Agatha, de Françoise Dargent
Adolescente de quatorze ans, solitaire et sauvage, Agatha s'oppose au projet de sa mère qui veut vendre Ashfield, leur maison où la jeune fille compte tous ses souvenirs. La mort du père a certes révélé des dettes insurmontables, que Mrs Miller tente de résorber du mieux qu'elle peut, mais la jeune fille exige de ne rien y toucher. Heureusement, sa sœur aînée Madge arrive à la rescousse et va trouver une solution pour satisfaire tout le monde !
Ainsi va la vie de la future Agatha Christie, qui coule une enfance heureuse et insouciante à Torquay, dans le comté de Devon. Ses journées se composent de lectures, de baignades, de bons petits plats préparés par Mrs Potter, de leçons à domicile et de voyages. C'est aussi une période charnière pour cette demoiselle qui trouve son corps maladroit et dégingandé, en comparaison avec sa sœur, belle et gracieuse, ou son amie Muriel Huxley. Et puis il y a aussi les garçons, patauds, rougissants et empruntés, entre le très prévenant Mark Barnes, dont l'allure de poupon joufflu l'agace, et Billy Mackintosh qui incarne son idéal masculin.
Agatha est fleur bleue, rêveuse, avec une imagination débordante. Elle se surprend à inventer des histoires, mais n'envisage pas encore d'en faire son métier. Pour l'heure, Agatha se voit chanteuse lyrique et part à Paris pour approfondir ses connaissances. Elle y passe deux années merveilleuses et gagne en confiance, voit ses perspectives d'avenir s'éclaircir (un peu douloureusement) avant de remplir de nouveau ses malles pour accompagner sa mère en Egypte.
Cette fiction inspirée de la vie d'Agatha Christie ne prétend pas à son exactitude, car l'auteur a pris la liberté d'attribuer à son héroïne des sentiments et des émotions qui lui sont propres. Après, on peut se dire que c'est l'histoire d'une adolescente de la Belle Époque et c'est tout aussi excitant ! Le contexte y fabuleusement coquet, frivole et guilleret. C'est à savourer à la petite cuillère ! La touche Agatha offre néanmoins la plus-value inestimable.
La lecture brosse une perspective de la condition féminine tout à fait pertinente, souvent les femmes voient leur horizon étriqué et ne s'émancipent qu'à travers le mariage, toutefois la jeune Agatha peut se targuer d'avoir bénéficié d'une éducation moderne et laxiste. Certes, les bonnes manières importaient aux Miller, qui veillaient à donner à leurs enfants toutes les chances de réussite et de bonheur, mais ils ne trouvaient guère d'intérêt à s'enfermer dans des pensions strictes et formatées ou à vivre à l'écart de leur progéniture. Tout était question d'harmonie et de partage à Ashfield ! Les soucis d'argent ont longtemps jalonné leur mode de vie, mais à l'époque on tirait parti des grandes maisons en les louant le temps d'être toujours par monts et par vaux. La vie d'Agatha Miller a ainsi été nourrie de cultures hétéroclites, lesquelles ont su sustenter son esprit éveillé et inventif ! On imagine très bien ces petits cailloux constituer le socle de l'écrivain en devenir.
On prend aussi grand plaisir à suivre une adolescente en apparence ordinaire, avec ses questions et ses doutes, mais aussi avec ses fantasmes, ses espoirs et son ambition, tout en ayant conscience “du personnage” en éclosion (la future reine du crime, c'est elle !). Cela m'a sincèrement beaucoup plu ! Ce roman possède, de plus, un charme fou. Tout est délicat et soigné, avec une écriture élégante et un sens du romanesque totalement admirable. Très bon moment de lecture !
Hachette Romans - Août 2016