Colette
Voici d'abord "Duo" qui nous introduit au couple d'Alice et Michel (à redécouvrir, donc, avec "Le toutounier"). Jusqu'alors très complice et uni, le couple se trouve face à un terrible dilemme : Alice révèle une infidélité passagère. Ce sujet rend Michel très sensible, beaucoup plus qu'il ne le voulait d'ailleurs... On découvrira au fil des pages que cet accroc au contrat ne peut être reprisé, ni effacé. Même pour Alice, cet aveu semble lui ouvrir les yeux d'un autre aspect. Et on observe ainsi ce couple face à face, partageant les pensées de l'un puis de l'autre, tentant toujours de faire bonne figure, avec malgré cela la blessure pelotonnée en eux-mêmes.
La confidence est finalement devenue la pulvérisation de leur union. L'orgueil mâle est touché, la carapace est écaillée. Il devient aussi délicat chez l'homme comme chez la femme de passer à un cap supérieur. Alice se découvrira déçue et déconcertée par les nouvelles facettes de son compagnon, trouvant déplacées ses nouvelles attitudes, qui sont un peu les conséquences de sa confidence. "Duo" traite de la jalousie qui ronge l'âme humaine, avec toute la sensibilité et la subtilité qu'on connaît de Colette. On retrouve Alice et les soeurs Eudes dans leur "Toutounier" familial et reconfortant !... Fayard, 180 pages.
Dans l'ombre, il écoutait mal. Un caprice de sa fatigue, la nouveauté d'une douleur errante qui ne savait encore où se poser, emmenait Michel, tandis qu'elle parlait, vers la jeunesse d'Alice et la sienne, vers un temps où Alice appartenait au hasard et à une famille accablée de filles qui se savaient lourdes, qui se battaient rageusement pour vivre. Une des trois soeurs d'Alice jouait du violon, le soir, dans un cinéma, une autre, mannequin chez Lelong, se nourrissait de café noir. Alice dessinait, découpait des robes, vendait quelques idées de décoration et d'ameublement. " Les Quat'z'Arts ", comme on les appelait, formèrent un quatuor médiocre, piano et cordes, et jouèrent dans une grande brasserie qui fit faillite. Le guichet d'un bureau de location encadrait jusqu'à mi-corps la beauté de l'aînée, Hermine, lorsque Michel devint directeur d'été au théâtre de l'Etoile. Mais il n'aima que la moins jolie de ces quatre filles alertes, ingénieuses, pauvres avec élégance, dénuées d'humilité.
Alice rentre dans le giron familial, jeune veuve en colère, n'a-t-on pas idée de mourir aussi bêtement, se dit-elle en pensant à son mari Michel. Pourtant, elle a le coeur lourd, elle revient auprès de ses soeurs pour y flairer l'odeur du réconfort, de la sécurité.
Le toutounier est "un vaste canapé d'origine anglaise, indestructible, défoncé autant qu'une route forestière dans la saison des pluies". C'est le refuge des soeurs Eudes, leur cocon où elles se mettent en boule pour fumer, dormir, discuter des heures... Alice est comblée de retrouver Colombe et Hermine, mais il lui faut constater que ces dernières sont pâles, mystérieuses, entichées d'hommes mariés et prêtes à commettre l'irréparable !
"Le toutounier" a le charme de Colette, embaumé de cette odeur délicieuse et délicate, où l'écriture roule, frise et fait des merveilles. Il n'y a pas meilleur remède contre la mélancolie qu'un bon petit livre de Colette ! "Le toutounier" n'est pas parmi les plus connus, justement c'est l'occasion d'y goûter ! La relation des trois soeurs est un lien sacré, mis en scène avec un semblant de gaité et de légèreté, pourtant on devine entre les lignes la difficile condition d'être une femme "libérée" dans ces années 30. C'est tour à tour insouciant, joyeux, précieux, compassé et émouvant... C'est du Colette à l'état pur ! Fayard - 116 pages
Lu en présentation d'une édition de poche : Farou, auteur dramatique à succès, est occupé par les répétitions de sa nouvelle pièce, Le Logis sans femmes. Fanny sait que pendant cette phase de la création son mari n'offre aucune résistance aux tentations extra-conjugales ; elle en a pris son parti. Mais sa jalousie est tout autre quand elle s'aperçoit que Jane, la secrétaire modèle qui vit aussi chez eux, ne peut cacher la sienne à ce moment-là. Fanny se rend compte que son amitié pour la jeune femme l'avait rendue aveugle sur les relations qui avaient éclos sous son toit...
Encore un roman totalement méconnu de la grande Colette ! Il faut absolument plonger son nez dans cet ouvrage, tout y est : l'écriture, la perplexité d'être femme, amoureuse, trompée, menacée de finir seule, sans ressources... Colette s'inspire également pour ce roman de son expérience dans le milieu du théâtre. Elle donne au personnage de Fanny une vision spectatrice de l'ensemble, qui vit et vibre des succès et du stress du "génie masculin". Ce caractère est sombre et merveilleux. Cette femme est consciente d'être trompée, jusque là elle fermait les yeux, avec "une indulgence orgueilleuse", et puis l'effroi la gagne quand elle découvre que le danger existe sous les traits de la blonde, discrète et infaillible Jane, l'amie de fraîche date, embauchée pour être la secrétaire du grand Farou...
Il faut savourer ces lignes pleines de doutes et d'angoisses, lire ce portrait d'une femme forte et fragile, qui hésite et tremble, se pare de dentelles et de fougue, bref "La seconde" doit figurer parmi les incontournables de l'écrivain. C'est goûteux, un peu sulfureux... les thèmes sous-jacents avaient tout lieu de susciter émoi et scandale pour l'époque ! Aujourd'hui, ce côté décalé et en nuances contribue au charme des livres de Colette. Fayard - 188 pages