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Chez Clarabel
17 août 2009

La femme blessée ~ Caroline Pascal

Plon, 2009 - 256 pages - 19€

la_femme_blesseeVictoire de Clervie, épouse Mornas, découvre la liaison de son mari, Henry. Celui-ci est l'objet de tractations mielleuses faites dans les coulisses du milieu politique. Sa tête est jeté sur le billard, le bonhomme est soudain promu nouveau chouchou et valeur montante, avec poste à l'Elysée à la clef, surtout s'il se débrouille bien. On mise gros, on le jette dans les bras d'une très belle femme qui travaille dans la communication, on a tous les dés en main. La victoire est assurée. Or, ladite Victoire, de son prénom, épouse malheureuse car délaissée, a découvert le pot-aux-roses et ne digère pas la trahison de son Henry Mornas. Il lui faut cependant se taire, ranger son amertume dans un placard fermé à double tour, et faire profil bas, au nom de son appartenance à cette petite noblesse qui serre les fesses et les dents, qui accepte sans sourciller la tromperie en pensant au devoir, aux enfants et au sacrifice. Point barre. Néanmoins, il semblerait qu'un souffle de révolte agite les pensées de Victoire de Clervie, épouse Mornas. Va-t-elle réellement faire preuve de dissidence ? refuser de porter la médaille de la famille, devenue trop lourde et pesante ?
Il s'agit du troisième roman de Caroline Pascal, après Fixés sous verre et Derrière le paravent (lus et appréciés). Un retour attendu depuis 2005 ! Aussi, j'ai été très heureuse de recevoir ce nouveau livre, signé et dédicacé par l'auteur. Avec un clin d'oeil de sa part, chut je n'en dis pas davantage. J'aurais aimé lui rendre un avis amical, hélas je n'ai pas été totalement emballée par La femme blessée. Et j'en suis désolée.
Ce n'est pas que j'ai détesté non  plus, j'ai lu le roman d'une traite et j'y ai retrouvé cette ambiance à la Chabrol, pincée en apparence, tout à fait grinçante une fois le couvert débarrassé. J'ai simplement trouvé l'ensemble très lisse, attendu, pas franchement désagréable, mais trop sage et sans réel cynisme. Je ne sais pas dire... un roman sans grande surprise, qui se lit sans déplaisir.

Lecture notée  3/5.

 

 

 

extrait : « On oublie. Elle, elle n'a rien oublié. Elle est toujours là, terrée au fond d'elle-même, cette part d'histoire qu'elle a cachée. Ne rien dire, ne rien avouer, le meilleur moyen pour oublier. C'est ce qu'elle avait pensé. Pas donner de réalité, d'existence. Juste un souvenir, parce qu'un souvenir, ça s'efface, ça s'estompe. On finit par se demander si ça a vraiment existé. C'était peut-être qu'un fantasme. Peut-être rien. Des gestes en silence, dans le noir, deux êtres qui savent. Pas l'autre, pas le troisième, celui qui aurait besoin de mots, d'explications, de sens. Qui construirait une histoire, avec des fondations, des origines, des raisons. Qui trouverait la fissure, la lézarde inévitable. Qui voudrait replâtrer, une couche d'enduit, trois de peinture et ça se voit comme le nez au milieu de la figure, définitivement. Le silence, ça se voit pas. Jamais. Et pourtant si ; dans sa paume, il est resté un truc, une impression qui ne s'est pas effacée. Elle la sent tous les jours, plus ou moins. Parfois, une petite chatouille, comme un remords. Parfois, un picotement, comme une envie. Mais rien qui mérite d'ouvrir la main. Elle garde le poing serré sur son secret.  »

en librairie le 20 août.

 

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14 août 2009

Bonheur fantôme ~ Anne Percin

Rouergue, coll. La brune, 2009 - 220 pages - 16,50€

bonheur_fantomeC'est une phrase empruntée à Thoreau, dans Walden, qui dit ceci : Si un homme ne s'accorde pas avec ses semblables, c'est peut-être qu'il entend le son d'un autre tambour. Pierre, le narrateur, n'a pas trente ans et a tout quitté. Paris, son job, son amour. Il s'est enterré dans la Sarthe, a acheté une petite maison et s'est improvisé brocanteur. Il a créé autour de lui « un rempart fait de ruines, avec fortifications littéraires, fondations enfantines, tour de guet philosophique, meurtrières ironiques ». Il écrit également une biographie sur Rosa Bonheur, une peintre française, dont la vie a été éclaboussée de frasques amoureuses et de conduites excentriques.
Tout cela sent la planque à plein nez, et ça ne manque pas, on comprend très vite que l'homme fuit un passé obsédant. On saisit quelques bribes, le frère disparu, alors qu'il n'était qu'un enfant, et aussi l'amant perdu, échappé, égaré... Cette histoire avec R. n'est d'ailleurs pas finie. Elle prend même l'aspect d'une chanson répétitive, une rengaine qui va et qui vient, qui raconte l'histoire d'un amour, avec la rencontre, les bons moments, les passages euphoriques et les instants dégrisants, les coups bas, la lâcheté et la cassure.
Ce n'est pas non plus un hasard si la sérénade de Mouloudji, Fantôme de bonheur, est martelée pour faire comprendre la détresse de Pierre, son chagrin, en plus du reste.
Car c'est lui qui est parti, de son plein gré. Et R. n'est pas facile à oublier, c'est un personnage admirable, très beau, avec beaucoup de charme et de mystère. Si ce n'est pas de l'amour dans ce tas de cendres, dites-moi, ça y ressemble très fort !
« Aimer, c'est sentir vivre en soi quelqu'un qui n'est pas soi. Et si je n'étais parti que pour savoir cela ? (...) La certitude que j'ai d'aimer est le seul bien qui me semble immortel. »

En fait, le roman parle d'une reconstruction, pure et simple : Pierre est un jeune homme brisé, traumatisé par la mort de son frère à l'âge de dix ans, trop inquiet sur son avenir et sur ses sentiments, sa peur de s'attacher et d'afficher ses sentiments. Du moins, c'est l'impression qu'il me donne. J'ai trouvé son parcours long et compliqué, son introspection douloureuse. On y trouve, pêle-mêle, « une imagination délirante, un sentimentalisme exacerbé, une sensibilité maladive, le pressentiment d'une destinée d'exception et, à l'égard du frère disparu, un mélange oppressant de culpabilité et de rancune ». Pas étonnant qu'il se sente si proche d'Adèle, la fille de Victor Hugo.

J'ai aimé le roman d'une façon toute particulière et très égoïste, en fait. J'ai notamment apprécié le côté enfermé dans le dix-neuvième siècle du narrateur, comme il se décrit lui-même. Comment il parle des objets anciens, le goût du passé, l'odeur des vieux livres, les photographies, la musique, tout ça et j'en passe. J'ai été moins sensible au monsieur qui fuit ses racines et devient ermite, même si cela se révèle nécessaire pour fouiller son passé d'écorché.

Par-dessus tout, j'ai été absolument séduite par la figure de R. Limite intouchable et irréelle. C'est sans doute le principal fantôme qui hante les pages du livre. R. nous apparaît par petites doses, mais quelle présence ! On en oublie la morosité de la Sarthe, les petites campagnes tristes à pleurer, la vie recluse de Pierre, son ascétisme. Ses cauchemars, ses trouilles, aux oubliettes. Car finalement ce roman nous parle, et ce depuis le début, d'une grande et très belle histoire d'amour, avec une déclaration sublime pour solde de tout compte.

Anne Percin commet avec Bonheur fantôme son premier roman hors de son champ habituel qu'est l'écriture pour la jeunesse, cf. L'âge d'ange, que j'avais beaucoup aimé.

A noter aussi que la vie littéraire du narrateur de Bonheur fantôme a commencé en 2006 avec le roman Point de côté (éditions Thierry Magnier). 

 

lire le 1er chapitre sur le site de L'Humanité

pour écouter la chanson de Mouloudji :

 

* La citation de H.D. Thoreau, en version originale : If a man does not keep pace with his companions, perhaps it is because he hears the beat of a different drummer. (Walden)

 

27 juin 2009

Miel et vin ~ Myriam Chirousse

Empoignant son édredon, Judith le serra si fort dans ses bras qu'il lui sembla que Charles était encore là, dans la tiédeur des draps, contre sa peau, au bout de ses ongles... Emergeant du sommeil comme un noyé refait surface, elle sentit croître en elle une douleur diffuse, comme si sa peau lui faisait mal, comme si ses yeux lui faisaient mal, comme si respirer  et sentir son coeur battre lui faisaient mal aussi. C'était une douleur indéfinissable tapie avec elle dans les limbes de la nuit, une vieille souffrance endormie depuis longtemps, un manque atroce, un arrachement, le mal des amputés qui n'ont plus que la moitié d'eux-mêmes pour aller par le monde et ressentent jour et nuit le néant de la part manquante... Elle se recroquevilla. Dans la confusion du réveil, elle le pressentit dès cet instant : plus rien ne serait comme avant.

miel_et_vin

Premier roman, certes... mais quel talent ! Nous sommes dans le Périgord, en 1773, lorsque Guillaume de Salerac, génial inventeur loufoque, découvre une petite fille dans les bois. Elle sera recueillie par sa soeur, Louison, et adoptée sous le nom de Judith de Monterlant. Ignorant tout de son passé, la demoiselle reçoit une éducation de jeune fille appliquée mais son caractère impétueux et frondeur la distingue de son rang. Judith a le goût de l'espace, de la liberté. S'échappant de la vigilance des adultes, elle s'envole à bord de l'aérostat de son oncle alors qu'elle n'est qu'une gamine et rencontre chez un voisin celui qui lui fera battre son coeur et perdre tout bon sens dans les années à venir. Charles de l'Eperai, héritier en titre, est également connu pour être un enfant maudit et un bâtard. Il a le coeur dur, le regard froid et le diable dans le ventre. Lorsque le couple se croise à nouveau, lors du mariage de la soeur de Judith, l'attirance est évidente, la passion palpable. Et pourtant, il faudra attendre la fin de l'été pour assouvir cette soif et cette faim qui les poussent l'un vers l'autre.

C'est effectivement un grand roman sentimental et historique. Nous sommes en 1788, le peuple français est mécontent, les états généraux sont réunis. Judith a rejoint Paris avec son mari, mais son histoire avec Charles n'est bien évidemment pas terminée. Car c'est de cette passion que se nourrit l'intrigue et qui rend le lecteur dépendant, au point d'absorber sa lecture en ingurgitant page après page, sans hoqueter. Il en fallait bien - de l'amour, de la flamboyance, des éclats - pour attacher le lecteur à 544 pages, sans susciter de l'ennui. C'est un pari réussi, un roman passionnant, acquis dès les premiers chapitres. Impossible de s'en séparer. Et puis, le soleil aidant, les beaux jours et les vacances s'installant, il devient une prescription incontournable pour tuer le temps. S'il ne fallait en lire qu'un, dans vos bagages, glissez Miel et Vin. Parce que c'est un roman doux et sucré et piquant, gourmand et langoureux, avec des personnages aux destins inextricablement liés, par le secret de leurs origines et par cet amour fou qui les enchaîne. Ce n'est pas un roman mièvre ou trop long, avec des détails inutiles. Le romanesque est présent, très important, et l'amour a un pouvoir magique, troublant, envoûtant. Ce n'est pas du harlequin déguisé, c'est un bon gros roman captivant, qui ne vous lâche plus une fois la première page ouverte. A dévorer !

Buchet Chastel, 2009 - 544 pages - 24,50€

Feuilleter les premières pages

Invitation à un pique-nique littéraire, en compagnie de Myriam Chirousse, le dimanche 28 juin 2009, dans le bois de Vincennes : confirmer ou non sa participation sur Facebook

24 juin 2009

L'écorchée vive ~ Claire Legendre

ecorchee_viveBarbara est une belle jeune femme épanouie qui partage sa vie avec François. En apparence, simplement. Barbara vient de couper les ponts avec sa mère, lassée de mentir, de louvoyer, de promettre. Un secret sur son passé risque de peser sur sa relation amoureuse, Barbara est prévenue mais elle ne souhaite pas l'entendre, ni qu'on lui répète. Impossible toutefois d'ignorer les lettres anonymes qu'elle reçoit, des photographies de classe avec sa tête en moins. Qui peut lui vouloir du tort ? Et pourquoi Barbara a enfermé ses propres albums et un épais dossier médical dans un coffre à la banque ?

Car Barbara a été un monstre de laideur, repoussante avec sa gueule déformée depuis la naissance. Barbara a grandi en inspirant le dégoût, l'horreur, la répulsion. Longtemps condamnée à la solitude, elle a tenté de croire au bonheur, une intervention chirurgicale exceptionnelle a fini par lui offrir une plastique superbe, mais qu'en est-il à l'intérieur ? L'histoire montre que Barbara est une jeune femme fragile, marquée à vif, une écorchée avec des cicatrices. La simple vue du tableau Paulette de Soutine lui tire toutes les larmes de son corps, elle s'effondre et perçoit qu'on lui veut du mal. Qu'on cherche à la séparer de son amour. Et François lui-même ne peut pas l'aider, ne parvient plus à la comprendre.

Etrange, étonnant. Voilà mon sentiment...
Un roman où le chassé-croisé du pendant et de l'avant dresse un portrait sensible et touchant d'une jeune femme qui se sait monstre pour la vie.
Je n'ai ni détesté ni aimé vraiment. C'est moins bon que La méthode Stanislavski que j'avais énormément apprécié.

Grasset, 2009 - 250 pages - 18€

23 juin 2009

L'oeil du cyclone ~ Stéphanie Janicot

oeil_du_cyclone

Nouvelle Orléans, août 2005. L'ouragan Katrina s'abat sur la ville. Des milliers de réfugiés se terrent vers le gymnase, parmi eux Victoria, ses deux filles et sa belle-soeur. Comment cette ressortissante française, fille d'un haut diplomate, a atterri dans cette galère ? Très vite, on découvre qu'elle vient de tout perdre, son misérable mobil-home, emporté par les eaux, et sa belle-mère alcoolique, noyée sous leurs yeux en sauvant la vie de la plus jeune des filles... Alors que l'apocalypse s'invite sur terre, la vie de Victoria défile. La jeune femme est groggy et assommée par la somme de catastrophes vécue en quelques heures. Et pourtant une autre nouvelle lui tombe sur la tête : la prison des femmes est évacuée, une certaine Remedios s'apprête à sortir. C'est l'heure des règlements de compte, en famille. L'instant s'annonce tragique. D'ailleurs, quelques temps après leur arrivée dans le Super Dôme, la fille aînée - Luz - disparaît.

C'est un roman proprement captivant, fluide et divertissant. Un livre qui parle beaucoup des femmes et des liens familiaux. Une histoire autour d'une femme que rien ne prédestinait à être veuve et mère avant vingt ans, le sort lié entre les mains d'une vieille folle alcoolique obèse, et voyante sur les bords. Un tel destin force l'admiration et l'interrogation, en plus du respect. Il ne faut pas en apprendre plus, juste tourner les pages pour découvrir, bout par bout, le parcours incroyable de cette française prisonnière de l'ouragan Katrina. Et suivre la fuite en avant d'une adolescente vulnérable et influençable. Elle aussi en marche vers son Destin. La rencontre espérée va néanmoins aboutir à une conclusion loupée, car précipitée. Léger bémol qui n'entache pas mon impression générale, car je conserve de ma lecture un goût de passion, de puissance, de rage et de désespoir. Derrière ces visages de femmes, il y a des larmes et des secrets, une force commune pour arracher sa part de bonheur à la fatalité. Et pour cela, j'ai aimé. Comme souvent. J'ai apprécié ces retrouvailles avec Stéphanie Janicot.

Albin Michel, 2009 - 280 pages - 18,50€

Un merci tout particulier à l'auteur... comme ça.

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14 juin 2009

La boucherie des amants ~ Gaetaño Bolàn

Tom avait donc un secret. Oh, ce n'était pas un formidable secret, un de ces grands mystères insondables et fabuleux qui font tourner les têtes et changent la face du monde. L'enfant ne disposait d'aucun pouvoir magique. Il n'avait aucune influence sur les éléments, l'eau, la terre, le feu, pas plus qu'il ne savait s'élever dans les airs ou changer le plomb en or. Non, il s'agissait d'une toute petite bricole, presque une astuce en somme, une de ces martingales qui font rêver les gamins et dans le coeur leur dessinent un avenir un peu meilleur.

*****

la_boucherie_des_amantsC'est l'histoire d'un petit garçon, Tom, frappé de cécité depuis la naissance, qui a également coûté la vie de sa mère. Il est élevé par son père, Juan, le boucher de la ville. Une jolie idylle avec Dolores, l'institutrice, va naître après un rock endiablé au Paradis, le dancing local. Tom est heureux, il est heureux de savoir son père heureux.
Mais cette histoire n'est pas la bluette sentimentale qu'elle paraît être, puisque nous sommes au Chili, le pays des portés disparus qui ne laissent ni traces ni adresse, qui portent des veuves éplorées, toutes de noir vêtues. Et Juan et quelques amis se rendent à des réunions secrètes, collent des affiches en pleine nuit.
C'est avec un talent rare que Gaetaño Bolàn nous décrit l'horreur et la violence sous des dehors guillerets, avec un lyrisme qui ne trempe jamais dans le larmoyant. C'est beau, admirablement bien écrit en français dans le texte (l'auteur est né au Chili et vit à Valparaiso, après plusieurs années en France).
Merci à Laure sans qui l'enthousiasme communicatif ne m'aurait jamais permis de connaître cet auteur et cette petite maison d'édition.

La Dragonne, 2004 - 82 pages - 13,50€

 

 

d'autres avis : alice ; sylire ; joelle 

12 juin 2009

Un amour prodigue ~ Claudine Galea

un_amour_prodigueMani a cinquante ans, veuve depuis quelques années, elle mène une vie recluse dans sa Villa à la montagne. Philippine a seize ans, le coeur brisé par un premier amour. Incapable d'être comprise par sa propre famille, la jeune fille se réfugie chez sa grand-mère. Ensemble, elles vont se raconter et se confier leurs histoires qui parlent d'amour, de première fois et de rupture. Deux générations les séparent, et pourtant elles ont en commun d'avoir toutes deux aimé une femme.
A sa façon, Mani va lui raconter combien l'amour peut rendre plus beau et plus fort. Qu'on peut aimer et quitter, qu'on peut recommencer à aimer, en mieux, ou autrement. Cela ne signifie pas qu'on oublie, qu'on remplace, qu'on cicatrise. Les blessures existent pour se sentir en vie, et de longues nuits sans sommeil, à boire du thé ou du café, à écouter de la musique à ou à discuter de livres, vont amener nos deux héroïnes à se comprendre.
Pour Mani, cela veut dire confier un chapitre de son passé, pour permettre à sa petite-fille de maîtriser sa douleur, de purger sa peine et de faire en sorte qu'un premier amour permet d'ennoblir une personne, et non pas la détruire. Phili pleure beaucoup, elle est émue aussi par la confiance que lui témoigne sa grand-mère, avec laquelle une tendre complicité la lie. Elle ne se contente pas d'écouter, parfois elle se révolte, elle crie, elle hurle, elle est méprisante. Trop nouée à son désespoir, toute dédiée à son sentiment de trahison.
Même si ce roman est publié chez Thierry Magnier, il mérite d'être lu par un lectorat adulte (ou pour adolescents, niveau lycée ou fin de collège). Cette collection de photo roman est en fait un exercice donné à un auteur, qui consiste à écrire une histoire à partir de photographies. Ici ce sont les clichés de Colombe Clier qui ont su éveiller chez Claudine Galea des sensations qui leur étaient liées. Des images ont commencé à apparaître, d'absence, de désir, de vie quotidienne, de maison... "Quand on écrit, on raconte toujours les histoires secrètes qui dessinent d'autres vies en nous."
Cela m'est très difficile de décrire à quel point j'ai été touchée et éblouie par ce joli roman, j'ai aimé son climat, les mots chuchotés, le tourbillon des émotions et le flot des souvenirs, des confidences qui pourraient presque ulcérer les collets montés. J'ai aimé la moindre description du quotidien de cette quinqua, son souffle de vie, sa lenteur, son indolence, sa contemplation, sa sensibilité. On y trouve des sons, de la musique et des livres. On y collecte des sensations, des larmes aussi. Parce que deux femmes se parlent comme jamais auparavant, brisant la loi du silence, bravant les remparts du passé, dénichant les souvenirs rangés dans des boîtes closes.
Claudine Galea raconte l'amour au féminin avec pudeur et poésie, sans faux-semblant, en levant le voile sur cette attirance des corps du même sexe. Il n'y a rien de choquant, rien de dépravé non plus. J'ai envie de dire que c'est un livre qui ne fait que parler d'amour, le reste importe peu... Ce sont des variantes, des déclinaisons, des interrogations au sens large. Et j'ai beaucoup, beaucoup aimé. C'est l'exemple de lecture très intime, qui ne vous parle qu'à vous, et qui se révèle terriblement impudique (ou délicieusement indécent) d'en raconter les détails.

Thierry Magnier, 2009 - 250 pages - 16€

Claudine Galea est également l'auteur de A mes amourEs et Rouge métro.

extrait :

C'est le don de l'autre qui vous ennoblit ou vous tue. Celle que j'avais aimée m'avait ennoblie. Je me mis à réfléchir. Personne ne vous tue si vous ne voulez pas l'être. C'est cela qu'elle m'avait appris aussi, en filigrane. Ce qui vous tue, c'est le manque d'amour, la trahison, l'absence de grandeur, mais, en vérité, ça ne tue pas, ça blesse, ça rend dingue, ça vous balance un coup de poing dans la gueule, ça vous fiche une douleur pas possible comme quand on se retourne un ongle, sauf que c'est le corps entier qui est retourné, ça vous laisse une cicatrice, mais ça ne tue pas. Ça ne vaut pas le coup de mourir pour ça. Un véritable amour ne peut pas engendrer la mort. Un amour vrai donne la vie, encore et encore. Un amour vrai vous conduit vers un autre amour vrai.

31 mai 2009

A l'angle du renard ~ Fabienne Juhel

A_langle_du_renardJ'ai été soufflée par ce roman, parce qu'il a su me plaire et en même temps me déranger. La narration à la première personne donne un aperçu immédiat de la personnalité d'Arsène Le Rigoleur, qui porte décidément mal son nom, car c'est le genre à ne pas apprécier qu'on se foute du monde. C'est difficile au début de le cerner, on suit son manège, il scrute la famille d'en face qui vient d'emménager, il sympathise avec la petite fille de cinq ans, malgré la franche méfiance de la mère, le ballet des tractations peut commencer, et pourquoi vient-elle, et qu'est-ce que vous pouvez cacher, à quarante ans, seul dans votre ferme... Arsène ne lâche rien, il apprécie la compagnie de la fillette mais il est davantage fasciné par son grand frère, un rouquin, de trois ans son aîné, du style sauvage et fouineur, prêt à faire le mal pour attirer l'attention. Un drôle de jeu commence, avec en toile de fond les souvenirs familiaux, qui vont et viennent comme des vagues. On sent le secret, on se questionne sur ce François qui revient dans la bouche du narrateur, on découvre chez Arsène une violence, deux mains solides qui ne tremblent jamais au moment de rendre justice, c'est intense, étonnant, bizarrement envoûtant. Il est bon d'arriver au bout du récit, de trouver la sortie et de respirer un bon coup. Car l'atmosphère s'alourdit au fil des pages, les propos d'Arsène sont enfermés dans un kaléidoscope d'émotions, de sensations, de couleurs et d'odeurs. Son parler est campagnard, rude et revêche, mais le propos reflète la bestialité. La dramatisation enfle. Et puis que sont les renards ? que font-ils ? pourquoi viennent-ils sans craindre l'homme ? Ce sont autant de détails curieux et inouïs qui se produisent, ou alimentent cette intrigue pas banale, malcommode, qui peut plaire ou déplaire, mais ne peut laisser indifférent.

la brune / au rouergue, 2009 - 235 pages - 17€

extrait :

C'est que des mots, j'en ai plein ma mémoire. Comme des cailloux dans une carrière. Parce que quand on est môme, on apprend à se taire et à écouter. Et à ronger son frein.

Logo_Prix_Landerneau

d'autres avis :::  Papillon , Sylire, Cathulu et Katell (toutes séduites) / Lily (également pressée d'en finir)

Fabienne Juhel est également l'auteur de Les bois dormants (rouergue, 2007) et La verticale de la lune (Zulma, 2005)

24 mai 2009

La coquetterie du malheur ~ Nata Minor

coquetterie_du_malheurUne femme tente de trouver son chemin dans le dédale d'une nécropole et se tord les chevilles en escaladant les pavés inégaux avec ses talons hauts. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Cette promenade dans le cimetière éveille en elle des souvenirs, son enfance et son arrivée en Europe, son départ de Russie, ses origines oubliées, son père brillant, sa mère neurasthénique, sa grand-mère gourmande, et les visiteurs qui tambourinent à la porte, les blouses blanches qui emportent sa mère, les enfants dans les parcs qui s'esclaffent en écoutant son accent, toutes les glaces à la vanille avalées pour suivre l'exemple de sa grand-mère, qui aimait aussi s'allonger dans le canapé pour lire des romans français, le porte-monnaie de la ménagère et les virées chez guerlain...
Un roman court, très agréable à lire, servi d'une langue élégante et généreuse, pleine de vie, avec une histoire teintée des couleurs de l'enfance, pas vraiment nostalgique... Le texte se perd un peu dans ces chassés-croisés entre le passé et le présent, au cours duquel la narratrice fait une rencontre. Une ancienne danseuse, Anna, devenue boiteuse, lui confie un manuscrit rédigé en cyrillique. Qui, pourquoi, où va-t-on ?
Une lecture étrange, pleine de charme, mais qui nous conduit nulle part. J'ai bien aimé, mais sans comprendre pourquoi.

Grasset, 2009 - 106 pages - 11€

Nata Minor est également l'auteur de La Partie de Dames, un roman que j'ai lu il y a très longtemps (en 2003 ou 2004). On peut lire ici l'avis de Cathe sur Zazieweb.

En couverture, il s'agit bien du portrait de l'auteur enfant (archives de l'auteur).

12 mai 2009

L'origine de la violence ~ Fabrice Humbert

origine_de_la_violenceLe narrateur, professeur de lettres, effectue un voyage scolaire à Buchenwald où son regard est happé par un cliché qui représente un tortionnaire nazi, médecin du camp, avec un individu dont la ressemblance frappante avec son propre père le trouble instantanément. Après quelques recherches, l'homme met à jour un secret de famille.
Et c'est pas à pas que nous suivons son enquête, il n'y a pas d'autre mot pour décrire la construction du roman, c'est minutieux, palpitant et digressif. C'est aussi subtil, intelligent et brillant. L'auteur, ou le narrateur, nous raconte son histoire comme s'il se la racontait à lui-même, pas d'effet de style trop lourd, pas de pathos, juste des faits, des noms, des anecdotes. Il remonte le temps, il recompose des visages, il expose des théories et il se perd dans le dédale de l'Histoire, dans celui des mensonges et des silences également.
Il ne s'agit pas d'un énième roman sur la Shoah, et n'attendez pas non plus que l'on vous révèle la véritable origine de la violence, tout dans ce roman est terriblement personnel. Le narrateur, en fin observateur qui veut trouver des réponses à ses questions, traite de l'origine de tous les maux, et particulièrement de cette violence qui grouille en lui depuis l'enfance, de son intérêt pour la question juive et l'horreur des camps, pourquoi s'est-il senti interpellé par ce chapitre, et comprendre aussi l'idée du Mal absolu, qu'on ressent à l'intérieur de soi, qui vous taraude et ne vous lâche plus, du genre marche ou crève... Plusieurs fois il le répète, il s'intéresse autant aux victimes qu'aux bourreaux. Pourquoi ?
C'est aussi et avant tout l'histoire banale et terrifiante d'un type très beau et ambitieux, qui voulait épouser une femme pour de l'argent, qui en aime une autre parce qu'elle est son double, et qui sera déporté dans un camp à cause de tout ça.
Notre narrateur est l'héritier de cette lourde histoire familiale, « Je suis mon grand-père livré aux bourreaux, je suis mon père frémissant d'une violence suicidaire, je suis l'héritier d'une immense violence qui traverse mes rêves et mes récits. »
Et c'est très difficile de parler d'un tel livre, il est riche en secrets et en révélations, voilà pourquoi il est nécessaire de le lire en toute innocence. C'est un roman époustouflant, qui vous agrippe et ne vous lâche plus avant la fin, et c'est fort, c'est prenant, c'est éblouissant.
Je vous le conseille sans attendre !

Et puis il y a ce petit caillou à ramasser dans sa poche :

« Des hommes et des femmes à prénom et sans prénom, à histoire et sans histoire, des bons et des mauvais, des ni mauvais ni bons, des beaux et des laids, des lucides et des fous (...) Comme nous tous, ils n'ont aucune importance particulière et chacun d'eux, pourtant, est l'âme du monde (...) » 

Le Passage, 2009 - 315 pages - 18€

Fabrice Humbert est également l'auteur de : Biographie d'un inconnu (2008)

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