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Chez Clarabel
actes sud
6 janvier 2010

Le reste est silence ~ Carla Guelfenbein

Grandir, c'est comme monter sur une montagne avec une pancarte autour du cou sur laquelle est écrit : OUBLIE. Parfois, je retiens ma respiration pour arrêter le temps, ou bien je fais des pas en avant ou en arrière, ou bien je compte de un à cent et ensuite de cent à un. Alors, je ne comprends pas pourquoi le temps ne peut pas remonter avant, à l'époque où maman était encore vivante.

Le reste est silence.
Ou comment des vies peuvent soudainement être bouleversées devant nos yeux de lecteur. Cela commence un jour de mariage, un garçon sous une table enregistre la conversation des convives et surprend la vérité sur la mort de sa mère. Tommy est un enfant qui souffre d'une maladie cardiaque rare, il a besoin d'être toujours entouré, il ne doit fournir aucun gros effort, même si l'enfant rêve de voler ou brandir son épée imaginaire et croiser le fer. Son père, Juan, est médecin, veuf. Il s'est remarié avec Alma, une femme très belle, maman d'une petite fille. Alors que Juan quitte la cérémonie pour une opération de transplantation sur un malade du même âge que son fils, et atteint du même mal, Alma retrouve son amour de jeunesse. Leo. Trop beau, trop beau parleur aussi. Trop séducteur. Danger. Sa présence, son écoute, son charme, sa drague font perdre la tête. Alma ne sait plus, son couple prend l'eau, elle a besoin d'air et puis besoin aussi de régler un différend vieux comme le monde avec sa propre mère.

Tommy a choisi de partir sur les traces de sa maman. Soledad et ses silences. Sa maladie. Son suicide. Et les secrets de famille. Ce regard d'enfant sur le monde des adultes est empreint d'une grande intelligence et d'une grande noblesse. Tommy est un personnage qu'on adore tout de suite. On a cet instinct de vouloir le prendre dans ses bras, de le suivre ou le guider pour ne pas qu'il se sente perdu, besoin de le rassurer et le réconforter sur lui, sur sa maman disparue et sur les gens qui l'entourent et qui l'aiment, même s'ils oublient souvent de lui prouver.

C'est un roman très élégant, digne, implacable, où se nichent des drames et des silences qui viendront bouleverser les protagonistes, c'est déjà dit, mais aussi émouvoir les témoins de cette histoire. Car nous ne sommes que spectateurs et impuissants par la même occasion. Nous voyons beaucoup de maladresse, de faiblesse, de non-dits et d'actes manqués. Cela donne des frissons partout, et pourtant ce n'est pas éprouvant ou révoltant. Juste le cours de la vie. Et puis c'est tellement désarmant, l'histoire de Tommy, de Juan et d'Alma forme un noeud dans notre estomac, avant l'impact et l'émotion. On devine que la vie des ces trois-là va basculer - pour le meilleur ou pour le pire.
Le reste est silence.

le_reste_est_silenceUn très beau titre pour un roman touchant, juste et admirable, qui entonne une petite mélodie aux oreilles de ceux qui le veulent. 

Actes Sud, 2010 - 312 pages - 21€
traduit de l'espagnol (Chili) par Claude Bleton

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4 mai 2009

Firmin ~ Sam Savage

firminFirmin, ou l'Autobiographie d'un grignoteur de livres.
Firmin est un vrai RAT de bibliothèque. Il est le treizième rejeton d'une portée expulsée un printemps 1961 dans la chaleur d'un sous-sol d'une librairie de Scollay Square, à Boston. Firmin n'est pas un rat comme les autres, il est mou, paresseux, c'est un papivore qui découvre par la même occasion le goût des livres, oui véridique ! C'est un dévoreur de livres, un vrai amoureux des belles pages, des auteurs, et le refuge de Norman Shine, notre bouquiniste, est une aubaine pour lui. Alors que les siens s'en vont mener leur petite vie, au gré de leur indépendance et des aléas de l'existence, Firmin reste seul mais il n'en est pas mécontent.
Le soir, il aime se faufiler jusqu'au cinéma de quartier, le Rialto, où à minuit passé le projectionniste lance quelques films légers qui ravissent les yeux de notre narrateur, Firmin et ses petites Mignonnes... tout un programme !
Mais notre animal à quatre pattes n'est pas un ravi de la crèche pour autant, le temps file, la faim le talonne, la solitude aussi, à force d'avoir parcouru tous les rayons de la librairie, les ouvrages n'ont plus de secret pour lui, et sa relation avec Norman connaît un clash inattendu, très vexant, et qui brise le petit coeur sensible de Firmin.
Avec les années, il n'a pas perdu de sa verdeur ni de son insatiable curiosité, pourtant il est plus amer. Il se décrit comme dépressif, clown grotesque et pervers. Il rêve d'une harmonie sans ombre avec l'humanité, hélas utopique, si ce n'est sa belle rencontre avec Jerry Magoon, un obscur écrivain de SF.
Et dans le quartier, ça bouge. La mairie a lancé un vaste programme de réhabilitation, les boutiques ferment les unes après les autres, c'est la fin d'une belle époque.
Entre cynisme et romantisme, notre rat Firmin nous raconte cette vie baignée par les livres, le plaisir des mots, l'émerveillement des images, la vie rêvée et les fantasmes sans limite. Entendez le double sens littéraire de cette histoire, si lire est ton plaisir et ton destin, ce livre a été écrit pour toi, nous dit d'ailleurs Alessandro Baricco en quatrième de couverture. Firmin, ou celui qui se rêvait Fred Astaire, a un talent hors pair pour raconter ses déboires de rat de bibliothèque, de rat savant et de rat désespéré sans jamais tomber dans le mélo sirupeux. C'est très proche d'un Woody Allen en grande forme, ça frise la dépression et l'amertume, mais ça reste drôle et piquant sans ciller.
J'ai dévoré ce livre en une soirée, je me suis régalée... et pourtant, oui c'est un rat. Je n'aime pas ça non plus, cela ne changera pas ma vision des choses mais on a tous le droit de raconter ses petites misères ! Pour de rire, surtout.

Actes Sud, 2009 - 200 pages - 18€
traduit de l'anglais (USA) par Céline Leroy

Illustrations de Fernando Krahnfirmin_illus

30 avril 2009

Le dernier patriarche ~ Najat El Hachmi

« tu dois m'appartenir pour que je t'apprivoise »

le_dernier_patriarche

 

Le dernier patriarche, c'est Mimoun le bienheureux. Premier fils d'une famille qui comptait déjà trois filles, Mimoun s'illustre dès son enfance par son caractère colérique et violent. A six mois, il reçoit sa première gifle par son père, est-ce le geste de trop ? Celui qui, selon la grand-mère, justifierait le comportement bizarre de Mimoun.
A seize ans, il sait déjà que le monde où il vit n'est pas celui où il aurait dû vivre, il sait également qu'il veut une nombreuse progéniture d'une femme qui ne doit être qu'à lui. Tout cela lui devient une évidence.
Il part en Espagne, connaît des galères, rentre au pays et épouse sa promise, qui tombe enceinte d'un fils. Mimoun repart, fait fortune, devient père une deuxième fois, d'une fille qu'il soupçonne ne pas être sienne. C'est son vilain tempérament qui macère, lui le coureur de jupons accuse sa propre femme de le tromper !
A la faveur du regroupement familial, l'immigré marocain fait venir sa famille en Catalogne et continue de lui faire subir son lot de misère et d'humiliation.

Ce n'est pas un secret, au début on apprend que Mimoun va tout perdre, c'est lui le dernier patriarche. Une rupture va survenir dans cette tradition familiale, par la volonté d'une personne, sa fille, la narratrice de l'histoire.

Comment s'y prend-elle ? On le découvre à la toute fin. Et quelle surprise ! La demoiselle n'est pas née de la dernière pluie, « Moi je suis née avec ce devoir affectif envers une mère sauvage domptée dès le début de son mariage et un père que je voyais rarement. C'est avec cet héritage que je devais me soumettre à mes devoirs affectifs. ». Parce qu'elle décide de raconter leur vie de famille, elle rompt ainsi avec le silence. Elle avoue tout de la violence du père, de sa jalousie, de ses colères, de son despotisme et de ses attitudes de macho.

La jeune fille a grandi en Espagne, s'est nourrie d'une culture en décalage des préceptes de ses parents, elle comprend l'affirmation, le goût d'indépendance. Elle rejette la dictature patriarcale. A travers son histoire, c'est aussi le soleil du bassin méditerranéen qu'on reçoit, une façon de vivre, un cocon qui protège ses acquis, un cercle qui se ferme et ne transmet son savoir qu'à travers sa propre génération. Avec la fille de Mimoun, la tradition change, les mots cognent comme des poings, et elle n'y va pas de main morte ! Le texte est cependant baigné par un souffle romanesque, une écriture chatoyante et magique ; il est raconté dans la grande tradition orale, semblable à ses contes et légendes du Sud où on retrouve les larmes, les rires, la beauté, l'insouciance, l'exil, la solitude. Une vraie épopée familiale, avec son lot de mariages, de naissances, de tromperies, de départs et de renouveau.

C'est une lecture agréable, mais qui comporte des longueurs, en plus d'une fin déconcertante (mais la vengeance, même culottée, est belle !). On déteste Mimoun, toutefois on suit son parcours avec passion. Quel charisme ! 

Actes Sud, 2009 - 366 pages - 22,80€
roman traduit du catalan par Anne Charlon

Lu (entre deux épisodes d'Hercule Poirot) pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

6 avril 2009

UN AUTEUR : Madeleine Bourdouxhe

« A toi d'aimer, à toi de vivre. Exiger de la vie, c'est-à-dire exiger de soi-même. »

A_la_rechercheMarie est une jeune femme simple, sensible, qui s'est accomplie dans le mariage. Elle aime Jean depuis six ans, entre eux l'entente est parfaite. Ils se parlent peu, mais se comprennent instantanément. Ils passent leurs vacances près de la mer, loin de Paris et de leur routine, cela change. Cela leur fait du bien. Marie passe son temps à regarder Jean se baigner. La mer la fait rêver. Un jour, elle aperçoit un jeune homme qui la trouble. Il lui donne son numéro de téléphone. A Paris, elle décide de l'appeler.

Marie va changer, s'ouvrir et s'épanouir. Le roman longtemps souligne combien elle s'est réalisée dans le mariage, et en même temps on sent une inertie chez elle, dans sa vie. Elle donne des leçons à domicile, elle est appliquée. Sa soeur Claude compte aussi beaucoup pour elle, même lorsque celle-ci perd pied et commet une bêtise. Marie a des mots très justes, très touchants sur l'amour et la vie. « On ne voit que ce que l'on comprend. Et l'on ne comprend que ce que l'on aime. Il faut d'abord se donner, s'engager, alors on recevra en échange. »

Les romans de Madeleine Bourdouxhe (cf. La femme de Gilles) dégagent un vrai sentiment de cocon, d'élégance et de grâce. Ses personnages féminins ont une beauté sincère et intérieure, qu'on cerne difficilement au début, j'avoue, tant de dévotion de la part des épouses pour leurs hommes peut déconcerter. Et ce sont des romans qui semblent intemporels, celui-ci a été publié dans les années 40 par exemple, et pourtant les considérations de l'héroïne sur l'engagement, l'amour, la vie sonnent toujours d'actualité. C'est d'une grande simplicité, d'une grande pudeur, et encore une fois ce texte surprendra par sa grande sensualité, en des termes chics et authentiques. Personnellement cela me touche beaucoup.

Actes Sud, 2009 - 158 pages - 15€

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A noter également la sortie en format poche d'un recueil de nouvelles : les_joursLes jours de la femme Louise

Sept nouvelles, sept femmes silencieuses, la violence suit le contour du quotidien.

Quatrième de couverture

Elles s'appellent Louise, Anna, Blanche ou Clara. Elles sont ouvrière, femme au foyer, mère seule avec un enfant, bonne chez Madame. Elles sont confrontées à la vie, à l'amour, à l'ennui, à la frustration, à la violence des hommes, leur indifférence ou leur condescendance. Toutes ont en commun des rêves trop grands pour elles, des peurs d'enfant, des désirs qui n'osent s'exprimer. Alors elles avancent vaille que vaille, tombent et se relèvent, touchantes de fragilité, admirables de courage opiniâtre, fortes de leur douceur même, belles de tout cet espoir lumineux en elles que rien ne parvient à éteindre.

Ce qui bouleverse, dans l'écriture de Madeleine Bourdouxhe, c'est son style simple et franc, en empathie troublante avec les personnages, son réalisme poétique qui ne craint pas l'engagement social ou féministe mais privilégie l'émotion, la justesse psychologique.

Babel, 2009 - 126 pages - 6,50€

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Et pour rappel, le roman qui m'a fait connaître Madeleine Bourdouxhe : La femme de Gilles (2004)

femme_de_gillesMilieu ouvrier, Nord de la France. Elisa est mariée à Gilles, ils ont deux petites filles, attendent un troisième enfant. C'est l'amour tranquille, le cocon familial idyllique, Elisa est amoureuse de Gilles, et réciproquement.

Puis, le drame : Gilles a une aventure avec Victorine, la soeur d'Elisa. Elle s'en rend compte comme ça, en le "sentant" et forcément ça la bouleverse mais elle préfère se taire. Par peur de perdre l'amour de Gilles. Alors elle prend sur elle, prête une oreille attentive, confidente et compréhensive, jamais elle ne pipe mot, seul le lecteur a conscience de sa souffrance.

Son côté "bobonne" fait bondir ! On s'insurge contre le mari adultère, la soeur intriguante, contre les gens qui pensent qu'elle "ne vaut pas mieux si elle accepte sans rien dire", contre la mère qui blâme sans tout savoir... On plaint beaucoup Elisa, on a du mal à comprendre son chemin de croix, son martyr silencieux. C'est beau, tout cet amour ? Oui, surtout quand Elisa répond que "sans amour je ne suis rien", et puis "à quoi sert de vivre sans cet amour". Oui, à quoi ça sert ?

Ce roman, c'est l'histoire d'une dévotion. Une histoire de totalité, d'égoïsme et de goujaterie. C'est fort, sensuel, dramatique et émouvant. C'est un roman qui a été publié en 1937, remis au goût du jour grâce au cinéma, et c'est un miracle de constater que ce livre n'a pas pris une ride !

Actes Sud, 2004 - 154 pages - 13,50€

A voir : La femme de Gilles par Frédéric Fonteyne, avec Emmanuelle Devos dans le rôle d'Elisa, mais aussi Clovis Cornillac (Gilles) et Laura Smet (Victorine).

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et un peu de musique... Piers Faccini :

 

31 mars 2009

Un tueur à Munich ~ Andrea Maria Schenkel

tueur_a_munich

Nous sommes en Allemagne, dans les années 30. Josef Kalteis est jugé, condamné coupable et exécuté par guillotine pour avoir violé, torturé et assassiné des jeunes filles, sans jamais reconnaître la gravité de ses actes. Le roman raconte avec quelle froideur et quelle folie l'homme a plongé dans cette spirale infernale, celle de la violence et de l'acharnement.

Le roman commence gentiment, lorsque la jeune et naïve Kathie arrive à Munich pour trouver une place de bonne. Au lieu de ça, elle se laissera séduire par la proposition d'une amie qui lui suggère de vivre de ses charmes pour obtenir un bel appartement, de ravissantes toilettes et un cadre de vie comme jamais sa mère n'aurait pu lui offrir. On suit longuement son parcours, avant de comprendre où l'auteur nous conduit, brouillant même les pistes en jalonnant l'histoire avec d'autres jeunes filles, qui seront enlevées, violées et massacrées, ou portées disparues. La plongée est lente, insupportable, pourtant le suspense est là, terriblement accrocheur, pas du tout pervers. 

L'histoire est d'autant plus percutante car on vit les tragédies en se glissant tour à tour dans la peau des proches, de la victime puis de l'assassin. Je ne sais pas quelle place est la plus terrifiante, parce que c'est systématique : l'angoisse monte, la peur s'associe à la panique, et la douleur se ressent très vite... C'est un livre abominable, très charnel malgré les apparences ! On sent des frissons sur tout le corps. Lorsque Joseph Kalteis, le tueur, intervient avec ses dépositions faites au juge - pas besoin de préciser l'incohérence de ses propos - ses discours nous prennent à la gorge, ils nous scotchent par leur teneur insensée. C'est tout simplement révoltant, mais cela dessine la mesquinerie de sa réflexion, ce type est un malade, certes, mais c'est aussi et surtout un traqueur.

Comme avec La Ferme du crime, Andrea Maria Schenkel s'est inspirée d'un fait divers, et nous livre un roman oppressant, accablant et déroutant. Le portrait du tueur de Munich nous pousse dans nos retranchements, c'est à la fois flippant et réussi, mais cela crée un profond malaise.

Actes Sud, coll. Actes Noirs, 2009 - 168 pages - 16€
traduit de l'allemand par Stéphanie Lux

Du même auteur, je vous rappelle la sortie en format poche de La ferme du crime ICI !

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19 mars 2009

La ferme du crime ~ Andrea Maria Schenkel

ferme_du_crimeUne ferme située dans un village de Bavière devient le théâtre de crimes abominables commis sur les membres d'une même famille : le patriarche, sa femme, leur fille et ses deux jeunes enfants. Les Danner n'étaient pas aimés, ils vivaient reclus et avaient leurs petits secrets qui provoquaient jalousie et convoitise dans le voisinage, mais est-ce que ça peut expliquer une telle férocité ? Et puis, les enfants ? On murmure partout que ce ne peut être que le geste d'un maniaque, ou d'un monstre qui passait par là, mais ce n'est pas possible que ce soit l'un d'eux. Il règne alors dans le village une ambiance glaciale, où la suspicion et la peur ont trouvé leurs marques.

Quelques années se sont écoulées, l'affaire avait fait grand bruit dans les journaux, pour autant le coupable n'a jamais été mis derrière les barreaux. Mais impossible d'oublier pareille histoire. Dans la réalité, un fait divers semblable a secoué l'opinion publique dans les années 20, et l'auteur Andrea-Maria Schenkel s'en inspire pour raconter son histoire, mais en la plaçant dans les années 50.

Et c'est un livre qu'on avale en une lampée, il est construit comme celui de Truman Capote (De sang-froid), car ce sont les témoins qui racontent toute l'histoire, lentement, progressivement. Il y a un vrai suspense, on tourne chaque page avec avidité, les chapitres sont courts, chaque témoignage apporte sa petite pièce au puzzle, et on en voit de toutes les couleurs ! C'est un excellent roman, noir de chez noir, et qui tient en haleine. On VEUT savoir, on est pris dans l'engrenage, et on ne lève pas le nez avant d'avoir tourné la dernière page.

La Ferme du crime a été classé meilleur roman criminel du printemps 2006 par les libraires allemands. C'est tout à fait mérité !

Actes Sud, coll. Actes Noirs, 2008 - 157 pages - 15€
traduit de l'allemand par Stéphanie Lux

Disponible en édition poche, collection Babel noir, dès le 1er Avril 2009 !

10 février 2009

La grand-mère de Jade - Frédérique Deghelt

« Ceux qui écrivent ont une façon si particulière de porter leurs yeux sur ce que nous ne saurions voir. Je suis une lectrice. Je ne serai jamais capable d'écrire le moindre texte, mais quand je lis le roman d'un écrivain, je suis toujours frappée de ce regard singulier : cette façon de saisir la banalité et d'en rendre compte sous un angle insolite, cet art de tisser un lien entre des choses qui n'ont pas l'air d'en avoir. (...) Et si je n'écris pas de roman, mon imagination récrit ceux que j'ai aimés avec un amour respectueux. La part de rêve que m'offre la lecture me révèle une réalité, la mienne. Je ne sais pas ce que trouve l'auteur en écrivant, mais je devine dans ce qu'il tait une réserve où puiser mes plus belles rencontres avec ce que j'ignore de moi-même. »

41XL_OyBZqL__SS500_A la demande de son père, qui vit à l'autre bout du monde, Jade accepte de prendre sous son aile sa grand-mère Jeanne, victime d'un malaise du haut de ses quatre-vingt ans et rétive à entrer en maison médicalisée. La cohabitation dans l'appartement parisien entre cette jeune journaliste indépendante et cette petite paysanne échappée de son village montagnard donne lieu à une véritable osmose. L'une et l'autre se découvrent un goût commun : les mots. Jade a écrit un roman, qui est refusé par tous les éditeurs, et Jeanne a été une grande lectrice, loin du regard de son entourage. Entre elles, s'engage une discussion passionnante, sur des parcours dissemblables, tel un voyage à travers le temps. Deux femmes s'écoutent et se comprennent. Mamoune va jusqu'à proposer de jeter un oeil au manuscrit de sa petite-fille, en glissant « je pourrai bien t'aider moi » dans un souffle, comme une petite souris qui ne voudrait pas paraître trop envahissante, la prétention d'une donneuse de leçons rangée au placard.

Ce texte est tout le contraire d'un étalage de vanité, ce serait plutôt du genre à chuchoter, à marcher sur la pointe des pieds. C'est un livre désarmant de tendresse ! La connivence entre les deux femmes est bouleversante, s'épanouissant sur un épilogue qui laisse pantois. Mais c'est extrêmement émouvant.

Il y a à travers chaque ligne de ce livre un hommage interminable sur le goût des mots, le pouvoir du livre, la magie de la séduction, et l'éblouissement de la première fois, lorsqu'on découvre une histoire, l'envie d'y être encore et toujours. Ce roman de Frédérique Deghelt est subtil, c'est un vrai tour de passe-passe (surtout concernant la fin). Une fois commencé, ce livre ne vous lâche plus. Il est ensorcelant ! Et tendre aussi, car les personnages sont magnifiques. Tout est beau dans ce roman. Lisez-le ! 

 

« Je me souviens d'avoir été fascinée par le miracle des bons livres qui arrivaient au bon moment de la vie. Ceux qui parfois tombent des étagères pour venir répondre à des questions que me posait l'existence. (...) J'ai tout vécu, j'ai mille ans et je le dois aux livres. »

Actes Sud, 2009 - 391 pages - 21€

la reconnaissance du jour : « Vous aimez l'accident d'un rêve enseveli dans un roman. Vous aimez que l'écriture accroche la douleur aux ténèbres pour en faire de la lumière. Je le sais, je le sens. »

 

les avis de Cuné et de Marie

10 janvier 2009

Seul dans le noir - Paul Auster

seul_dans_le_noirD'abord je tiens à saluer la très belle couverture du roman, des lettres noires sur fond rouge, une impression hivernale, quelques flocons et la solitude, au bout, avec la frêle silhouette d'arbres nus... Déjà je me sens dans l'ambiance, cordialement invitée et je m'installe.

August Brill, ancien critique littéraire à la retraite, est cloué dans un fauteuil roulant après un accident. Il vit chez sa fille Miriam, depuis la mort de son épouse, et passe ses journées à regarder des tonnes de films avec Katya, sa petite-fille qui a le coeur brisé. Son ex-fiancé est mort, il s'est fait tuer en partant à la guerre. Miriam est aussi inconsolable, cinq ans après son divorce. Parmi elles, August assume ainsi son rôle de tampon, il est présent, il écoute, il essuie les petites larmes, puis à son tour, seul dans sa chambre, dans le noir, il s'apitoie sur son triste sort. Sa biographie est laissée à l'abandon, il ne veut plus raconter sa vie et préfère créer des histoires dans sa tête. Apparaît alors Owen Brick, un magicien new-yorkais qui a bientôt 30 ans. Il est marié à Flora, ils s'aiment, se disputent, et ils veulent un bébé. Un matin Owen se réveille et découvre qu'il est dans une autre Amérique, un pays en pleine guerre civile, mais qui n'a jamais été frappé par le 11 septembre. Owen retrouve un ancien amour de jeunesse, mais apprend également qu'il a une mission pour sortir l'Amérique de l'enfer, il va retrouver Flora et sa petite vie ordinaire, en échange il devra tuer son créateur.

Et cela continue de fourmiller de partout, des petites histoires et des anecdotes, des clins d'oeil aussi. C'est de la vraie fiction, ou une leçon par excellence pour mettre les pendules à l'heure : voilà comment on embarque un lecteur, voilà comment la folle du logis entre en action, et voilà comment on mène celui qui suit par le bout du nez. Paul Auster est un maître, il ne pose pas, il raconte et cela fait toute la différence. C'est moins enlevé et plus mélancolique que jamais, influencé par la guerre et les récits de pertes, de drames et de conséquences irrémédiables. En revanche c'est aussi un texte éclairé, sensible, intelligent.

On a souvent l'impression de sauter du coq à l'âne, d'avoir plusieurs histoires dans un seul roman, au risque de paraître entortillé. A mon goût c'est une sensation de vagabondage plaisante. Rien n'est linéaire, cela casse la routine. C'est sans cesse surprenant, parfois désappointant. La façon de couper court au chapitre d'Owen Brill, par exemple, est brutale car elle survient lorsque cela devient capital. Là, j'avoue que c'est un peu dommage... mais pas le temps de s'émouvoir, on rebondit déjà sur une autre aventure, un nouveau chapitre, on fait la connaissance d'autres personnalités auxquelles on s'intéresse à nouveau. Bref, c'est à ces petits détails qu'on reconnaît un grand souffle romanesque, non ?

Très bon roman, qui vous embarque et qui sait raconter une vraie histoire. A conseiller fortement.   

Actes Sud, 2009 - 324 pages - 19,50€
traduit de l'anglais (USA) par Christine Le Boeuf
 

17 novembre 2008

En espérant la guerre - Dominique Conil

517MbsEQeKL__SS500_Il y a 25 ans, les journaux ont consacré leur une à l'affaire Pierre Livi, le braquage du siècle, un mas encerclé, une centaine de gendarmes mobilisés, deux morts, une disparition et une femme - Anne Valetta - seul témoin de toute l'histoire. Et cette femme est restée muette, intransigeante, secrète, mystérieuse et donc fascinante.

Léon, jeune journaliste qui souhaite partir en reportage de guerre, se voit confier le gros dossier par son chef. L'eau a coulé sous le pont, peut-être aujourd'hui Anne Valetta va accepter de parler et avouer où est caché Pierre Livi. Mais le petit chemin qui mène à la Baume, où se terre Anne, est long, terre dure, pierres dénudées, ligne végétale et cours d'eau, mais le plus souvent caillasse et ronces poussiéreuses. Là où est la maison le silence est total, rien ne bouge sous le soleil de plomb.

Et puis c'est le malaise. Léon a une migraine fulgurante, il trouve refuge dans la maison fraîche et pas très lumineuse, Anne babille. Car elle accueille cet homme chez elle et le surprend en choisissant de raconter son parcours, mais sans question, sans réfléchir. Un peu comme si elle parlait seule, face à un miroir. Et en échange, elle n'attend rien. « Vous savez, vous ne devriez pas me parler et le regretter. Vous en avez trop dit. Des fois, les gens se mettent à vous haïr quand vous êtes leur dépositaire. »

Ce qui ressort de ce premier roman est le portrait saisissant d'Anne Valetta. Cette femme ne nous dit pas tout, derrière sa façade de Pénélope qui attend son Ulysse. Autant de fidélité désarçonne notre journaliste, lui-même empêtré dans une histoire sentimentale qui part à la dérive. Il n'est pas le seul à ressentir ce vertige de l'incompréhension : Carmen, la fille d'Anne, le dit tout de go. Cette histoire ne concerne que sa mère. « Pierre Livi, c'est propriété privée. Propriété d'Anne Valetta. C'est pas mon père, c'était son mec. J'ai eu que des contes et légendes. Tout ce que je sais, c'est que le héros, il ne s'est pas montré pour moi, que dalle. »

Le désenchantement résonne dans cette histoire, au même titre que l'espoir et la résignation. On y parle aussi d'engagement, d'illusion et de liberté. Anne Valetta raconte, le lecteur dispose. C'est sincèrement un roman d'ambiance où tout se passe dans cette vieille bâtisse qui porte un nom prémonitoire - le Baume du Mal. Et il y a la figure souveraine d'Anne Valetta, implacable et touchante, impénétrable et admirable. Forcément antipathique, agaçante. Mais qui marque.

Au commencement était une histoire d'amour, et elle s'est éternisée, pétrifiée dans l'attente... Ce premier roman en livre les pleins et les déliés avec une constante remarquable, une rigueur parfois déconcertante, car l'émotion est écartée. On s'enrôle dans une histoire de coeur comme on part à la guerre, avec la trouille au ventre et le chagrin d'en garder des cicatrices. Mais ça vaut le coup, rien que pour l'effervescence. Et Léon l'a bien compris. Nous aussi.

Très bon roman, très bien écrit.

Actes Sud, octobre 2008 - 174 pages - 18€

Merci à l'auteur !

24 août 2008

Laver les ombres - Jeanne Benameur

Au lecteur à venir, je lui souhaite la même sensation de gouffre qui s'ouvre sous les pieds et qui donne l'impression de vertige. C'est un roman qui parle de deux femmes. Il y a Lea, danseuse de trente-sept ans au corps rouillé, qui panique et ne comprend pas pourquoi toutes ses relations amoureuses se soldent par un échec. La dernière en date, celle avec Bruno, un peintre, est vouée à la même déconfiture. Lors d'une séance de pose, Lea s'est sentie oppressée et a pris la fuite au volant de sa voiture pour retrouver sa mère, Romilda. Par une nuit de tempête, seules dans cette maison pas loin de la falaise, les deux femmes vont beaucoup pleurer en mettant à jour des secrets enfouis depuis l'année 1940, dans une chambre, à Naples.

IMGP5980

Ce roman, au charme étrange, ne livre ses mystères qu'au compte-goutte. On suit de près l'héroïne, Lea, qui est une femme en perte d'équilibre, qui refuse de chavirer, d'accepter le faux-pas. Pro de la danse, elle livre son corps à une discipline de fer. La simple idée de se mettre à nu - dans tous les sens du terme - l'empêche d'avancer. Cette conversation qu'elle va avoir avec sa mère est ainsi un moyen d'expurger les démons qui rongent leurs âmes. C'est bénéfique pour l'une et l'autre, désespérant pour le lecteur extérieur à cette histoire. On se prend tout dans la figure, c'est violent, de cette rage impuissante et frustrante. L'émotion de la mère est palpable, elle touche et laisse bras ballants. Que faire de tout ceci, sinon rien ? Tout ranger, proprement, et refermer ce court récit, poignant.

C'est de l'amour dont il est question, aimer conjugué à tous les temps, dans plusieurs langues mais dans une symbolique qui dépasse l'entendement... "Apprendre la marche imparfaite de tous ceux qui ont dans le corps un poids qui se déplace et les entraîne. Sans qu'ils y puissent rien. Et danser avec ça. (...) Elle fait partie maintenant de ceux qui articulent leurs pas comme on parle après être resté trop longtemps silencieux. Avec peine. La seul grâce possible. Partageable."

Laver les ombres

Actes Sud, août 2008 - 160 pages - 15€

Le coup de coeur de Vanessa (Eliabar)

 

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Calpurnia et Travis
L'homme idéal... ou presque
Trop beau pour être vrai
Tout sauf le grand amour
Amours et autres enchantements
Ps I Love You


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