Les Rêveries d'un gourmet solitaire, de Jiro Taniguchi & Masayuki Kusumi
Magnifique ! Vingt ans après les pérégrinations du gourmet solitaire (qui bénéficie pour l'occasion d'une réédition) on retrouve ce cher Gorô qui, par son activité de représentant, voyage de ville en ville et s'en va toujours en quête de petites gargotes où il pourra manger seul et avec appétit. Car notre gourmet n'a pas usurpé son titre. Il aime tester de nouvelles expériences culinaires, retrouver d'anciennes saveurs et faire vibrer sa corde nostalgique. Il est curieux de tout, même si chacune de ses approches vers de nouvelles adresses se soldent aussi par un instinct de précaution et une brève hésitation. Pourtant, rarement notre homme sortira frustré de ses découvertes ! Et celles-ci seront toutes plus savoureuses les unes que les autres. Il faut le voir parcourir avec envie les cartes des restaurants, sélectionner ses mets et s'attabler avec excitation dans l'attente du festin. Avant de plonger avec voracité dans sa dégustation, il contemple toujours ses bols et ses assiettes avec admiration et appétence. Puis, il part à l'assaut. Il bondit, il avale, il goûte, il commente, il se remplit la panse jusqu'à n'en plus pouvoir. Une coutume, d'ailleurs, veut qu'au Japon certains restaurants font payer des pénalités si vous ne finissez pas votre assiette. Lorsque vous vous invitez chez quelqu'un, vous vous devez de lui faire honneur en ne laissant pas une miette du repas. C'est une forme de respect pour la nourriture et la personne qui la prépare. Aucun souci pour Gorô qui se repaît jusqu'à satiété et frise souvent l'orgasme gustatif. C'est épatant. On le regarde s'empiffrer avec délectation, on en salive presque derrière notre bouquin ! C'est comme s'il était « en roue libre dans le sésame, les feuilles de moutarde, le gingembre rouge, les nouilles râmen, la soupe et le riz, il nage dans l'épicurisme jusqu'à ne plus avoir pied. Les calories, les régimes, la retenue sont laissés sur le quai, c'est aussi pour cela qu'on l'aime. Il nous allège l'âme. » (postface de Yôko Hiramatsu)
Cet ouvrage montre combien la nourriture est aussi un art de vivre, en plus d'une nécessité terrestre. Les sensations, les émotions sont perceptibles, vivaces et sensuelles. Chaque repas relève d'un cérémonial très pointilleux, au-delà de la simplicité du bonhomme. C'est avant tout un esthète, en plus d'être un fin gourmet. Mais jamais snob. Gorô privilégie les petites cantines conviviales et familiales, qui ne servent pas d'alcool et qui respectent aussi bien les traditions tout en explorant des territoires méconnus. Lors de son passage à Paris, Gorô se rend dans un quartier populaire pour y déguster un couscous, où il retrouve les trois points qui font tourner son monde - du riz, un accompagnement et une soupe. « Quand ces trois piliers sont réunis, c'est Nippon où que vous soyez dans le monde ! »
Casterman, collection Écritures - mars 2016
« Je joue des baguettes avec application dans ma sériole et mon riz devient quintessence du repas. »
À signaler la parution chez Casterman, début juin, de L'art de Jirô Taniguchi
Jirô Taniguchi incarne à lui seul la diversité de la création en bande dessinée. Cet artbook est un panorama de cette diversité et un portrait de l'artisan qui se mue au fil du temps en Auteur au sens le plus fort du terme. Si les travaux du maître sont régulièrement exposés (d'abord à l'abbaye de Fontevraud puis à Angoulême et aujourd'hui à Versailles), son art demeure diffcile à définir. Ce livre paraît aussi pour mieux donner à voir l'alliance rare de retenue et d'efficacité, de délicatesse et de clarté, au cœur de l'œuvre de Jirô Taniguchi. (prés. de l'éditeur)