Corniche Kennedy - Maylis de Kerangal
C'est l'histoire d'une bande de jeunes, "les petits cons de la corniche". Ils ont entre treize et seize ans, ils viennent tous les jours braver l'interdit, se réunissent sur la Plate (une portion de territoire, un amalgame de grosses pierres concassées au bulldozer, un territoire ingrat et nu). C'est leur quartier général, ils viennent frimer et se lancer des défis, notamment des plongées vertigineuses auxquelles ils donnent des noms torrides, comme le Just Do It ou le Face-to-Face.
Eddy se pose en chef de bande, d'un accord tacite et muet. C'est lui qui déclare la sentence, lorsqu'une fille pas très jolie et effrontée se fait surprendre la main dans le sac, en train de voler un portable. Aussitôt, le couperet tombe : elle doit sauter, qu'importe son vertige, sa trouille, sa morgue. Arrogante avec ses lunettes noires, Suzanne n'est pas une fille comme les autres. Avec son physique hors du commun, son allure qui dénote qu'elle appartient à la haute, elle montre aussi qu'elle va leur apporter des soucis. Eddy s'en doute, voilà pourquoi il n'ose pas la regarder droit dans les yeux.
Et puis un déclic se passe, il ne comprend pas. Mario, son pote, le chambre et toute la bande fait chorus. Or, d'autres ennuis vont se présenter aux jeunes de la corniche Kennedy. Sylvestre Opéra, le chef de la Sécurité du littoral, a la bande dans sa ligne de mire. De son bureau, il scrute ces têtes brûlées avec sa paire de jumelles et attend son heure pour leur tomber dessus. Le Jockey, son supérieur, a décrété une tolérance zéro et un nettoyage de la Corniche.
Avec son écriture nerveuse, Maylis de Kerangal ajoute un peps étonnant à cette chronique d'un été, où des jeunes expriment leur art de vivre avec une insolence propre à leur âge - et leurs situations personnelles. On se cherche, on se teste, on veut être accepté et on fait tout son possible pour s'affirmer. "Puisque frimer précisément, tchatcher, sauter, plonger, parader, c'est ce qu'ils font quand ils sont là, c'est ce qu'ils viennent faire." La Plate est une scène où ils s'exhibent, avec son rituel et sa hiérarchie. C'est un théâtre et il ne peut se séparer de la vie.
Le face-à-face avec les forces de l'ordre donne du piment à l'histoire, on tressaute, on flaire l'embrouille et la fin tragique. Qui sait ? On n'en perd pas une miette. Dans ce livre, on trouve - en vrac - un paquet de drogues, des Russes, une fille paumée qui se prénomme Tania, un affrontement par presse interposée, un hymne à la liberté et un affront aux règles établies. Ce roman se lit d'une traite, il est vif et enlevé, écrit d'une plume sensuelle et qui aime tremper dans une encre acide. Pour conclure, c'est bluffant.
Verticales / Phase Deux, août 2008 - 177 pages - 15,50€
Maylis de Kerangal est l'auteur de deux romans aux éditions Verticales : Je marche sous un ciel de traîne (2000) et La vie voyageuse (2003) et d'un recueil de nouvelles, Ni fleurs ni couronnes (2006). Aux éditions Naïve, elle a conçu une fiction en hommage à Blondie et Kate Bush, Dans les rapides (2007) et participé avec d'autres membres de la revue Inculte au livre collectif Une chic fille (2008).