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Chez Clarabel
gallimard
4 septembre 2009

Les mains rouges ~ Jens Christian Grondahl

Gallimard, 2009 - 204 pages - 14,90€
traduit du danois par Alain Gnaedig

les_mains_rougesVous passerez la quatrième de couverture qui vous raconte tout le roman, comme Une année étrangère de Brigitte Giraud. C'est un choix de l'éditeur, qui me laisse légèrement sceptique.
"Les Mains rouges" est un roman sur le passé, la culpabilité et le pardon. Cela commence avec la rencontre entre le narrateur et une femme prénommée Randi dans la gare de Copenhague, en 1977. Cette femme lui confie la clé d'une consigne et disparaît sans laisser de traces. Peu de temps après, le type la retrouve, découvre qu'elle porte une fausse identité et la voit de nouveau s'échapper dans la nature.
Des années vont passer, chacun a fait sa vie jusqu'au jour où l'homme la croise par hasard dans la rue. Les secrets de Randi n'ont jamais cessé de hanter le narrateur qui se montre impatient et de plus en plus séduit par cette femme troublante.
Très vite, on apprend qu'elle fuit un passé qui la hante et la terrorise, elle craint le retour de fantômes venus lui réclamer des comptes, et cela va se confirmer.
Je n'ai pas franchement adhéré à cette histoire, pas su cerner la finesse des ambiances propres aux romans de Grondahl (qu'on surnomme pompeusement le Modiano danois !). A vrai dire, je me suis singulièrement ennuyée. 
Ce cru 2009 n'a pas, selon moi, l'étoffe d'un Piazza Bucarest ou d'un Bruits du coeur, deux autres romans de l'auteur que je recommande chaudement.

l'avis de la librairie Mollat 

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26 août 2009

Mon enfant de Berlin ~ Anne Wiazemsky

Gallimard, 2009 - 250 pages - 17,50€

J'ai aimé d'amour ce roman, impossible à expliquer pourquoi, comment, c'est arrivé comme ça, un amour immense qui a gonflé, gonflé... Bonheur absolu. 

mon_enfant_de_berlin

Ce livre raconte l'histoire de Claire Mauriac, ambulancière à la Croix-Rouge française durant la 2nde guerre mondiale. Elle a vingt-sept ans, c'est une très belle femme, issue de la classe bourgeoise et catholique, fille de l'illustre écrivain.

Elle a pourtant le souci de faire oublier son pedigree et voudrait qu'on l'apprécie pour elle. Nous sommes en septembre 44 et depuis quelques mois la jeune femme a le blues. Son boulot à la Croix-Rouge lui plaît, elle n'entend plus rentrer à Paris mais ses fiançailles avec Patrice, prisonnier en Allemagne, l'étouffent.

Entre les lettres qu'elle envoie à ses parents et les extraits de son journal intime, se dessine un portrait en finesse d'une jeune femme en plein épanouissement, elle qui était une petite fille gâtée, choyée, dorlottée, se découvre délivrée des convenances depuis sa récente émancipation.

C'est seulement en partant pour Berlin qu'elle prendra la pleine mesure de son envol, lorsqu'elle fera la rencontre du prince russe, Yvan Wiazemsky, réfugié politique et expulsé de son pays depuis la révolution. Wia est un homme charmant, plein d'entrain, extraverti et drôle, il affiche très rapidement son amour pour Claire. Un tel empressement ferait fuir la plus prude des jeunes filles, mais Claire n'est plus cette jouvencelle parisienne, ou juste un peu. Très attachée à sa famille, elle continue d'écrire des lettres nunuches pour s'attacher le consentement de ses parents, qui jugent sévèrement sa récente toquade.

Le temps file, on parle d'amour, mais pas seulement. Car dans la foulée on suit les activités de la fière équipe du 96 Kurfürstendamm (Rolanne, Mistou, Plumette, Olga, Leon de Rosen...). Ils sont jeunes, ils vivent à Berlin les plus belles années de leur vie, les plus intenses. Ils ont le désir fou d'oublier les souffrances de la guerre, d'aider les autres. Rechercher les personnes disparues, les retrouver, les sauver devient un idéal à la hauteur de leurs exigences. D'office, le lecteur les adopte. Il les aime d'une amitié forte et indéfectible.

Et puis il y a cet amour entre Claire et Wia. « Un amour qui nous éblouissait, qui rejaillissait sur nous et qui nous soudait tous ensemble. Quelque chose qui nous rendait incroyablement heureux et solidaires de leur bonheur. ». Cette romance au coeur d'un quotidien plus morose devient la touche qui illumine le texte. Tout ce qui a trait à la guerre et ses conséquences ne s'avère pas barbant ou rédhibitoire. Bien loin de là. C'est un ensemble. Le lecteur se sent immédiatement intégré à l'histoire, et particulièrement à l'équipe du 96 Kurfürstendamm, comme s'il partageait leur routine, leur mission, leurs heures de gloire, de faiblesse. C'est totalement prenant.

Mon enfant de Berlin est une parenthèse enchantée, l'histoire d'un amour fou vécu à un moment incrusté dans le temps, la solidarité d'un groupe et leur amitié soudée dans la communion d'une même vocation - aider les autres, oublier les heures sombres. C'est un très, très beau roman, le cadeau d'une fille pour ses parents, car c'est elle, Anne, l'enfant de Berlin. Livre après livre, elle nous raconte son incroyable destin romanesque, sans déballage impudique, et c'est tout bonnement admirable.
J'aime infiniment.

Ce billet est dédié à Alice.

Nota Bene :

Comme une ombre bienveillante, on retrouve bien évidemment la figure paternelle. Oui, celle de François Mauriac. J'ai notamment aimé cette petite phrase, chuchotée avec tendresse, débordante de complicité : « Je suis content que tu l'épouses, lui saura te rendre heureuse. C'est que tu es difficile, ma petite fille, très difficile... »   

 

 

8 juillet 2009

Le dieu des animaux ~ Aryn Kyle

le_dieu_des_animauxJ'ai craint l'ennui en parcourant les premières pages de ce roman, perdue dans l'univers des chevaux, au coeur d'un ranch en plein désert du Colorado, où une vie rude et proche de la misère est racontée en des termes simples mais captivants. Il faut dire que l'histoire d'Alice Winston, treize ans, devient vite attachante. La jeune fille est coincée avec son père depuis la fugue de sa soeur aînée, qui s'est mariée avec un cowboy. C'était elle, Nona, le bras droit, la cavalière émérite, la star locale. Leur mère aussi a connu son heure de gloire, mais elle a sombré dans un état léthargique qui la cloue au lit du matin au soir. Et Alice n'est pas tendre avec la maladie de sa mère, avec l'odeur que son corps dégage, ni envers sa mollesse, ses idées folles. Tout ennuie Alice, même de travailler comme une acharnée dans les écuries. Elle rêverait d'une vie d'ado ordinaire, elle envierait presque Sheila Altman, une fille à maman qui vient prendre des leçons d'équitation, et qui mène une vie précieuse et confortable. Très loin de ce que connaît Alice.
Un jour, la disparition d'une camarade de classe, Polly Cain, et la découverte de son corps dans le canal voisin par le propre père d'Alice, vont l'amener à se créer une autre vie. Elle va rencontrer son professeur d'anglais, prétendre être la meilleure amie de Polly, inconsolable et terriblement seule, lui téléphoner très régulièrement en lui racontant mensonges sur mensonges. A partir de là, Alice va s'enfermer dans un univers qui l'éloignera de sa réalité, alors même qu'elle aspirait déjà fortement à partir, dans sa tête ou pour de vrai. Tout, plutôt que croupir dans ce ranch qui la rend folle. Folle d'ennui et de désespoir.
C'est un roman troublant, qui n'est pas tendre, et où l'espoir n'a pas droit de cité, et pourtant quel roman envoûtant ! On y ressent toute l'âpreté des personnages et des décors. Car c'est un roman violent, terrassant, captivant et suffocant. D'une beauté sombre et poignante. Un peu lourd avec ses passages sur le monde des chevaux, il n'en demeure pas moins habile à dévoiler une peinture du tragique sur l'adolescence et la difficulté de se tailler une part dans un monde où on ne trouve pas sa place.
Brillant, et singulièrement fascinant !

Gallimard, 2009 - 415 pages - 25€

traduit de l'anglais (USA) par Anne-Laure Tissut

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3 mars 2009

Tu devrais voir quelqu'un - Emmanuelle Urien

41eYAzyiDKL__SS500_Sarah, trente-quatre ans, célibataire, a une passion : l'écriture. Mais jusqu'à présent ses écrits sont raillés, détestés, jetés et cachés. Personne ne peut juger. Et puis un matin, elle se réveille et trouve un homme, assis, immobile, chez elle. Il ne parle pas. Il porte un chapeau et un complet usé. Qui est-il ?

Personnage à la recherche de son auteur ! Voici un peu comment résumer ce livre impossible à raconter. Avec ce premier roman, Emmanuelle Urien (qui n'avait publié que des nouvelles) s'essaie à un exercice difficile, celui de la création littéraire. Le résultat donne une lecture étrange, où la folie et la violence se donnent la main. L'intrigue est brillante et sordide à la fois, l'humour grinçant, et la fin totalement inattendue. Le lecteur est manipulé, mais par qui, c'est une question qu'on se pose longtemps.

(version courte) 

Gallimard, 2009 - 166 pages - 15,90€

le non-blog d'emmanuelle urien : http://www.emmanuelle-urien.org/Tantpisjelaisse/

3 mars 2009

Tu devrais voir quelqu'un - Emmanuelle Urien

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(version bavarde)

Au début, cela ressemble à une histoire gentille et convenue, qui en rappelle d'autres. On y découvre Sarah, trente-quatre ans, célibataire. Elle est amoureuse du mari de sa meilleure amie. Et elle écrit, beaucoup. Des griffonnages qui la laissent mécontente et insatisfaite. Qui parfois finissent en miettes dans le bain. Avalés par les égouts. Elle est comme ça, Sarah. Sauvage, entière, exaltée et secrète. Car ses écrits sont personnels, ils remplissent son jardin dont la porte est bien verrouillée.

Et puis un matin, Sarah se réveille et trouve un homme, assis, immobile, chez elle. Il ne parle pas. Il porte un chapeau et un complet usé. Qui est-il ? Elle est seule à voir cette ombre, elle jure qu'elle n'est pas folle, elle préfère se croire malade et supplierait presque que la médecine lui trouve une tumeur pour lui curer le cerveau et lui ôter cette tâche qui l'indispose. Son entourage s'inquiète, le comportement de Sarah a changé. Elle fait peine à voir, elle est incohérente et fuyante. Elle refuse les coups de téléphone, ne répond plus à son amie et fait une croix sur son amant.

Quand elle comprend l'utilité de l'homme en noir, elle choisit son arme : un papier, un crayon. Il faut qu'elle aille au bout, il faut qu'elle écrive pour vivre. Pour survivre. C'est une façon de revisiter le mythe de Prométhée, une créatrice bordeline et sa créature incontrôlable, un rapport malsain, qui rend chèvre. Un truc de zinzin.

On a depuis longtemps dépassé le cadre strict de la bluette sympathique et déjà lue, on pénètre dans l'antre de la folie, et la violence a pris le pas. C'est bien assis et les yeux hallucinés qu'on lit cette intrigue, tantôt sordide, tantôt brillante. L'humour y est grinçant. La tromperie, énorme. On casse sans cesse les contours, les repères deviennent flous... il faut reprendre son souffle, ne pas s'attacher, mais se détacher et tuer. Au centre, c'est la mare aux canards. Ils se débattent tous, ils veulent vivre, ils réclament un bout d'existence, ils hurlent, ils sourient, ils s'aiment ou se quittent. Il n'y a toutefois qu'un maître à bord, quel est-il ? le lecteur ? l'auteur ? le personnage ? Qui manipule qui ?
A vous de le découvrir ! 

Gallimard, 2009 - 166 pages - 15,90€

le non-blog d'emmanuelle urien : http://www.emmanuelle-urien.org/Tantpisjelaisse/

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20 février 2009

Vue Mer - Bernard du Boucheron

 

4190g_2B6N9TL__SS500_L’histoire se passe à Cala Porcx, misérable bourgade de pêcheurs, entourée de montagnes presque infranchissables. Tout n'est que misère, puanteur, accablement et archaïsme.

Dans ce cloaque infernal s’épanouit, fleur poussée sur du fumier, la jeune Almira, convoitée par tous les hommes et qui ne cède à aucun. Elle dit aimer le Crieur, un pauvre hère qui n'a plus toutes ses dents et qui sent, pour ne pas appartenir à Onofrio, fou d'elle, de sa beauté et prêt à pardonner son effronterie. Elle a seize ans, des jambes fines, et vit avec sa duègne de tante. Le mariage sera célébré, en une mise en scène macabre. « Elle était en noir, le front ceint d'une couronne de ronces en fleur. Un peu de sang perlait à la racine du nez. » Mais Almira n'a pas abdiqué. Son imagination pour ne pas consommer ce mariage sera diabolique. 

Jusqu’au jour où Cala-Porcx est attaquée par des pirates, qui s’emparent des maigres biens des pêcheurs et de la belle Almira. Le drame se noue alors entre Onofrio, prêt à tout pour récupérer sa belle, et un mystérieux navigateur vêtu de blanc.

La fin du roman montre Cala Porcx devenue station touristique, vendue à prix d'or par les escrocs immobiliers, car la réalité est bien amère, cauchemardesque pour les vacanciers. C'est le cas de la famille Von qu'on suit dans sa découverte du terrain, le moral sapé. On y retrouve aussi une jeune Almira, son mari Onofrio et un étranger vêtu de blanc, Isaac l'Ange. Autres temps, autres moeurs mais enfer comparable.

Alléchant résumé qui, pourtant, n'apporte pas beaucoup l'espoir promis.
C'est âpre, crasseux et dur comme du roc. A Cala Porcx, on ne porte pas de chaussures, on marche pieds nus sur la rocaille. On n'envie pas les riches car il n'y en a pas. Les mariages ressemblent à des funérailles. Il n'y a pas d'amour dans les unions. Les femmes ont la bouche ouverte pour vendre le produit de la pêche, sans quoi leur place est de se tenir debout derrière l'homme. Ombre discrète. Seule la belle Almira resplendit dans ce bourbier, mais sa beauté ne fait qu'aggraver son cas. Car ce que nous raconte ce roman, derrière son décor de damnation, c'est bien un drame passionnel. Un homme épris devient fou de jalousie d'être trompé par l'objet de ses désirs...
C'est aussi une histoire sur la folie des hommes, au coeur de l'enfer, écrit sans mépris mais avec beaucoup d'amertume. Cela devient progressivement un vrai calvaire, un peu étouffant, car trop rude. Sans espoir. Juste, apocalyptique.

Gallimard, 2009 - 213 pages - 17,50€ 

16 janvier 2009

Au Bon Roman - Laurence Cossé

Des agressions successives, des victimes qui rapportent des faits hallucinants, des témoignages sur la présence de deux individus, et cette phrase « c'est pas du bon roman, hein? pas bon du tout », voilà comment tout débute. Pour Van le libraire parisien, c'est plus qu'un message, c'est une menace. Il avise aussitôt Francesca, son associée, pour porter l'affaire devant un policier érudit et passionné de littérature, Gonzague Heffner.

Tout a commencé avec l'idée d'ouvrir la librairie idéale, celle où on ne trouverait que les bons romans. Van et Francesca ont préféré confier à un comité d'auteurs contemporains, soit huit écrivains qui garderaient leur anonymat et prendraient un pseudonyme pour toute intervention, d'établir une longue liste de références incontournables. Ainsi naquit Au Bon Roman. L'entreprise est belle et honorable, elle connaît un franc succès dans le trimestre qui suit sa création. Puis, vient l'attaque. Elle est sourde, mesquine et laide. Elle se glisse parmi la clientèle, s'étale dans la presse et crée un débat vain. Que sont les bons romans ? Francesca et Van ont paré tous les coups, jusqu'à l'agression de trois de leurs grands électeurs. On ne joue plus dans la même cour. Ils pensaient accuser « un sous-ensemble de personnes qui ont en commun de considérer le livre comme quelque chose qui peut rapporter gros et la littérature comme un formidable filon », mais ils réalisent que l'ennemi est coriace, et deviennent amers à force de voir leur honnêteté traîner dans la boue. 

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Laurence Cossé signe un excellent roman qui débute comme une enquête littéraire, et se poursuit dans l'amour des livres, dans les pas de deux passionnés emportés dans leur tourbillon de projet fou, avant de sombrer lourdement dans la triste réalité. Après un démarrage sur les chapeaux de roue, portée par l'exaltation d'une intention louable, l'histoire va effectivement devenir plus profonde, passant de l'angoisse du débutant qui veut bien faire au revers de la médaille et la rançon du succès, révélant au passage les coulisses du monde des libraires et les rouages de la presse, de l'édition etc. Petit à petit, l'histoire s'appesantit. L'excitation du début s'est éteinte, les protagonistes sont usés, moins pêchus. Mais cela reste toujours incroyablement beau, touchant car sincère.

Parce que loin des tracas de gestion et d'organisation, s'inscrit aussi dans ce roman une très belle histoire d'amour. Enfin, n'hésitons pas à évoquer l'amour au pluriel. Ce sentiment est partout, derrière chaque étagère ou pile de livres. Il y a tout d'abord la relation si particulière entre Van et la jeune Anis, rencontrée au hasard dans le sous-sol de sa librairie de fortune, à Méribel. Mais aussi la belle amitié entre Van et Francesca, cette femme superbe, grande, mystérieuse, qui traîne un chagrin lourd comme deux valises pleines à craquer. Et enfin, il y a l'amour des livres, de la littérature. Tout court. C'est à travers la belle utopie du Bon Roman, une librairie de rêve et faite pour rêver, qu'on retrouve ce sentiment qui nous entraîne vers un être ou une chose.

En bref, c'est un bon roman, oui un très bon roman digne de ce nom. 

Gallimard, 2009 - 497 pages - 22€   

A votre tour, quels sont les bons romans que vous rangerez dans la librairie idéale ?

25 novembre 2008

A bonne école ~ Muriel Spark

Dans son roman, Muriel Spark se moque avec allégresse des écoles privées, généralement des établissements étudiés pour accueillir la crème des étudiants fortunés, un brin oisifs, pour passer le temps à apprendre des leçons sur le "comment faire" en société ou les ateliers d'écriture ! Dans "A bonne école", le professeur de creative writing, Rowland Mahler se voit en peine d'appliquer le b.a-ba de son enseignement puisqu'il vit un véritable blocage littéraire ! Incapable d'aligner une phrase, une idée ! Son roman est au point mort. Chose encore plus cruelle : son étudiant Chris Wiley, jeune rouquin de dix-sept ans, plein d'assurance et d'insolence, le nargue avec son opulent roman historique !...

Muriel Spark est très féroce. Dans sa vision des établissements privés (celui de Sunrise, pour la présente), elle tourne en ridicule ses dirigeants, le couple Mahler, Rowland et Nina, les étudiants, fils à papa, bouffis d'orgueil et de loisirs insignifiants, les quelques employés, pour tenir le budget au plus serré, bref une petite communauté très libérée, tous solidaires et désoeuvrés. Quand le conflit éclate entre l'enseignant et l'étudiant, un conflit vicieux et sournois, chacun prend son parti : car entre Rowland et Chris l'abnégation est totale ! Effarante, même. C'est une obsession réciproque, hallucinante et imbuvable. L'épouse prend un amant, l'élève appelle au crime et l'écrivain maudit songe au massacre !...

Car également dans ce dernier roman, Muriel Spark se moque des écrivains et de leur travail de concentration (isolement dans un monastère, manuscrit sous verrous), du cauchemar de la page blanche, du plagiat, de la fantaisie romanesque etc.. Muriel Spark se régale, en tant que lecteur on le ressent ! Pourtant, son épilogue a quelque goût amer, un sentiment de fin hâtive et bâclée. 

lu en 2005 - Gallimard, traduit par Claude Demanuelli

4 septembre 2008

Qui touche à mon corps je le tue - Valentine Goby

C'est une histoire qui ne laisse pas deviner sa violence, et pourtant son thème est lourd, dangereux, sulfureux : les faiseuses d'anges. Valentine Goby a choisi d'en toucher quelques mots, avec sa grâce exemplaire et son allure sophistiquée. Elle ne crache pas les mots, elle les couche sur papier. Avec délicatesse. Elle bichonne ses personnages, qui sont trois : Marie G. qui attend sa condamnation, Lucie L. qui a avorté et Henri D. le bourreau "qui n'existe que les matins d'exécution par le dégoût des autres et l'horreur qu'il inspire".

C'est par ellipse que l'auteur procède en cherchant à élargir le procès muet qui tient lieu dans l'esprit de l'opinion publique. Elle glisse sa plume d'un caractère à l'autre, sans frémir ni flancher. Elle se met dans la peau de "la blanchisseuse des corps", celle qui "gomme les taches disgracieuses, au point de passage entre la vie et la mort" ou elle fait corps avec celle qui a été "faible ou juste pas avertie", celle qui a voulu ce rapt d'elle-même. Chaque personnage porte sa croix, on le soupçonne et l'apprend au fur et à mesure. Cette histoire n'est d'ailleurs pas sans rappeler le film de Chabrol, Une Affaire de femmes, que je vous recommande également.

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Ce qui ressort de ce livre, c'est son intensité. C'est vibrant d'émotion, certains passages flirtent avec la rage, l'impuissance et la frustration. On retrouve d'ailleurs la même écriture éprouvée dans L'échappée, son précédent roman. Une nouvelle fois, donc, Valentine Goby se penche sur la destinée des femmes, durant la guerre. Après celles condamnées pour avoir reçu et/ou donné du plaisir durant cette époque mouvementée, voici les faiseuses d'anges qui connaîtront une sentence sans appel sous le gouvernement de Vichy. On graciait des pédophiles, mais on envoyait à la guillotine celles qui voulaient se substituer à la décision divine (sic) !

Valentine Goby ne verse jamais dans le pathos, elle expose des éventualités, brise les tabous et elle montre les silences, les injustices. Il y a aussi un refus de la fatalité derrière les personnages, et un aspect froid et clinique chez Henri D. qui parfois donne des frissons - mais l'homme est humain, on découvre ses failles et cela ne nous laisse pas indifférent. Les deux femmes sont également touchantes, à leur façon. Ce ne sont pas des criminelles, mais elles ont posé pour la postérité avec ce statut. C'est glaçant et c'est fort. On ne peut demeurer insensible à ce genre de lecture.

"(...) faut-il cesser de penser, de sentir, ou bien cette torture en vaut la peine parce qu'à la fin, peut-être, il y a une promesse de bonheur, ce que j'entrevois du bonheur, une sorte de plénitude où coexistent mon corps ma voix ma tête dans une seule enveloppe palpitante, et tout bat en même temps ? Ai-je raison de vouloir ? D'espérer ?"

Gallimard, août 2008 - 137 pages - 13,90€

 

 

31 juillet 2008

Le coeur cousu - Carole Martinez

Aux confins de toute civilisation, Santavela est un village du Sud de l'Espagne où la population, qui aime les habits noirs et les processions religieuses, foule ce terrain poussiéreux en cancanant à gorge déployée. Les histoires de bonnes femmes sont légion dans cette contrée, les mêmes que cultivent Frasquita et sa mère (le premier sang, le Carême de l'initiation, la boîte aux secrets qu'il faut enterrer pour découvrir son trésor...), que de lubies douces et tendres, moqueuses mais attachantes !  Très vite, la jeune fille se découvre un don dès que ses doigts touchent une aiguille et du fil : Frasquita coud et communique son talent de magicienne. Ou de sorcière. Dans ces contrées reculées, on ne sait jamais...

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Mariée à seize ans, Frasquita va pénétrer un foyer gentil mais pas folichon, avec un mari qui perd la boule après la naissance du premier enfant, Anita. José devient coq, il s'enferme dans le poulailler et n'en bouge plus. Lui, le forgeron, n'a plus toute sa tête dès que sa femme accouche... et que des filles ! Frasquita implore les sagesses, Blanca et Maria, autrement dit les femmes qui aident, pour lui trouver des décoctions miraculeuses qui lui donneront un fils. Et un soir de lune rousse, Frasquita avale et fait ses prières, neuf mois plus tard Pedro el Rojo pousse ses cris de braillard... c'est un rouquin ! (Les villageois se défoulent...)

Ce sont des cocasseries de la sorte qui sévissent dans cette saga familiale. Du pas banal, du poilant, des racontars, les splendeurs et décadences chevillés au corps de Frasquita Carasco. L'histoire est racontée par la dernière de la famille, Soledad. Elle possède une grâce qui fait tournebouler la tête des garçons, mais la belle ne peut choisir de prétendant et en fait état à son aînée. A sa naissance, sa mère a lu sa solitude à venir. Ni donner, ni recevoir, jamais elle ne saura. Soledad. Le soir venu, forte de sa constation, la jeune femme prend un cahier et une plume pour écrire l'histoire de sa mère : "Il me faut t'écrire pour que tu disparaisses, pour que tout puisse se fondre au désert, pour que nous dormions enfin, immobiles et sereins, sans craindre de perdre de vue ta silhouette déchirée par le vent, le soleil et les pierres du chemin. (...) Il me faut te tuer pour parvenir à mourir... enfin."

Revenons à nos moutons. Frasquita a été jouée et perdue par son mari lors d'un combat de coqs. Elle craque pour l'inconnu et choisit de tout quitter, la voilà condamnée à l'errance à travers l'Andalousie que les révoltes paysannes mettent à feu et à sang, suivie de ses marmots eux aussi pourvus - ou accablés - de dons surnaturels... Et l'histoire continue de rouler sur le sol rocailleux, de s'ébrouer tel un troupeau de chevaux sauvages. Farouche et indomptable, ce roman l'est totalement. D'ailleurs, son contenu va au-delà du romanesque, c'est plus flamboyant, grandiloquent. Une fresque familiale avec ses joies et ses peines, des chapitres courts mais magiques, car on ne m'enlevera pas l'idée qu'un petit génie a mis sa touche dans ce livre-là... Chaque personnage aurait mérité un livre à lui tout seul, tant leur destinée est à chaque fois époustouflante.

Il y a aussi du conte, de la fable, des légendes... On y croise un ogre, un homme qui sent l'olive, un bébé lumineux (ou solaire), des femmes qui aident, une prostituée au grand coeur, un chien jaune et un coq rouge (j'en oublie). C'est aussi un livre qui parle des mères (et des filles), de la transmission, du sang, des prières. C'est fou, sensuel, pittoresque, paré de mille couleurs, éclatant de poésie, violent. C'est long, mais bon.

Le Coeur Cousu - Carole Martinez (premier roman)

Gallimard, février 2007 - 430 pages - 23€

Couronné d'une floppée de récompenses et de prix (Ouest France Etonnants Voyageurs, Emmanuel Roblès, Renaudot des lycéens...)

Le livre est tellement bardé de titres qu'un ENORME bandeau rouge - de la taille du livre, en fait - le recouvre, comme suit (je trouve ça un peu laid, par contre) :

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Mais chapeau l'auteur !

 

 

Extrait :  Il arrive qu'on interrompe une promenade, oubliant même ce vers quoi l'on marchait, pour s'arrêter sur le bord de la route et se laisser absorber totalement par un détail. Un grain du paysage. Une tache sur la page. Un rien accroche notre regard et nous disperse soudain aux quatre vents, nous brise avant de nous reconstruire peu à peu. Alors la promenade se poursuit, le temps reprend son cours. Mais quelque chose est arrivé. Un papillon nous ébranle, nous fait chanceler, puis il repart. Peut-être emporte-t-il dans son vol une infime partie de nous, notre long regard posé sur ses ailes déployées. Alors, à la fois lourds et plus légers, nous reprenons notre chemin.

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