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Chez Clarabel
7 janvier 2010

Des corps en silence

Il fallait s'attendre à une déception et elle est venue, trop tôt, à mon goût. Et c'est sous la plume de Valentine Goby qu'elle est survenue, de quoi me désoler plus particulièrement. Je suis très sensible à ce qu'écrit cet auteur depuis ses débuts, j'ai pu noter son évolution, ses changements, ses intérêts pour la femme, son intimité et tout ce qui touche le corps féminin. Son dernier roman s'intitule Des corps en silence, un joli nom, pour un roman dont le sujet ne pouvait que me plaire. On y parle de deux femmes, l'une à notre époque et l'autre en 1913. Claire roule avec sa fille Kay et refuse de rentrer chez elle où l'attend Alex. Plus d'amour, plus d'envie. Claire tend vers une rupture définitive et douloureuse. De son côté, Henriette est folle amoureuse de son homme, lequel l'a initiée aux plaisirs charnels alors qu'elle vivait un mariage sans éclat. Elle aime son homme, passionnément. Elle n'en peut plus de sentir qu'il se détache, elle veut renouer ce lien entre eux qui était si fort et qu'elle pensait indéfectible. Oui, elle est prête à tout. Par amour, pour son amour. Ses deux femmes s'entrechoquent, ou disons que ce sont leurs parcours qui se font écho. La construction est plutôt habile car chaque chapitre se termine sur un coup de tête, pour embrayer sur le suivant, comme par un effet de ricochet. Les deux femmes sont ainsi unies, elles ont en point commun de refuser le silence des corps. C'est un roman que je voulais à tout prix aimer, et que je pensais lire en me délectant, hélas je l'ai trouvé froid, cru et déroutant. Je m'y suis très vite sentie mal à l'aise. Je préfère le ranger de côté et envisager qu'un jour je vais le reprendre, Valentine Goby possède beaucoup de tact et de maîtrise pour impressionner ses lecteurs, je sens que des retrouvailles sont proches !

... elle aime ça : se perdre, à nouveau, et c'est aussi, pense-t-elle, parce que au bout du voyage il y a Alex, d'ailleurs moins Alex que la douceur d'une vie qui l'attend, une fois la parenthèse refermée, la quiétude, sa certitude quand elle rentrera chez elle, après. Un soir, dans sa chambre d'hôtel, elle reçoit un message sur son téléphone portable : "Ta peau me manque." Elle regarde s'afficher les lettres sur fond d'écran orange. Elle frémit. De ne rien sentir. Elle relit. N'éprouve rien. Ne sait pas quoi répondre. Caresse son bras. Sa nuque. Son ventre. Touche son clitoris sous la chemise de nuit. Les aréoles de ses seins. Se couche. Garde les yeux ouverts sur le noir. Elle est en train de mourir, comme Alex meurt dans sa tour de la Défense. La fin du manque. Du désir. La fin.

A noter, son précédent roman - Qui touche à mon corps je le tue - est disponible en poche chez folio.

des_corps_en_silenceDes corps en silence
Gallimard, 2010  -143 pages - 13,50€

 

NB : Ce roman a en fait besoin de temps, d'espace et de patience. C'est en relisant un bref passage, pioché au hasard, que je me suis aperçue combien j'avais été trop gourmande et maladroite avec ce livre. Il se délecte par petites gorgées, même si c'est un livre de moins de 150 pages.   

Voilà donc un roman à garder sous le coude, et qui demande une approche timide, farouche et fatale.

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5 janvier 2010

Les âmes soeurs ~ Valérie Zenatti

Elle relit ces phrases sur un homme de fiction mais qui semble si vivant, même après sa mort de papier, survivant dans un amour de papier, mais si vaste, si absolu, qu'elle ressent elle aussi un mélange d'amour profond et de deuil.
(...)
Elle relit ces mots qui lui offrent une autre vie, plus libre, reliée au vaste monde, à ses palpitations, aux seules vraies raisons de vivre, l'amour et l'art. Une vie qui tient ses promesses de richesse et d'intensité. Elle voudrait arriver au bout du livre, et dans le même temps elle voudrait qu'il ne s'achève jamais, qu'il reste une histoire dans laquelle elle a pris place et qui lui donne depuis hier le sentiment qu'un sang nouveau coule dans ses veines, le sang de Lila Kovner qui n'a peut-être pas eu une vie heureuse mais qui l'a vécue si intensément, qui a su ce qu'était l'amour, ce qu'était la guerre.

C'est l'histoire d'un livre qui m'a murmuré à l'oreille des choses douces et a fait naître en moi des sensations, des émotions indicibles. Ce livre raconte deux femmes qui jamais ne se croisent, où l'une apprend à aimer l'autre sans espoir de retour et où cet amour finit par donner des ailes et apparaître des vérités.

Emmanuelle est mariée, mère de trois enfants, travaille dans une entreprise et sent combien sa vie ne ressemble plus à rien. Tout l'accable. Tout l'ennuie. Elle en prend conscience grâce à la lecture d'un roman qui lui parle de l'histoire d'une photographe, Lila Kovner. Amour, drame, séparation, anticipation, audace et bravoure. Un choix de vie qui interpelle Emmanuelle, trop handicapée par l'inertie de son quotidien.

Sa lecture la met également face à ses souvenirs, à ses pertes (la mort de sa mère, de sa meilleure amie, son alter ego). A l'occasion d'une journée où elle décide de ne pas aller travailler, de ne pas en toucher un mot à son mari, de déposer ses enfants à l'école et à la crèche, elle prend la clé des champs. Son tête-à-tête avec son roman.

... retrouver le livre, se sentir absorbée par lui, reprendre place dans cette vie secrète et intense où tout lui était possible, où tout était vivable.

La lecture en thérapie.

Emmanuelle va gagner plus qu'un coup de coeur littéraire, elle va aussi se dépasser, atteindre ses limites et franchir la ligne qu'elle croyait ne jamais plus dépasser. La liberté au bout du chemin, comment voulez-vous ne pas applaudir cette jeune femme qui saura prendre LA bonne décision ? !

... son coeur avait appris à battre au rythme des pages tournées, et si sa vie ne lui semblait pas toujours digne de ses rêveries, si elle ne pouvait pas tout changer, tout abandonner, y compris elle-même, elle pouvait au moins briser le carcan de ce travail insipide, prendre le temps de vivre, de regarder autour d'elle et en elle, de faire de la place pour ce qui lui tenait à coeur.

Battement de paupières.

J'ai porté ce livre ! Merci Valérie Zenatti. Cette lecture a été pour moi une évidence précieuse et rare et je convie toutes les femmes qui traversent des périodes de doute de s'y réfugier sans attendre. C'est trop intime d'en dire plus, je me contenterai alors de trois points de suspension... 

les_ames_soeursEditions de l'Olivier, 2010 - 172 pages - 16,50€

 

4 janvier 2010

Le camion blanc ~ Julie Resa

Une pensée pour Lhasa ...

Tout lui échappait.
Son corps, bizarrement flasque et strié depuis l'accouchement. Toujours fatigué, toujours affamé.
Son esprit qui se farcissait n'importe quoi au lieu de se libérer, de se vider.
Sa vie qui tournait en rond depuis qu'elle avait choisi de prendre un tournant.
Et ce camion qui l'obnubilait, se moquait d'elle.

C'est l'histoire d'un affrontement entre une femme, jeune maman qui se rend constamment sur la tombe de sa mère, décédée dix ans trop tôt dit-elle, et un camion blanc, stationné impunément devant la belle maison de son père, dans un quartier chic et résidentiel, un havre de paix qui va progressivement devenir un enfer pour la narratrice.

L'affrontement est muet, insolent, de la résistance passive puis du dur, du violent, de la sournoiserie. La jeune femme a choisi de cristalliser sur ce camion blanc et son propriétaire ses propres refoulements, ses relents de haine, sa frustration, sa fatigue, son dégoût de la vie. De sa vie.

En seulement 90 pages, le face-à-face est pathétique, drôle, mesquin, abusif. On sait que cet acharnement cache autre chose, chez cette femme lessivée par sa non-existence il y a aussi ce deuil mal cicatrisé, cette absence de la maman qui repose au cimetière. Et le bébé qui braille, la maternité pas bien assumée, le père qui devient le dernier rempart où se refugier pour trouver un dernier semblant de l'enfance...

le_camion_blancCe petit roman en dit plus qu'il ne paraît et j'ai purement apprécié sa brièveté, sa finesse, sa tonalité et sa narratrice désabusée et insupportable.
Un petit roman qui mériterait d'être découvert.

Buchet Chastel, 2010 - 90 pages - 10€

> également lu par keisha 

en librairie le 14 janvier 2010

25 septembre 2009

Quinze ans après ~ Alexandre Jardin

Grasset, 2009 - 354 pages - 19€

 

quinze_ans_apresCe roman est un drame qui donnerait presque envie de pleurer ! Fanfan a été le roman de mes seize ans, et voyez-vous, j'y croyais à la théorie des passions éternelles, du combat contre la routine et l'étincelle qui s'éteint, l'amour n'étant qu'un éternel recommencement, un feu qu'il fallait alimenter, pimenter de mille façons... bref j'étais fleur bleue et naïve d'une théorie qu'Alexandre Jardin aujourd'hui réfute !
Je tremble de rage. Je suis mécontente, déçue, mais déçue.
Quinze ans après, donc, signe le retour des amours entre Alexandre et Fanfan. Or, c'est un retour amer, aigri, fané, déboussolant... Le couple n'a pas tenu la route et s'est séparé. Chacun a mené sa petite barque de son côté, Fanfan a connu deux mariages, a eu deux enfants et aujourd'hui elle divorce avec force et fracas, on la découvre affreusement lessivée, vaccinée contre les engagements maritaux et romantiques.
De son côté, Alexandre réalise que seule la félicité conjugale compte dans la vie, au diable ses vieilles lubies, il désire maintenant prouver que l'amour se vit tous les jours, c'est là le vrai pouvoir, et il ambitionne de "donner un regain de crédit aux pantoufles" !
Deux trublions - un producteur et un éditeur - vont se frotter les mains en souhaitant provoquer les retrouvailles entre Alexandre et Fanfan. L'illusion passée peut-elle resservir ? Peut-on rallumer les braises éteintes ?
Guérit-on jamais d'un premier amour ?

C'est ce que tente de raconter ce roman, beaucoup plus ancré dans le bilan, dans le constat de l'échec et dans l'autocritique. Il est tout entier empreint d'Alexandre Jardin, on reconnaît sa signature d'une folie contagieuse, qui implique son excès du romanesque, son délire sentimental, "toujours gonflé à l'hélium de ses rêveries". C'est enchanteur et fatiguant à la fois.
A seize ans, j'étais éblouie et amoureuse de son extravagance... j'ai aimé Le zèbre, Le petit sauvage ou Bille en tête. Et puis au fil du temps, je me suis lassée et je n'aimais plus. J'étais fatiguée de son impétuosité, je trouvais que c'était beaucoup moins spontané et plus travaillé (ou calculé), bref je n'en pouvais plus.
En apprenant qu'il existait un acte 2 à Fanfan, j'ai bondi. Curieuse, gourmande, besoin d'un roman gai... j'ai foncé, je regrette à moitié. On ne doit jamais revivre ses anciennes amours, on doit les laisser dans le placard des souvenirs dorés, on ne doit pas prendre le risque de les froisser et de les rendre moins idylliques.
C'est le sentiment que j'ai ressenti avec Quinze ans après.
Ce n'est pas du réchauffé, c'est juste déprimant. La première centaine de pages demande un certain effort, c'est un condensé de tout ce que je ne supporte plus, et puis j'étais mécontente de découvrir que l'auteur reprenait ce qu'il avait donné, qu'il n'assumait plus Fanfan, non je ne suis pas d'accord, donner c'est donner, reprendre c'est voler. C'est sans doute une oeuvre de jeunesse, avec son lot de farces et d'inepties, mais c'est pour moi insupportable de voir son auteur la renier.

Du coup la magie n'est plus, on sent la rengaine, on suit un personnage qui n'a pas grandi et qui reste un enfant, qui continue de rêver sa vie au lieu de la vivre. Sur ce plan, j'ai trouvé Fanfan beaucoup plus crédible et touchante, "lourde d'échecs, de poncifs et vieille de trouilles" (comme lui rétorque Alexandre).
Je n'adhère plus au concept, même si le livre est saupoudré d'inventions et de propositions sympathiques, je trouve que c'est tout de même poussif, trop naïf (oui, hélas !) et épuisant. Le fait aussi que l'auteur choisisse de retourner sa veste participe à mon agacement. Je n'aime pas la frustration, et c'est ce qui ressort de ce volte-face. On peut changer, avoir des goûts différents et penser autrement, mais on ne doit pas tirer un trait sur sa fantaisie.
Quinze ans après est un roman sur le temps, sur la sagesse et sur les nouvelles envies. Les personnages fétiches que sont Alexandre et Fanfan ont quarante ans, que sont-ils devenus, vont-ils montrer que l'amour rime avec tous les jours. A considérer, toutefois, que les lecteurs aussi ont mûri et qu'ils ne sont probablement plus réceptifs à ce tourbillon excentrique et capricieux... C'est ce que je pense, ensuite je ne doute pas que ce roman - ôde à la charentaise, ainsi soit-il - trouvera son public, dont les nombreux fans de Fanfan ! C'est un roman qui apporte aussi beaucoup de joie, et ça ne peut pas faire trop de mal non plus.

> extrait :

C'était plus fort que lui : un besoin organique, vital, de faire évoluer son avatar, de ne pas le laisser en rade sur cette pellicule qui le figeait dans des idées qu'il exécrait désormais. Fanfan Acte II démentirait l'acte I. Alexandre souhaitait s'actualiser sans délai. Il voulait se montrer éloquent contre son éloquence de jadis. Et que ses deux livres se fassent la guerre entre eux, en étrillant ses croyances obsolètes. Rageur, il allait tenter d'écrire une oeuvre à rebours qui montrerait que seule la vie domestique bien intriguée permet d'atteindre la haute passion. Et que les charmes des commencements ne sont que broutilles au regard des vertiges neufs qui peuvent survenir jour après jour. Ce bouquin bilieux parfois porterait la discorde dans la littérature romantique ; sans qu'aucun scrupule le retienne. Sa nature trop riche avait soif de castagne, ou plutôt de riposte. Quel déviant lyrique, autre que ce fêlé, pouvait soutenir que la flamme la plus brûlante ne surgit qu'avec le temps ? En prenant ses habitudes comme point d'appui au lieu de s'en défier. Tout à sa furie iconoclaste, Alexandre désirait clouer au pilori, une bonne fois pour toutes, l'idée même de l'étiolement des passions.
Par ce livre tonnant et joueur, bélier de nouveaux songes - qui guidaient sa propre vie -, il espérait refaire l'amour ; de fond en comble.  Oui, rien que ça : refaire l'amour, en réformer les attendus, se conduire en schismatique. Sans mettre de mors à ses idées. En osant la rupture totale avec les mythes occidentaux mal foutus qui, tous, promettent aux amants fous d'amour, un jour ou l'autre, une gueule de bois. Il y puiserait un goût de revanche allègre et de bravade.

en voici un qui ne change pas, alain souchon, avec cette très très belle chanson, le zèbre...

 

(mais l'album ^c'est déjà ça^ était une pure merveille de la première à la dernière note)

sans rapport, j'ai ENFIN reçu l'album de Séverin que j'attendais depuis bientôt deux mois !!! et c'est très bon ! écoute plaisante et agréable, sensation douce et sucrée, je confirme ! ^-^

14 septembre 2009

Markus presque mort ~ Valérie Sigward

Julliard, 2009 - 102 pages - 15€

markus_presque_mortLe talent de Valérie Sigward se trouve dans la brièveté : comment raconter une histoire avec une économie de moyens, un style rien qu'à elle, une langue épurée et des mots qui touchent et vous retournent, une fois la dernière page tournée, le lecteur n'a rien gagné en certitude, si ce n'est d'avoir lu quelque chose d'unique et de très fort.
Ce nouveau roman, Markus presque mort, ne fait pas exception à la règle, en 100 pages la plongée est fraîche, vivifiante, pour devenir de plus en plus glaciale.
Markus et Franck sont deux meilleurs amis, inséparables. Ils roulent à deux sur la mob de Markus, Franck à l'arrière sur le porte-bagage, tous deux le casque collés aux oreilles, ils filent sans but. Un soir, le long du chemin du halage, Markus et Franck sont heurtés par un autre cyclo qui les expédie dans le décor. La facture sera lourde : Franck a les jambes en compote, Markus est plongé dans le coma. Le temps passe, Franck se reconstruit une vie et il n'ose plus rendre visite à son meilleur ami, toujours collé dans un lit à l'hôpital. Que s'est-il passé ce soir-là ? Le père de Markus veut comprendre, il dessine dans un cahier vert pour tuer le temps et pour donner libre cours à son chagrin et son impuissance. Franck a connaissance de ce cahier, et ça lui retourne le ventre, ça lui donne un profond sentiment de malaise, et il cause, il cause, il a besoin de vider son sac... jusqu'aux dernières pages, jusqu'au tout dernier mot du récit, qui vous scotche. Paf. Un dénouement qui nous laisse passablement médusé. Ni plus, ni moins.

du même auteur, Immobile va prochainement sortir en poche (pocket, début novembre 2009).

à lire, aussi : la fugue et loin, chez personne (julliard, 2006 et 2007).

 

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8 septembre 2009

Dernière phrase ~ Hélène Le Chatelier

Arléa, 1er / mille, 2009 - 90 pages - 13€

derniere_adresseForrest Gump a comparé la vie à une boîte de chocolat, la narratrice de Dernière adresse a cette petite phrase qui mériterait d'entrer dans les annales : le Flanby, comme la vie, ne tient jamais sa promesse d'un caramel généreux et opulent qui recouvrirait le tout d'une suavité un peu poisseuse et trop sucrée.

Niamh est une vieille dame, très, très âgée. Elle est arrivée au stade où elle se rappelle - son enfance en Irlande, son arrivée en France, son mariage avec Georges, le meilleur des maris, ses enfants, son veuvage, sa solitude, son ennui et son corps qui lâche l'affaire. Niamh ne tient plus debout, elle remplit son frigo de yaourts flanby, elle se fait pipi dessus, bref c'est le signal pour les enfants qui la confient à une maison de retraite. Ou, nursing home. Selon ses termes.

Le transfert est difficile, Niamh n'en peut plus d'être parquée parmi d'autres vieillards dans cet établissement où chaque geste est dénué de chaleur humaine. Tout est terriblement clinique, automatique. Sûr que ce climat la plombe... Niamh ne baisse pourtant pas les bras.
Dans tous les cas, vieillir c'est perdre. Perdre et se résigner à perdre. Se dépouiller de toutes ces choses parfois si chèrement acquises. C'est ça. On passe la fin de sa vie à se défaire de ce qu'on a mis tant de temps à acquérir.
Faut-il vraiment arriver au bout dans cet état de dénuement, de dépouillement de soi, sans artifice ?
Je ne m'y résous pas.
J'en veux encore.
Encore un peu.
Encore beaucoup.
Plus.
Toujours.
J'ai aimé cette vie, malgré tout.
Je l'ai aimée à m'en rendre malade.
J'en suis gourmande.
J'en veux encore.
J'ai faim encore.

Parce qu'il ne fallait pas s'attendre à un petit roman déprimant, le sujet parle de la vieillesse et de la fin de vie, mais c'est fichtrement bien raconté. Niamh est une narratrice extraordinaire, pleine de verve, avec un humour fin et plein d'esprit. Ok, ça yoyote un peu dans sa tête, elle a des lubies de collection improbable (après les yaourts, ce sont les stylos), mais bon sang, elle l'affirme crânement : Quitter le réel, c'est ce que je cherche justement ! Je parle toute seule, et alors ? J'assaissonne ma vie à ma façon. Je ne suis pas démente, j'ai de l'imagination. C'est tout. Ce n'est pas la même chose.

Bref, dans la vie, tout est bon... sauf la fin ! Niamh nous en offre un formidable exemple.
A méditer sagement.

1 septembre 2009

Le Club des Incorrigibles Optimistes ~ Jean-Michel Guenassia

Albin Michel, 2009 - 756 pages - 23,90€

Au bout du restaurant, en face de moi, derrière les banquettes, la porte au rideau vert. Jacky en sortait avec des tasses et des verres vides. Je me suis renfoncé dans le coin. Il est passé sans me voir. Un homme mal rasé avec un imperméable élimé et taché a disparu derrière la tenture. Que faisait-il dans cette tenue en cette saison ? Il n'avait pas plu depuis des semaines. Mû par la curiosité, j'ai écarté le rideau. Une main malhabile avait inscrit sur la porte : Club des Incorrigibles Optimistes. Le coeur battant, j'ai avancé avec précaution. J'ai eu la plus grande surprise de ma vie. J'ai pénétré dans un club d'échecs. Une dizaine d'hommes jouaient, absorbés. Une demi-douzaine suivaient les parties, assis ou debout. D'autres bavardaient à voix basse. Des néons éclairaient la pièce ouvrant par deux fenêtres sur le boulevard Raspail. Elle servait aussi de débarras au père Marcusot qui y rangeait des guéridons, des chaises pliantes, des parasols, des banquettes trouées et des caisses de verres. Deux hommes profitaient des fauteuils pour lire des journaux étrangers. Personne n'a remarqué mon entrée.

La surprise, ce n'était pas le club d'échecs. C'était de voir Jean-Paul Sartre et Joseph Kessel jouer ensemble dans l'arrière-salle enfumée de ce bistrot populaire. Je les connaissais par la télé. C'étaient des gens célèbres. J'étais fasciné. Ils rigolaient comme des collégiens. Je me suis souvent demandé ce qui pouvait faire autant rire Sartre et Kessel. Je ne l'ai jamais su. Imré, un des piliers du Club, affirmait que Sartre jouait comme une patate. Ça les faisait marrer. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, sur le pas de la porte, à les regarder. Aucun d'eux n'a fait attention à moi.

*-*-*-*-*-*

 

Le_club_des_incorrigibles_optimistesEst-ce de la folie ou de l'inconscience ? 756 pages, rendez-vous compte ! C'est énorme.

Mais est-ce que cela vaut le coup ? Oui, heureusement. J'ai été surprise moi-même d'être embarquée dans cette histoire, après un simple coup d'oeil à la quatrième de couverture, j'imaginais davantage un roman politique ou s'y approchant. Que nenni. C'est beaucoup plus touffu.

Paris 1959, Michel Marini vient de fêter ses douze ans en famille. L'ambiance est explosive, chez les Marini on ne rigole pas avec les mathématiques, le communisme, la lecture, la guerre et les ambitions. Tout est prétexte à d'innombrables clivages. Heureusement qu'il existe le rock'n roll et le baby-foot pour s'échapper de cette atmosphère étouffante. A l'époque, une seule adresse importait : le Balto, sur la place Denfert-Rochereau. C'est aussi dans l'arrière-salle du bistrot que le garçon découvrira les écrivains célèbres que sont Sartre et Kessel, en plus d'une brochette de réfugiés politiques venus de l'Est.

Le reste ne se raconte pas, tant le roman invite à la découverte, page après page, les portraits défilent, les personnalités émergent, les aventures fourmillent. Oui, c'est une étonnante surprise. Je fais généralement peu de cas des romans acclamés partout, dans la presse etc., mais pour ce livre j'ai eu plaisir de me laisser convaincre par l'enthousiasme des libraires. Banco ! Cette lecture s'est avérée étonnament plaisante et enlevée, avec de belles réflexions sur l'univers de la littérature et du lecteur, pour ne citer que les sujets qui interpellent.
Ce jugement personnel, globalement positif, doit cependant être modéré car j'ai trouvé que c'était aussi très long. Que voulez-vous, ce sont 750 pages d'une logorrhée séduisante, mais qui finissent par peser dans la balance. Que cela ne pénalise pas l'envie ou la curiosité qui vous taraudent, car la lecture ne se montre jamais indigeste, la preuve Gérard Collard s'est senti "désappointé que ce gros livre se lise si vite et ne vous laisse orphelin de tous ces héros".  (son commentaire plus qu'exalté est ICI)

(le libraire nous dit aussi) -> Une époque aux dés pipés, basée sur des mensonges, des illusions, des espoirs bientôt déçus, mais avec des êtres vivants, ou poésie rime avec bagarre. L’humour omniprésent , les blessures vives et douloureuses, la générosité naturelle.

Ah oui, ça fait du bien. C'est un bon roman. Un très bon roman. Il ne faut pas avoir peur de s'y noyer, on remonte toujours à la surface, avec le sourire aux lèvres. C'est vous dire ! ...

26 août 2009

Mon enfant de Berlin ~ Anne Wiazemsky

Gallimard, 2009 - 250 pages - 17,50€

J'ai aimé d'amour ce roman, impossible à expliquer pourquoi, comment, c'est arrivé comme ça, un amour immense qui a gonflé, gonflé... Bonheur absolu. 

mon_enfant_de_berlin

Ce livre raconte l'histoire de Claire Mauriac, ambulancière à la Croix-Rouge française durant la 2nde guerre mondiale. Elle a vingt-sept ans, c'est une très belle femme, issue de la classe bourgeoise et catholique, fille de l'illustre écrivain.

Elle a pourtant le souci de faire oublier son pedigree et voudrait qu'on l'apprécie pour elle. Nous sommes en septembre 44 et depuis quelques mois la jeune femme a le blues. Son boulot à la Croix-Rouge lui plaît, elle n'entend plus rentrer à Paris mais ses fiançailles avec Patrice, prisonnier en Allemagne, l'étouffent.

Entre les lettres qu'elle envoie à ses parents et les extraits de son journal intime, se dessine un portrait en finesse d'une jeune femme en plein épanouissement, elle qui était une petite fille gâtée, choyée, dorlottée, se découvre délivrée des convenances depuis sa récente émancipation.

C'est seulement en partant pour Berlin qu'elle prendra la pleine mesure de son envol, lorsqu'elle fera la rencontre du prince russe, Yvan Wiazemsky, réfugié politique et expulsé de son pays depuis la révolution. Wia est un homme charmant, plein d'entrain, extraverti et drôle, il affiche très rapidement son amour pour Claire. Un tel empressement ferait fuir la plus prude des jeunes filles, mais Claire n'est plus cette jouvencelle parisienne, ou juste un peu. Très attachée à sa famille, elle continue d'écrire des lettres nunuches pour s'attacher le consentement de ses parents, qui jugent sévèrement sa récente toquade.

Le temps file, on parle d'amour, mais pas seulement. Car dans la foulée on suit les activités de la fière équipe du 96 Kurfürstendamm (Rolanne, Mistou, Plumette, Olga, Leon de Rosen...). Ils sont jeunes, ils vivent à Berlin les plus belles années de leur vie, les plus intenses. Ils ont le désir fou d'oublier les souffrances de la guerre, d'aider les autres. Rechercher les personnes disparues, les retrouver, les sauver devient un idéal à la hauteur de leurs exigences. D'office, le lecteur les adopte. Il les aime d'une amitié forte et indéfectible.

Et puis il y a cet amour entre Claire et Wia. « Un amour qui nous éblouissait, qui rejaillissait sur nous et qui nous soudait tous ensemble. Quelque chose qui nous rendait incroyablement heureux et solidaires de leur bonheur. ». Cette romance au coeur d'un quotidien plus morose devient la touche qui illumine le texte. Tout ce qui a trait à la guerre et ses conséquences ne s'avère pas barbant ou rédhibitoire. Bien loin de là. C'est un ensemble. Le lecteur se sent immédiatement intégré à l'histoire, et particulièrement à l'équipe du 96 Kurfürstendamm, comme s'il partageait leur routine, leur mission, leurs heures de gloire, de faiblesse. C'est totalement prenant.

Mon enfant de Berlin est une parenthèse enchantée, l'histoire d'un amour fou vécu à un moment incrusté dans le temps, la solidarité d'un groupe et leur amitié soudée dans la communion d'une même vocation - aider les autres, oublier les heures sombres. C'est un très, très beau roman, le cadeau d'une fille pour ses parents, car c'est elle, Anne, l'enfant de Berlin. Livre après livre, elle nous raconte son incroyable destin romanesque, sans déballage impudique, et c'est tout bonnement admirable.
J'aime infiniment.

Ce billet est dédié à Alice.

Nota Bene :

Comme une ombre bienveillante, on retrouve bien évidemment la figure paternelle. Oui, celle de François Mauriac. J'ai notamment aimé cette petite phrase, chuchotée avec tendresse, débordante de complicité : « Je suis content que tu l'épouses, lui saura te rendre heureuse. C'est que tu es difficile, ma petite fille, très difficile... »   

 

 

23 août 2009

Une année étrangère ~ Brigitte Giraud

Stock, 2009 - 208 pages - 17€

une_annee_etrangereJuste une précision avant de présenter ce roman de Brigitte Giraud, évitez de lire la quatrième de couverture qui raconte TOUT le roman. Je n'ai pas saisi le but...
Ensuite, si vous pouviez lire ce roman en écoutant en musique de fond Seventeen seconds de The Cure, ce serait parfait ! Totalement dans l'ambiance.
De quoi ça parle, donc ?
Laura, une française de 17 ans, part en Allemagne, dans la ville de Thomas Mann, en tant que jeune fille au pair. Elle est accueillie chez les Bergen, le couple et ses deux enfants. Tout semble extraordinairement calme et tranquille chez eux, ça repose et ça change. La française vient de quitter une famille brisée, à la maison l'atmosphère est étouffante, chacun se rejette la faute de la mort de Léo, le petit frère de Laura. Elle-même a beaucoup de mal à soulager sa peine, à exprimer la douleur de ce deuil brutal. Elle a préféré fuir et se plonge dans le quotidien d'une famille allemande, au mode de vie totalement opposé du sien.
Tout est lent, étrange sur le long terme. Laura se sent maladroite et encombrée de son inaptitude. Elle ne parle pas un allemand fluide, elle n'arrive pas à se faire comprendre ni à comprendre les autres. L'ennui s'installe, comme elle le décrit si bien, tout devient mélancolique et sans relief.
Tout doucement, Laura s'installe donc dans une routine, elle dépose la petite fille devant la navette scolaire, elle épluche des pommes de terre et cuisine des gratins dauphinois, elle se rend au supermarché ou à la bibliothèque, elle lit La Montagne magique de Thomas Mann, elle promène le chien tous les soirs, elle étend le linge, elle repasse. Le soir, elle écrit de longues lettres à son frère Simon.
Les échanges avec les Bergen restent rares et bredouillants. Toutefois, l'ordinaire de cette famille commence à se fissurer. Laura s'en rend compte, et c'est avec son consentement tacite qu'elle coule avec eux dans la tragédie qui va les frapper.
A croire que le malheur des autres va réveiller cette jeune fille endormie, anesthésiée par sa propre affliction.

Une année étrangère est un roman qui peut paraître bien amer et morose. Il ne faut toutefois pas s'arrêter à cette impression, l'histoire dresse le portrait d'une jeune fille vidée, passive, qui a largué les amarres et espère être détournée de son passé pour mieux supporter son présent.
Elle s'est coupée de tout - du noyau familial, de sa langue maternelle, de son rythme de vie, de son apparence aussi. Même son propre corps lui semble étranger.
C'est lent, c'est sombre, c'est étrange. Je ne vous dis pas le contraire.
Pourtant c'est aussi un livre intéressant, qui parle de la fin de l'adolescence, du passage vers l'âge adulte, avec coups et blessures, qui ne se voient pas forcément. Cela parle du déracinement, de la perte et de la douleur, on sent perpétuellement la frontière entre la vie et la mort à travers le récit de la narratrice, mais non, non, ce n'est pas du tout morbide, c'est juste le cheminement nécessaire pour sortir du deuil. Puiser le mal jusqu'à la racine (Laura va aller jusqu'à lire Mein Kampf).
Et il faut placer l'histoire dans un décor allemand, frappé par l'isolement, le ciel gris, le froid, la pluie pour comprendre qu'il règne dans ce livre un sentiment de dénuement en plus de la désolation.
Je conçois que tout ceci semble empreint de désespoir, et c'est vrai que ce n'est pas un livre très rigolo ni léger.
Toutefois je ne l'aurais loupé pour rien au monde, parce que j'aime les livres de Brigitte Giraud, avec des hauts et des bas, comme pour tous les auteurs que j'apprécie et que je suis fidèlement. Chaque rendez-vous n'est pas systématiquement gagnant, mais c'est aussi ce qui rend le challenge excitant.

lire les premières pages sur le site de L'Express

 

18 août 2009

Le prisonnier ~ Anne Plantagenet

Stock, 2009 - 140 pages - 14,50€

le_prisonnier« Elle est l'institutrice. Elle a dix-neuf ans. C'est un sale coup, une affreuse plaisanterie. Elle était faite pour la beauté, la musique de Beethoven, la cuisine du terroir, les promenades dans les champs, pas dans les forêts, qui l'oppressent, Julia, il lui faut du vaste, du large, de l'étendu. Elle aimait la danse et les fleurs blanches, l'amour à la hâte, l'amour urgent, impératif et pressé, ça ne l'a jamais gênée qu'Abel la prenne debout ou sur un coin de table, à l'animal, les manières Julia les laisse aux dames des grandes villes. Et Abel n'avait rien contre. C'était un homme précieux dans ses manières, sa bonne éducation, le soin qu'il mettait à plaire le trahissaient à chaque mot. Maître de son langage. Son corps, en revanche, démasquait sa vraie nature de jouisseur, de possédé des sens. Son corps faisait de lui ce qu'il voulait. Et en Julia avait déniché son jouet. Julia était son instrument, accordé, prêt à l'emploi. Abel lui apprend l'abandon total, le maniement des cordes et la frappe des touches. Abel l'aimait, Julia était sa chérie, il l'appelait mon ange, disait je suis ivre de toi, tu me rends fou, malade, ma douce, ma diablesse, mon démon. Et rien ne pouvait les séparer. Julia n'a pas compris le mal qu'il lui a fait, irréparable. Des mois plus tard, elle n'a toujours pas compris. »

C'est la nuit. Julia est tirée de son lit par une bande de gamins du village, excités d'avoir mis la main sur celui que l'on surnomme Papa. Cet homme est traqué depuis des mois, il vient d'être arrêté, salement amoché, il attend dans une salle de classe. Julia s'en moque, de Papa ou des gamins. Au fond d'elle, c'est une jeune femme qui souffre, qui hurle et qui boit du cognac pour chasser ses démons. La faute à la douleur causée par une séparation, qu'elle porte en elle et qui la rend folle. Folle de rage.
Face au dénommé Papa, elle est dégoûtée. Malgré elle, elle lui sert à boire et à manger, entame une discussion, découvre quel genre d'homme il est. Papa aussi avait une femme, qu'il a quittée. Et ceci ne gagne pas son indulgence, elle se répète qu'il est un monstre à l'apparence humaine, et à travers lui c'est son mal d'Abel qu'elle ressent et qu'elle reçoit en pleine face.
« La colère la tire de l'enfouissement où la plonge la tristesse, c'est son mérite. Pour le reste, Julia en a une trouille bleue. Elle a découvert chez elle une zone insoumise et impossible à contrôler, qui la métamorphose en une créature déchaînée, délirante, rongée par la souffrance et l'effarement. »
Entre Julia et Papa, ce sont finalement deux bêtes traquées et affolées qui se rencontrent. De cette nuit insensée, survivra le plus fort. Celui qui aura sauvé sa peau. Que ce soit par la rédemption, la mort et une autre vie possible.

Un roman terriblement oppressant, qui dégage urgence et sursis, et crée un sentiment d'inconfort et de tension. On ne sait pas où et quand se passe l'histoire, mais peut-être les dernières pages dénoncent le genre de régime politique d'absolutisme qui sévit dans les pays sud-américains. Toutefois le propre de l'histoire dénonce essentiellement la folie d'une femme, affligée par une rupture amoureuse.
Je ne vous cache pas que ce roman m'a laissée bien perplexe.

du même auteur : Seule au rendez-vous (robert laffont, 2005), un très beau roman mettant en scène Marceline Desbordes-Valmore.

en librairie le 19 août.

 

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