans le vide, égarés volontairement pour que ses pensées sortent d'elle et ne l'enferment plus.
C'est frais, poétique, émouvant. Beau comme la vie, avec ses hauts et ses bas, ses coups durs, ses éclats, ses trahisons, ses révélations. J'ai aimé ... comme le goût des baisers de Joe et Lennie qui atteignent le firmament. Mention spéciale pour la grand-mère et l'oncle de Lennie, pour Sarah, sa meilleure amie, pour Joe et ses frères, tous plus renversants les uns que les autres, pour la musique aussi, dont la puissance d'évocation frise l'érotisme, comme le souffle du vent dans les arbres de la forêt, sans oublier le jardin de Manou, pour sa douce et tendre excentricité, pour ses rosiers au pouvoir aphrodisiaque.
C'était mon plaisir de lecture arrivé au bon moment, mon histoire d'amour, de manque, de deuil et de souffrance qui a su me redonner confiance en la vie. Plus belle, plus joyeuse, plus optimiste. J'ai beaucoup aimé.
Tandis que je regagne la table pour m'asseoir, une certitude s'éclaire en moi : la vie n'est qu'un vaste bazar. En fait, je vais dire à Sarah qu'il nous faut créer un nouveau mouvement philosophique - le bazaressentialisme au lieu de l'existentialisme, pour tous ceux capables d'apprécier ce bazar fondamental qu'est l'existence. Car Manou a raison. Il n'existe pas qu'une seule vérité, mais une multitude d'histoires qui se déroulent toutes en même temps, dans nos têtes et dans nos coeurs, et empiètent toutes l'une sur l'autre. En bref, un immense bazar, calamiteux et magnifique. Comme le jour où Mr James nous a emmenés dans les bois et s'est écrié triomphalement : "Voilà, c'est ça !" face à l'étourdissante cacophonie provoquée par les instruments solistes essayant de jouer ensemble. Voilà : c'est ça.
J'examine les piles de mots qui constituaient autrefois mon livre préféré. Je voudrais recomposer toute l'histoire dans le bon ordre pour que Cathy et Heathcliff puissent faire d'autres choix, qu'ils cessent de se rentrer dedans à chaque virage, qu'ils écoutent la rage volcanique de leurs coeurs et tombent enfin dans les bras l'un de l'autre. Mais il est trop tard. Je vais jusqu'à l'évier, j'ouvre la poubelle et y déverse Cathy, Heathcliff et le reste de leurs malheurs.
Le ciel est partout ~ Jandy Nelson
Gallimard, coll. Scripto (2010) - 330 pages - 11€
traduit de l'anglais (USA) par Nathalie Peronny