La bonne confiture du jour, c'est un mélange de lectures publiées sous l'étiquette jeunesse mais, comme je m'escrime à le dire, ce n'est pas réservé qu'aux enfants ! ... Tout adulte pourra y passer un bel instant, savourant la générosité et la facétie des styles divers.
Alizé apprend un jour par sa mère que son père, qui avait besoin de souffler un peu, était sorti prendre l'air. La petite fille en conclut alors que son père n'est autre que le Vent. Au cours de vacances au bord de la mer, elle tombe amoureuse du moniteur de windsurf et pense ainsi que son destin s'accomplit : la fille du Vent ne peut s'unir qu'à un sublime sportif qui ne manque pas d'air.
C'est MA découverte et un enchantement profond. Audren aime butiner la planète, découvrir des lieux, comparer des cultures, voyager. Elle aime rompre le train-train quotidien en chantant et en écrivant des romans, des poèmes, des chansons. On l'apprécie pour son univers si particulier, son humour décapant et ses personnages peu ordinaires.
Une bombe terroriste dans un hôtel, une maladie éprouvante, la mort et le danger l’ont quelquefois frôlée. Depuis, elle vit chaque instant comme un bonus de bonheur. (présentation de l'éditeur l'Ecole des Loisirs)
Son site : http://audrenofficialweb.free.fr/
Dans ce livre, j'ai été enthousiasmée par la petite narratrice de 9 ans qui souffre de l'absence de son papa courant d'air. L'expression est jolie, mais l'enfant a opté de la prendre au pied de la lettre. Peu avant sa naissance, le géniteur a pris la poudre d'escampette, et c'est devenu ainsi Papa Le Vent. Alizé est la fille d'un courant d'air. La fille du vent. C'est ce qu'a dit sa maman. Pour mieux communiquer avec lui, Alizé est convaincue de sentir sa caresse dans le souffle d'une brise, ou de subir sa colère à chaque bourrasque ou rafale de vent.
L'histoire joue beaucoup sur les images, la poésie et les expressions et donnent lieu à des chapitres savoureux. Il y a aussi énormément de tendresse, de l'humour et il me semble impossible de ne pas s'attacher à cette Alizé, qui se décrit volontairement comme « poète et super-chieuse. A défaut d'être encore la fille du vent, je restais la fille d'avant. »
Extrait : « Il avait dit à Maman qu'il sortait prendre l'air et qu'il avait besoin de souffler. Ce qui, venant du vent, ne m'étonnait guère. Depuis ce départ, Maman craignait exagérément les courants d'air. Elle se plaignait d'avoir froid à la moindre brise et refusait d'aérer la maison dès que les feuilles des marronniers de notre avenue frémissaient, trahissant ainsi quelques doux zéphyrs. Une épaisse couche de laque fixait en permanence ses cheveux mi-longs, car aucune bourrasque ne devait avoir emprise sur elle. »
Collection Neuf - 53 pages - 7,50 € * Illustration de couverture : Soledad Bravi *
**********
Etienne a toujours detesté lire. Mais voilà que ses parents divorcent. Le soir de l'annonce, seul, perdu, enfermé dans le bureau de sa mère, Etienne attrape un livre. Un recueil de nouvelles de Salinger. Etienne plonge dans l'histoire. Il se distrait de la sienne. Il devient curieux des livres, au point d'avoir envie d'en écrire un.
La narration est étonnante puisqu'elle implique que c'est l'adolescent de 16 ans qui livre son manuscrit entre les mains du lecteur. Se présente alors un mélange d'histoire à raconter et d'apartés à livrer sur la complexité d'écrire un livre, d'inventer et de délivrer des pans de sa vie personnelle.
Le garçon qui ne pouvait pas voir les livres en peinture a une réputation à tenir : celui d'être non lecteur, de détester les livres. « Que tous ceux qui rabâchent que, pour faire aimer la lecture aux enfants, il suffit de les faire vivre entourés de livres, arrêtent de se raconter des histoires. Moi, j'ai toujours baigné dedans, au point qu'ils ont fini par me noyer. » C'est un peu la faute de son père, lecteur assidu de Dumas qu'il aime à lire et relire une à deux fois par an, et qui a harcelé le garçon pour s'y mettre un jour ou l'autre. Viendra ensuite le divorce de ses parents, et sans relation aucune, la rencontre avec Salinger (puis avec une certaine Cindy).
« J'ai eu envie de lire. Le titre m'avait tiré un sourire : c'était peut-être ma façon de lui être reconnaissant. A la cinquième ligne, il y avait le mot sexe, c'est aussi une raison que je peux avancer pour tenter d'expliquer mon soudain intérêt. »
J'hésite à parler de miraculé de la lecture car ce livre n'en fait pas systématiquement l'apologie. Lisez des livres, vous sauverez votre peau ! Non, c'est une parenthèse ouverte dans la vie d'un adolescent de 16 ans, fils de parents divorcés, qui connaît un réel défoulement dans l'écriture et les mots (petit étalage d'auteurs et de lectures pour dessiner ce parcours du combattant, on y croise aussi bien Dan Brown, Christine Angot, Jane Austen et Shakespeare). Ces observations servent aussi à tracer de balbutiants rapports amoureux, la relation sexuelle et c'est franchement drôle !
Jamais pathétique, ce portrait d'un adolescent d'aujourd'hui est tout sauf celui de l'étendard au nom d'une génération. C'est fin, bien déduit et captivant. On passe joyeusement de la réflexion de l'apprenti écrivain au lecteur malgré lui, au fils manipulé et à l'amoureux dupé. Ce portrait est une bouffée d'oxygène, servi par une écriture originale et qui ne pourra que plaire aux jeunes lecteurs !
Collection Medium - 94 pages - 8 €.
A lire : l'article de Blandine Longre
**********
Madeleine Delande est le seul écrivain au monde qui n’écrit qu’avec des gants. Elle enfile une paire de gants en dentelle, de golf, avec un trou, rouges et très longs, et les mots, comme par enchantement, surgissent, grondent, s’emportent, n’en font qu’à leur tête.
Sur ses mains, l’habit fait l’histoire.Il suffit qu’elle porte des gants en dentelle et la jeune Annaig, apprentie dentellière sur son île bretonne au début du xxe siècle, apparaît à sa table d’écriture. Si elle décide d’habiller ses doigts de mitaines en cuir, la passion se déchaîne et un étrange visiteur susurre des phrases brûlantes d’amour à une belle Emma. D’où viennent les mots de cet écrivain ? Quel est son « truc » pour inventer la vie des autres ? Pourquoi les langoustines sont-elles la clé de cette énigme ?
Ce qui est certain, c’est que les costumes de Madeleine n’ont de cesse de la conduire de plus en plus loin...
Autour de Madeleine Delande, l'écrivain qui porte des gants, s'inscrivent des histoires toutes plus différentes les unes des autres, et qui prennent leur essence dans la nature du gant ; que ce soit de cuir, en dentelle, de soie ou en nylon, la paire de gants est génératrice d'une magie surprenante. Parfois, l'opération est caduque - mais en règle générale, la productivité est charmante, voir même intriguante.
Ce livre peut se considérer tel un recueil de nouvelles. C'est un ensemble, un filet de courses où on croise des histoires d'amour, l'élixir d'eau sauvage et tout le mystère sur sa fragance incomparable, la lettre de René sur l'exercice de « que des mots en e, é, è, ê », la pomme de terre d'Irlande et la dentelle qui arrive en Bretagne grâce à Mlle Arabella Hand, la disparition d'Antonio qui désappointe Mlle Zita, et de l'entre-deux au sujet des gants dans l'existence de Madeleine Delande.
« Depuis quelque temps, je n'écris qu'avec des gants ou des mitaines, j'ai inventé un personnage d'écrivain comme ça (pour Autobiographie d'un fantôme), puis ça m'est resté, je choisis les gants qui vont avec l'humeur du moment, je mets aussi des bagues, des bracelets, achetés pour quelques euros, jamais d'or, pas de diamants, mais j'aime que la bague cogne sur la souris, la grosse souris sans fil "Time", ce temps à pile, ou bien ma petite souris qui s'illumine de 7 couleurs sur la mezzanine quand j'écris devant la grande fenêtre. » sur http://almassyeva.blogspot.com/
Ce livre pourra très facilement séduire les plus grands lecteurs, ceux et celles qui picorent les bons mots, les histoires étranges, le trouble des recueils aux allures chics et folles d'élégance. Ce petit monde d'Eva Almassy a un goût d'extraordinaire, qui casse le lisse et l'attendu, et où se croisent la fantaisie et l'humour. A adopter ! « Adam, gant... et Eve, dentelle. »
Collection Medium - 107 pages - 8,50 €
A lire : l'article d'Angèle Paoli