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Chez Clarabel
3 mai 2007

Colette

duoVoici d'abord "Duo" qui nous introduit au couple d'Alice et Michel (à redécouvrir, donc, avec "Le toutounier"). Jusqu'alors très complice et uni, le couple se trouve face à un terrible dilemme : Alice révèle une infidélité passagère. Ce sujet rend Michel très sensible, beaucoup plus qu'il ne le voulait d'ailleurs... On découvrira au fil des pages que cet accroc au contrat ne peut être reprisé, ni effacé. Même pour Alice, cet aveu semble lui ouvrir les yeux d'un autre aspect. Et on observe ainsi ce couple face à face, partageant les pensées de l'un puis de l'autre, tentant toujours de faire bonne figure, avec malgré cela la blessure pelotonnée en eux-mêmes.
La confidence est finalement devenue la pulvérisation de leur union. L'orgueil mâle est touché, la carapace est écaillée. Il devient aussi délicat chez l'homme comme chez la femme de passer à un cap supérieur. Alice se découvrira déçue et déconcertée par les nouvelles facettes de son compagnon, trouvant déplacées ses nouvelles attitudes, qui sont un peu les conséquences de sa confidence. "Duo" traite de la jalousie qui ronge l'âme humaine, avec toute la sensibilité et la subtilité qu'on connaît de Colette. On retrouve Alice et les soeurs Eudes dans leur "Toutounier" familial et reconfortant !...  Fayard, 180 pages.

Dans l'ombre, il écoutait mal. Un caprice de sa fatigue, la nouveauté d'une douleur errante qui ne savait encore où se poser, emmenait Michel, tandis qu'elle parlait, vers la jeunesse d'Alice et la sienne, vers un temps où Alice appartenait au hasard et à une famille accablée de filles qui se savaient lourdes, qui se battaient rageusement pour vivre. Une des trois soeurs d'Alice jouait du violon, le soir, dans un cinéma, une autre, mannequin chez Lelong, se nourrissait de café noir. Alice dessinait, découpait des robes, vendait quelques idées de décoration et d'ameublement. " Les Quat'z'Arts ", comme on les appelait, formèrent un quatuor médiocre, piano et cordes, et jouèrent dans une grande brasserie qui fit faillite. Le guichet d'un bureau de location encadrait jusqu'à mi-corps la beauté de l'aînée, Hermine, lorsque Michel devint directeur d'été au théâtre de l'Etoile. Mais il n'aima que la moins jolie de ces quatre filles alertes, ingénieuses, pauvres avec élégance, dénuées d'humilité.

toutounier

Alice rentre dans le giron familial, jeune veuve en colère, n'a-t-on pas idée de mourir aussi bêtement, se dit-elle en pensant à son mari Michel. Pourtant, elle a le coeur lourd, elle revient auprès de ses soeurs pour y flairer l'odeur du réconfort, de la sécurité.

Le toutounier est "un vaste canapé d'origine anglaise, indestructible, défoncé autant qu'une route forestière dans la saison des pluies". C'est le refuge des soeurs Eudes, leur cocon où elles se mettent en boule pour fumer, dormir, discuter des heures... Alice est comblée de retrouver Colombe et Hermine, mais il lui faut constater que ces dernières sont pâles, mystérieuses, entichées d'hommes mariés et prêtes à commettre l'irréparable !

"Le toutounier" a le charme de Colette, embaumé de cette odeur délicieuse et délicate, où l'écriture roule, frise et fait des merveilles. Il n'y a pas meilleur remède contre la mélancolie qu'un bon petit livre de Colette ! "Le toutounier" n'est pas parmi les plus connus, justement c'est l'occasion d'y goûter ! La relation des trois soeurs est un lien sacré, mis en scène avec un semblant de gaité et de légèreté, pourtant on devine entre les lignes la difficile condition d'être une femme "libérée" dans ces années 30. C'est tour à tour insouciant, joyeux, précieux, compassé et émouvant... C'est du Colette à l'état pur !  Fayard - 116 pages

secondeLu en présentation d'une édition de poche : Farou, auteur dramatique à succès, est occupé par les répétitions de sa nouvelle pièce, Le Logis sans femmes. Fanny sait que pendant cette phase de la création son mari n'offre aucune résistance aux tentations extra-conjugales ; elle en a pris son parti. Mais sa jalousie est tout autre quand elle s'aperçoit que Jane, la secrétaire modèle qui vit aussi chez eux, ne peut cacher la sienne à ce moment-là. Fanny se rend compte que son amitié pour la jeune femme l'avait rendue aveugle sur les relations qui avaient éclos sous son toit...

Encore un roman totalement méconnu de la grande Colette ! Il faut absolument plonger son nez dans cet ouvrage, tout y est : l'écriture, la perplexité d'être femme, amoureuse, trompée, menacée de finir seule, sans ressources... Colette s'inspire également pour ce roman de son expérience dans le milieu du théâtre. Elle donne au personnage de Fanny une vision spectatrice de l'ensemble, qui vit et vibre des succès et du stress du "génie masculin". Ce caractère est sombre et merveilleux. Cette femme est consciente d'être trompée, jusque là elle fermait les yeux, avec "une indulgence orgueilleuse", et puis l'effroi la gagne quand elle découvre que le danger existe sous les traits de la blonde, discrète et infaillible Jane, l'amie de fraîche date, embauchée pour être la secrétaire du grand Farou...
Il faut savourer ces lignes pleines de doutes et d'angoisses, lire ce portrait d'une femme forte et fragile, qui hésite et tremble, se pare de dentelles et de fougue, bref "La seconde" doit figurer parmi les incontournables de l'écrivain. C'est goûteux, un peu sulfureux... les thèmes sous-jacents avaient tout lieu de susciter émoi et scandale pour l'époque ! Aujourd'hui, ce côté décalé et en nuances contribue au charme des livres de Colette.   Fayard - 188 pages

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6 avril 2007

L'éveil - Kate Chopin

eveilAu large de La Nouvelle-Orléans, sur une île au nom de Grand-Isle, Edna Pontellier séjourne avec ses deux enfants dans une pension de famille tenue par Mme Lebrun, en compagnie d'autres estivants qui s'adonnent aux douces joies de la baignade, des soirées musicales et du badinage. Edna y rencontre Robert Lebrun, un jeune homme qui fait le joli-coeur et parvient à séduire la jeune femme.
Mariée depuis 6 ans à Léonce, Edna s'estimait heureuse et bien établie. Pourtant, son être intérieur commence à la tirailler, à forcer ses pensées à s'éveiller, " un sentiment indescriptible d'oppression, venu sans doute d'un coin obscur de sa conscience, emplissait tout son être d'une vague angoisse. C'était une ombre, une brume traversant la claire journée d'été de son âme. C'était étrange et nouveau; c'était une humeur ".
Cet été signifiera à Edna un grand tournant. Attirée par Robert, freinée par sa réserve, mais décidée d'en découdre malgré le départ de celui-ci, Edna va décider de s'affranchir. Elle décide de se consacrer à la peinture, de tenir tête à son époux, de se libérer des convenances. Edna Pontellier va connaître "L'éveil" de son corps et de son coeur. Pour l'époque, c'est un désir d'émancipation qui soulève l'indignation et jusqu'au bout la conduite d'Edna sera jugée immorale... Du moins, par l'ensemble des critiques et des lecteurs de cette année 1899 qui salue la parution du roman de Kate Chopin.
Aujourd'hui, il n'est plus question de s'émouvoir et s'offusquer. Au contraire, ce roman reflétait les prémices d'une volonté de la femme à conquérir son indépendance et écouter son attirance pour suivre ses instincts en se coupant de l'autorité masculine. Edna Pontellier est une femme à la fois entière, prise en étau, soucieuse de son bien-être, écartelée, victime de sa mélancolie gagnée par sa prise de conscience. C'est aussi l'ombre de la torpeur caractérisée par l'été languissant qui se poursuit par un été indien durant lequel Edna ne fait que confirmer la naissance de sa sensualité éclatante.
"L'éveil" de Kate Chopin est un roman très sensible, sans odeur sulfureuse, mais où émerge l'accord tacite d'une volupté prête à éclore. Magnifique !

Piccolo chez Liana Levi

20 mars 2007

L'insupportable Bassington - Saki

bassingtonFrancesca Bassington se désespère de sa situation : à tout moment, la maison léguée par une vieille amie, et qu'elle occupe avec ses beaux objets de valeur, peut être rendue à la nièce de celle-ci, sitôt que la demoiselle trouve chaussure à son pied ! Francesca est bouleversée. Elle décide de remettre son triste sort entre les mains de son fils Comus, espérant de lui qu'il conclue un riche mariage avec la jeune Elaine de Frey...
Hélas, Comus est de la race de "ces indomptables champions du désordre qui s'ébattent en s'excitant eux-mêmes (...) mais, le plus souvent, leur tragédie commence lorsqu'ils quittent l'école, pour se déchaîner dans un univers devenu trop civilisé, trop encombré et trop vide pour qu'ils puissent y trouver place".
Comus Bassington appartient à cette engeance, autant dire que sa cause est désespérement fâcheuse et vouée à la pire ânerie. De plus, il n'est pas seul à faire la cour à cette riche demoiselle, un autre prétendant du nom de Courtenay Youghal, grand camarade de Comus, marivaude sur ses plates-bandes.

Et l'histoire se poursuit dans ce joyeux badinage de manières où l'acrimonie côtoie sans vergogne la mesquinerie. Il faut les voir, toutes ces belles personnes de la société post-victorienne, dans leur salon de bridge ou dans une salle de théâtre. C'est un concours de perfidies, de bas calculs et de potins étalés dans la mare aux canards. Ah, il ne faut pas être fier de ces entourloupes précieuses, dont Saki pioche avec allégresse et facétie. Son style est mordant, plutôt drôle, mais sous couvert d'épingler les travers de ses pairs. "L'insupportable Bassington" est un roman où on y découvre la verve de ce génie excentrique, c'est à savourer sans retenue !
A noter : 4 nouvelles "inédites" (L'étang, Des propos inconsidérés, Un coup pour rien, L'almanach) suivent ce roman.

Pavillons poche, Robert Laffont - 260 pages.

22 février 2007

Monsieur Ladmiral va bientôt mourir ~ Pierre Post

Paru en 1945, "Monsieur Ladmiral va bientôt mourir" est un roman avant-gardiste célébré par son auteur, Pierre Bost, décrit comme un "peintre de l'âme", à l'instar de Proust. Peintre, son personnage central, Monsieur Ladmiral, l'est également, mais retiré en pleine campagne, désormais veuf, âgé de soixante-seize ans, clamant à tue-tête qu'il va bientôt mourir. Et donc, chaque dimanche, il reçoit la sacro-sainte visite de son fils Gonzague, rebaptisé Edouard depuis son mariage avec la très plate Marie-Thérèse, parents de trois enfants. Ce rituel gonfle un peu Monsieur Ladmiral, car rien ne transige aux règles strictes de Gonzague, s'appliquant à ne jamais laisser seul son vieux père. Or, celui-ci ne peut s'empêcher de railler en pensée ce loyalisme un peu surfait. Lui, en fait, souhaiterait recevoir davantage la visite de sa fille chérie, Irène, l'opposée de son frère ! Autoritaire, fantasque et décidée, la jeune femme est un coup de vent. Elle tient boutique à Paris, vit seule, entretient quelques liaisons secrètes... et pourtant Monsieur Ladmiral l'adore !

Très insidieusement dans le récit, on s'aperçoit avec délectation de l'ironie distillée avec ingéniosité ! Tour à tour confesseur des pensées de chacun, on partage l'acrimonie, la jalousie, les non-dits, les envies, on lit la lassitude, la reconnaissance inespérée, l'égoïsme de l'un et l'autre, le tout résumé de manière claire et définitive par la pensée des garçons (cf. page 27) ! Et puis le texte se ponctue sournoisement, les derniers mots de Monsieur Ladmiral sont féroces. Et de refermer ce petit livre, le sourire aux lèvres.(Bertrand Tavernier en a fait un film, sous le titre d' "Un dimanche à la campagne", en 1984.)

lu en février 2006

5 janvier 2007

Des familles, des secrets - Germaine Beaumont

des_familles__des_secretsCette figure oubliée, et remise au goût du jour en 2006 grâce aux efforts d'Hélène Fau, ne doit pas subir davantage le gouffre de l'anonymat, il faut absolument lire Germaine Beaumont ! Ses romans publiés dans les années 40 et 50 démontrent à ce jour une incroyable perspicacité, une lumière étonnante sur la psychologie féminine, et la grande influence du roman anglais sur l'écriture de Mme Beaumont. Effectivement, plusieurs de ses livres portent l'empreinte du roman à clés, du roman noir, du roman psychologique et du roman policier sans cadavre ! Les héroïnes ont également beaucoup de grandeur, d'élégance et de mystères, comme l'atteste ce deuxième volume "Des familles, des secrets" qui permet ainsi une nouvelle exploration de la palette de l'écrivain. Moi je l'écris franchement : c'était une fichue bonne femme au talent remarquable ! Ainsi, dans ces trois livres réunis en un seul pavé de 950 pages, on croise des histoires de secrets de famille, de rêves obsessionnels, de perversion et de charité, d'amour impossible et d'agonie romanesque ("Du côté d'où viendra le jour" & "La roue d'infortune"), dans "L'enfant du lendemain" il s'agit d'un recueil de 4 nouvelles qui parlent avec émotion de l'abandon, de la culpabilité et de l'amour interdit...
Si vous connaissiez déjà "Des maisons, des mystères", empressez-vous de découvrir ce nouveau volume de romans et nouvelles, il vous apportera la même satisfaction. Pour les plus débutants, sachez que chez Germaine Beaumont se dégage une délicieuse odeur d'un autre temps où le mystère rode, le doute plane et le secret enrobe...

Présentation de l'éditeur
Voici des histoires de femmes écrasées par leurs familles et les silences qui les entourent, prisonnières de leur milieu c'est Armande dans Du côté d'où viendra le jour, âme solitaire d'un autre siècle, engluée dans une vie inutile et en quête d'un destin ; c'est Nellie, l'héroïne de La Roue d'infortune, mal mariée et embarquée dans une existence qui n'est pas la sienne ; ce sont les figures des quatre fulgurantes nouvelles de L'Enfant du lendemain, cherchant l'amour et sa pureté - source de leur grandeur et parfois de leur perte.

Omnibus

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16 décembre 2006

Clair de femme - Romain Gary

clair_de_femmeDeux êtres en déroute s'épaulent dans leur solitude... Et la vie attend que ça passe... Une tendresse désespérée, qui n'est qu'un besoin de tendresse... "Clair de femme" est une bouleversante histoire d'amour au sens très large. Car c'est la rencontre entre Michel et Lydia, tous deux blessés et saouls de malheur. Lui car sa femme se meurt et l'a prié de s'en aller rencontrer une autre femme pour la faire revivre en elle, et Lydia, la quarantaine et les cheveux blancs, coupable de ne plus aimer l'homme qui a tué leur petite fille dans un accident de voiture. Ces deux êtres en perdition, écorchés et malheureux, vont se heurter sur un trottoir, faire l'amour cette première nuit, se parler et errer dans les rues de Paris pour se consoler. Histoire d'alléger leurs chagrins, pensent-ils, ils croisent le Senor Galba qui exécute un numéro de dressage d'animaux sur un air de paso-doble et qui se meurt en douceur, puis la pétulante Sonia, russe juive, qui se complaît dans le malheur ...

Le roman se passe en une nuit : le temps pour la femme aimée de mourir, le temps du couple Michel-Lydia de parler amour et couple. "Nous avions besoin d'oubli, tous les deux, de gîte d'étape, avant d'aller porter plus loin nos bagages de néant.". Mais Michel est un batisseur de cathédrales et son attente du couple est trop faramineuse pour l'ultra-sensible Lydia qui prend peur de cette promesse d'édifice. Michel doit partir vers d'autres terres pour oublier sa femme trop adorée et cette dernière nuit va s'écouler tristement, en vain.

Ode à l'amour, à la vie de couple, à la pérennité de cet amour ?... "Clair de femme" est un bouleversant hommage d'un homme pour la femme de sa vie, la célébration passionnée de la patrie du couple, "d'une bienheureuse absence d'originalité, parce que le bonheur n'a rien à inventer". Etourdissant d'actualité pour un texte publié en 1977, ce roman se trace dans la coulée d'une écriture claire, aérée et révèle l'angoisse du déclin que pressentait l'auteur, qui s'est finalement donné la mort en 1980. " Il y a dans ce roman la dérision et le nihilisme qui guettent notre foi humaine et nos certitudes sous le regard amusé de la mort, écrivait Gary. Les dieux païens nous guettent installés sur l'Olympe de nos tripes. Notre vie n'est peut-être que le divertissement de quelqu'un ". " Tout se passe comme si la vie était un music-hall, un cirque où un suprême senôr Galba [pitoyable pitre alcoolique, dresseur et montreur de chiens]...s'amuserait à nos dépens ".  Je signale que "Clair de femme" n'est ni lugubre ni sinistre, c'est une lumière et il signe là ma rencontre avec Romain Gary...

Folio

  • Porté au cinéma par Costa-Gavras par le couple Romy Schneider et Yves Montand...
30 octobre 2006

Voyageuses - Paul Bourget

voyageusesPaul Bourget était un grand voyageur et un écrivain touche-à-tout (romans, nouvelles, théâtre, poésie, essais, etc). En rééditant les "Voyageuses" (textes écrits en 1896)  dans la nouvelle collection de Buchet Chastel, "Domaine Public", il y a une volonté de remettre au goût du jour un auteur oublié et pourtant éternel contemporain ! .. La littérature de Paul Bourget, par le biais des souvenirs d'un globe-trotter, offre dans ce recueil une image de la femme dans la société bourgeoise de la Belle Epoque.. d'une manière pas toujours flatteuse, et aux prises d'intrigues soit religieuses ou politiques, ambitieuses et intéressées, voir mystiques et hallucinatoires.

Six histoires courtes où le narrateur met en scène des femmes croisées en chemin... De ces rencontres fugitives sont nés des récits poétiques, le détail des souvenirs rattachés à des séjours (en Italie, à Corfou, en Amérique ou en Irlande), où le temps passe (parfois dix années se sont écoulées !) et les réminiscences frappent l'auteur qui consignent ses petites histoires marquées très souvent par le sceau du drame, des accidents et des cas de conscience. Dans l'ensemble, je conseille "La Pia" (autour d'une chapelle choyée comme un joyau par l'homme d'église et une jeune fille dévote, révoltée qu'on puisse arracher une perle cachée en son sein...), "Odile" (suicide ou meurtre dans la bonne société bourgeoise.. un homme se remarie trop vite, la maîtresse se pavane mais peine à dissimuler sa haine pour la fille de la défunte, influence très Whartonienne, j'ai trouvé) & "Neptunevale" (une demeure en Irlande que les héritiers ont décidé de vendre à un homme très parvenu, l'ensemble des employés est indigné et a choisi d'émigrer en Amérique... mais des rêves étranges commencent à saisir les principaux intéressés).

C'est finalement un voyage bien étrange (mais agréable) ressenti à la lecture de ce livre. Jetez-moi des tomates, car je ne connaissais pas Paul Bourget. J'ai réparé cette aberrance et je suis séduite par cet explorateur qui visait plus loin que la transcription de ses escapades. C'est une littérature différente mais guère démodée, une littérature dépaysante, que votre bibliothèque peut s'enrichir d'accueillir !

... morceaux choisis :

  • Pourquoi ai-je cédé en commençant ce récit au vulgaire préjugé qui réduit toute la poésie de la vie aux choses de l'amour, et regretté de ne pouvoir associer aux radieux et intimes horizons de Corfou que ces images d'un admirable vieillard à la veille de mourir inconnu, d'une fille de trente-cinq ans, victime de la plus mensongère des idolâtries, et d'un forban qui se jouait de l'optimisme magnanime de l'un comme de la foi profonde de l'autre ? A mesure que les épisodes s'évoquent dans ma mémoire, je comprends que la secrète antithèse entre ces pacifiques paysages levantins et la tragédie psychologique jouée devant moi aura donné à mes impressions de nature une acuité et comme un pittoresque de plus...

  • La paire de chevaux, le demi-rang de perles, - c'était leur vie à tous deux, leur gaie et frivole vie d'heureux ménage parisien qui revenait les hanter, les attirer, les reprendre; et, en les écoutant l'un après l'autre, je les avais distinctement aperçus là-bas, bien loin de ce mélancolique et solitaire Neptunevale : Maxime, remontant du Bois vers le Cercle de la rue Royale, par une jolie fin d'après-midi du mois de mai, assis sur son haut phaéton, menant deux superbes bêtes, et j'avais vu la jeune femme, par un soir du même mois, s'asseoir à la table fleurie d'un dîner élégant, ses fines épaules nues et autour de son cou délicat l'orient de ses perles brillant d'un si tendre éclat ! Oui c'était leur vie, cela : pour elle, se parer davantage et davantage, comme un oiseau de paradis qui lisse ses plumes au gai soleil; pour lui, conduire des chevaux et tailler des banques, au club, ainsi qu'il convient à un jeune homme d'une grande fortune et d'un grand nom, dans le triste monde contemporain ! Qu'ils eussent l'un et l'autre senti, même légèrement, la poésie et le romanesque de ce coin d'Irlande, c'était déjà un tel prodige, -le miracle, chez elle, de l'amour, qui donne aux femmes les plus insignifiantes un rien de génie, - et le miracle, chez lui, de la race, qui fait qu'avec une certaine qualité de sang on n'est jamais entièrement vulgaire d'âme...

Buchet Chastel

19 octobre 2006

Des maisons, des mystères ~ Germaine Beaumont

Agnès de rien

Dernier roman qui boucle le thème "des maisons, des mystères", "Agnès de Rien" a été publié en 1943 dans le même genre angoissant et occulte. Agnès débarque dans le domaine de son mari, sertie d'une mission spéciale : récupérer de l'argent en faisant pitié par son aspect naturel (blonde, fragile, frêle, maladive). Francis est un artiste désargenté, fâché avec les siens, en envoyant Agnès, en fait abusée dans l'affaire, il souhaite récupérer une part de son héritage. Aux Fonds de Laume, chez les Chaligny, derrière son aspect "maison datant des calèches et des jupes à pouf" , l'atmosphère est glauque et séculaire. Agnès est violemment accueillie par Carlo, taciturne et grognon, son beau-frère marié à Alix, cordiale et bienveillante, mais en façade uniquement. Agnès n'est pas dupe des fausses mièvreries, des traits forcés pour soulager son séjour, tout en voilant le fond du problème (la querelle de Francis avec sa famille, le refus de Mme de Chaligny de recevoir Agnès, le caractère sombre de Carlo, etc.).
"Agnès de Rien" est différent des premiers romans qui composent ce livre, tout en offrant également un côté opaque, étouffant et gothique, d'où l'on reconnaît la forte fréquentation des romans anglais (Dickens est d'ailleurs cité dans l'histoire). Il y a forcément quelques secrets de famille, des cadavres dans le placard... Mais il y a surtout une forte description d'une aura autour de ce lieu isolé qui imprègne ses êtres. Encore une fois, une famille bourgeoise passe sous la loupe contre une jeune héroïne seule au monde, vulnérable et impressionnable. J'ai de nouveau beaucoup aimé, y trouvant toute une ambivalence captivante, des personnages intrigants et servis par des dialogues pointus. Agnès est le genre d'héroïne qu'auraient affectionné les sœurs Brontë !... C'est à souhaiter que d'autres romans de Germaine Beaumont seront à nouveau republiés, c'était véritablement une maîtresse dans le genre "policier poétique et brumeux". A découvrir.

Les Clefs

Ce roman publié en 1940 pour ouvrir le fameux cycle "des maisons, des mystères" est très honnêtement un exercice réussi haut la main par Germaine Beaumont dans un domaine assez nouveau pour l'époque, celui des romans à énigmes, mais sans meurtre, sans cadavre ni détective ou policier. Cela commence par la vente d'une maison qui appartient à la famille Clauvel depuis des générations. Une étrangère - Frédérique Marshall - arrive et l'achète rubis sur l'ongle. On spécule, on jase, on colporte.. ainsi va le vent dans les petites contrées où Frédérique espère y trouver une certaine paix. La famille Clauvel se pose aussi des questions, entre la vieille mère, veuve depuis dix ans, le fils Léon, marié à Célina, et la dernière fille, Agnès, perfide et aigrie dans l'âme. Mais chacun garde pour soi ses réflexions, entre eux tout n'est que persiflages et volonté de rabaisser le plus faible (comme la belle-sœur ou la jeune domestique, Marie).
C'est d'ailleurs la façon de glisser d'un caractère à l'autre qui m'a particulièrement plu : Germaine Beaumont fait ici montre de la grande influence sur son travail de la littérature anglaise qu'elle affectionnait (les sœurs Brontë, V. Woolf..). Elle crée ainsi un climat malsain et obscur, laissant deviner des secrets de famille et des passés mystérieux qui intriguent bien volontiers le lecteur ! Tout vient à point à qui sait attendre... Germaine Beaumont donne ainsi l'impression d'avoir brodé son roman avec dextérité, donnant libre cours à la jouissance d'épingler les vilenies des bourgeois (pingres, retors et sadiques) et la trop grande facilité aux colportages. J'ai beaucoup aimé, notamment les passages avec Agnès Clauvel, et j'avoue avoir plus apprécié l'ingénuité de la construction et de l'ambiance noire au détriment du dénouement ! De plus, en comparaison à La Harpe Irlandaise, la place de la maison dans Les Clefs prend un aspect moins focalisant, car ici la psychologie des personnages est primordiale et déterminante. Un roman grisant, malgré toute son opacité...

La Harpe irlandaise

Médiocre entrée en matière, un peu longue aussi, avec la confrontation des caractères très distincts des deux actrices de "La Harpe Irlandaise" : Laura et Flore sont cousines par alliance, l'une veuve, émotive et rondouillarde, l'autre célibataire, exigeante et austère. Elles arrivent en voiture passer l'été dans la demeure de campagne de Laura, lorsque survient une panne d'essence. En attendant la réparation, Laura décide de cueillir dans un pré un bouquet de trèfles incarnat quand elle aperçoit le "fantôme" de son défunt mari Edmond. Il lui faudra du temps pour comprendre qu'il s'agit là d'un premier signe d'une longue série pour résoudre une "injustice" passée. Au cours d'une balade, Laura va aussi faire la découverte d'une maison abandonnée, autrefois splendide, qui est à vendre à un prix faramineux, malgré son délabrement. Laura et Flore n'étant jamais d'accord, notamment sur cette maison, elles décident de s'éloigner et mener leurs vacances chacune à sa façon. De son côté, Laura sombre dans une fumeuse mélancolie dont seul le désir de "savoir", suivant son instinct, lui permettra de gagner en autonomie et épanouissement.
Basée sur le principe d'apparitions de fantômes et d'esprits frappeurs, l'histoire de "la harpe irlandaise" se dévoile comme une étonnante intrigue "policière" (mais sans policier ni cadavre) où l'ombre d'une maison abandonnée appelle vengeance et investigation. Publié en 1941, ce roman appartient au cycle "des maisons, des mystères" - deux sujets imbriqués selon Germaine Beaumont, passionnée. C'est un roman du début du siècle à travers sa mise en scène (les maisons d'été, la bonne société, les demoiselles de compagnie, des femmes seules, marquées par la vie, un rien excentriques...) mais rien n'est dépassé ni flétri. La façon d'introduire un sentiment de mystère, d'inquiétude et de doute est parfaitement maîtrisée par l'auteur, voir carrément ingénieuse. Roman indémodable, en somme ! Où l'on privilégie l'action lente, mais tracassante...

lu en mars 2006

17 octobre 2006

Secrets de famille - Louisa May Alcott

secrets_de_familleKate Snow est engagée comme gouvernante chez la famille Carruth pour prendre soin d'Elinor, une jeune fille affligée d'une maladie mentale (en fait, une dépression nerveuse doublée d'une profonde mélancolie). La famille Carruth est la cible d'une malédiction ancestrale : chaque héritier est persuadé d'être atteint de folie, pour remédier à cette tragédie les enfants s'interdisent de se marier. Or, Amy, la soeur d'Elinor, a justement entrepris d'épouser un certain Carroll, grand ami du redoutable Robert Steele, le mauvais esprit de la famille Carruth. Cet homme est une ombre menaçante sur la famille, il est omniprésent, s'arrogeant le droit d'imposer ses conditions chez ces infortunés, pris dans un étau, car Steele est le détenteur d'un secret, le confident d'une honte qui accable les Carruth.

Mais quel est donc ce secret ? Quelle véritable personnalité se cache derrière la figure farouche de Steele ? Et Kate Snow, petite bonne femme au caractère orgueilleux et décidé, quelle part cruciale va-t-elle s'accorder pour apporter la paix à Elinor et sa famille ? Car dans "Secrets de famille", il sera bien évidemment question de duplicité, d'amours naissantes, de tromperies et de drames en cascade. Louisa May Alcott a su diriger son histoire dans l'harmonie des romans sombres et oppressants, si le mot "harmonie" colle difficilement à cette idée... Mais Louisa May Alcott avait véritablement ce don pour la théâtralité, la tragédie en puissance et donnait à ses personnages féminins une tournure plus tapageuse que l'image de la blanche colombe, fragile des nerfs, et qui s'évanouissait au moindre mal. Dans "Secrets de famille", c'est Kate Snow qui tient la dragée haute. Elle n'est pourtant pas épargnée, car Louisa May Alcott ne la pare pas d'un halo totalement héroïque et salvateur. Sous la candeur, se cache forcément une fourberie en jupons... Encore un roman, injustement méconnu, de Louisa May Alcott à découvrir sans plus attendre !

Editions Interférences

  • Quelques jolis mots à propos de cette maison d'édition : " Si les lecteurs qui achètent nos livres font des découvertes et prennent plaisir à avoir entre les mains un objet conçu et fabriqué avec amour, nous n'en demandons pas plus ! "

 

17 octobre 2006

Les yeux de Lady Macbeth - Louisa May Alcott

les_yeux_de_lady_macbethMax Erdmann est un artiste peintre qui peine à terminer son tableau de Lady Macbeth. Il lui manque les yeux, impossible de trouver cette flamme, "le regard fixe, atone, mais non dénué d'intelligence de lady Macbeth dans son sommeil halluciné". Un jour au théâtre, il rencontre la troublante, fascinante mais non moins mystérieuse Mlle Agatha Eure. Aucun doute possible, c'est elle qu'il lui faut pour incarner "cette étrangeté inquiétante". Le temps passant, Max va être séduit et épouser cette jeune fille, ignorant qu'il signe là un pacte d'aliénation, proche de la soumission irréversible, d'une dépendance incontrôlable. Car cette Agatha Eure possède un talent caché, secret, qui mettra des chaînes au peintre, persuadé jusque là d'être marié à son Art.

Ce petit roman de Louisa May Alcott a bien failli tomber dans les oubliettes, heureusement des bonnes âmes ont entrepris de traduire et publier l'oeuvre, autrement qualifiée de méconnue, de l'auteur des "Quatre filles du Dr March". Cette passionnée de romans noirs et tragiques, de théâtre de Shakespeare, n'a pas hésité à braver l'interdit de l'époque en écrivant ce genre de littérature fantastique et morbide où les personnages ont des visions, se perdent dans la folie et sont victimes de machiavélisme exploité par le génie féminin. Car oui, Louisa May Alcott, même si elle devait publier cette littérature sous un pseudonyme, a toujours prétendu revendiquer la malicieuse puissance féminine, la rouerie de l'esprit des femmes, des magiciennes et des ensorceleuses qui, comme Agatha Eure, ruinent des êtres pour se venger de leur négligence après le mariage. Ce n'était pas qu'une convention, c'était une abnégation, un aller sans retour. Et pour ces admirables raisons, non dénuées d'espièglerie, il est absolument recommandé de lire ce livre un peu trop court, mais divin !

Editions Interférences

  • " Vous avez ici des romans, des airs nouveaux, un instrument, de la broderie et un chien, qui ne se formalise pas d'un silence morose ni d'une conversation insipide, que demander de plus ? Certainement pas un mari qui ait la tête ailleurs ? "

 

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