La Promenade des Russes - Véronique Olmi
Sonietchka, treize ans, vit seule avec sa grand-mère Macha, rue Rossini à Nice. Cette dernière, née en 1901, se prétend être la seule survivante (encore en vie) de la Révolution Bolchévique et ainsi tout connaître du mystère Anastasia, la princesse disparue. Elle écrit de longues lettres au directeur d'Historia, les récite à voix haute à sa petite-fille, il faut qu'elle comprenne tout, qu'elle la soutienne et l'escorte pour se rendre à la Poste. Elles s'y rendent donc, à un train d'escargot, la grand-mère fière comme Artaban, la petite tétanisée et ennuyée de cette rengaine.
Ce qu'elle aimerait, c'est aller à la plage, profiter du soleil, se baigner, rêvasser sur un banc et non plus s'enfermer dans cet appartement sombre, encombré, qui sent la laque Elnet et la poudre de riz. Tout est dépassé, figé comme une image, Sonia a envie de tout chiffonner pour l'envoyer à la poubelle. Elle veut de la vie, de l'amour, un signe de tendresse. Sa mère est partie on-ne-sait-où, son père fait sa vie de son côté, seule reste sa grand-mère, trop protectrice. C'est la croix et la bannière pour mettre un pied hors du foyer. Un jour, elle ment et se rend en cachette à un rendez-vous fixé par Olga, sa mère. C'est le point de départ d'une existence qui va foutre le camp.
L'histoire est racontée par l'adolescente de treize ans, ce qui donne beaucoup de fraîcheur, de légèreté, d'humour et de naïveté au récit. Cela masque le souci premier que présente l'intégration des étrangers dans un pays inconnu, pour Sonia c'est un problème voilé. Elle ne se sent pas russe, à l'instar de sa mère qui a choisi de fuir tout ce qui s'en approchait, elle ne se sent pas française non plus. Elle aurait aimé être une Camille Dubois, plus passe-partout, mais elle est Sonietchka, détentrice d'un flambeau que lui brandit sa Babouchka (et qui lui pèse franchement).
La promenade des Russes n'est pas un roman historique, mais plutôt le parcours initiatique d'une demoiselle mal dans sa peau. Cela pourrait ressembler à une biographie romancée de l'enfance de Véronique Olmi, rien n'empêche d'y croire. Mais l'important n'est pas de savoir ce qui est vrai ou faux, inspiré ou fantasmé. On embarque facilement dans le coeur de ce récit, teinté de poésie, de blues, de drames familiaux, de grandeurs et décadences du royaume russe... On s'attache énormément à cette petite Sonia, une adolescente pas comme les autres, et qui le soir rêve dans son lit de se rendre à Manderley, à force de lire et relire Daphné du Maurier, dans le dos de sa grand-mère (vraiment une femme qu'on admire et qu'on ne comprend pas non plus). Elle est sèche, sévère, excessive, peut-être un peu toquée aussi.
On cernera mieux son histoire en ayant tout lu le roman, pourquoi toutes les femmes de cette famille sont si vulnérables et comment le passage du relais, entre les générations, peut s'assurer sans peine ni heurts. Pour cela, le livre possède un charme secret qu'on ne soupçonne pas forcément à la première lecture, c'est simplement en laissant passer le temps qu'on se surprend à conserver une profonde tendresse et affection pour cette histoire (et pour les personnages !). Vraiment troublant, ce roman. Il est tourné vers la nostalgie, les non-dits, les secrets de famille, mais il n'est jamais morose pour autant. C'est un beau roman, pas facile à décortiquer mais on lui conserve, au chaud, un vrai sentiment de reconnaissance.
Grasset, septembre 2008 - 248 pages - 16,90€
Véronique Olmi chez Auteurs TV (merci lily!)