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Chez Clarabel
4 septembre 2008

Qui touche à mon corps je le tue - Valentine Goby

C'est une histoire qui ne laisse pas deviner sa violence, et pourtant son thème est lourd, dangereux, sulfureux : les faiseuses d'anges. Valentine Goby a choisi d'en toucher quelques mots, avec sa grâce exemplaire et son allure sophistiquée. Elle ne crache pas les mots, elle les couche sur papier. Avec délicatesse. Elle bichonne ses personnages, qui sont trois : Marie G. qui attend sa condamnation, Lucie L. qui a avorté et Henri D. le bourreau "qui n'existe que les matins d'exécution par le dégoût des autres et l'horreur qu'il inspire".

C'est par ellipse que l'auteur procède en cherchant à élargir le procès muet qui tient lieu dans l'esprit de l'opinion publique. Elle glisse sa plume d'un caractère à l'autre, sans frémir ni flancher. Elle se met dans la peau de "la blanchisseuse des corps", celle qui "gomme les taches disgracieuses, au point de passage entre la vie et la mort" ou elle fait corps avec celle qui a été "faible ou juste pas avertie", celle qui a voulu ce rapt d'elle-même. Chaque personnage porte sa croix, on le soupçonne et l'apprend au fur et à mesure. Cette histoire n'est d'ailleurs pas sans rappeler le film de Chabrol, Une Affaire de femmes, que je vous recommande également.

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Ce qui ressort de ce livre, c'est son intensité. C'est vibrant d'émotion, certains passages flirtent avec la rage, l'impuissance et la frustration. On retrouve d'ailleurs la même écriture éprouvée dans L'échappée, son précédent roman. Une nouvelle fois, donc, Valentine Goby se penche sur la destinée des femmes, durant la guerre. Après celles condamnées pour avoir reçu et/ou donné du plaisir durant cette époque mouvementée, voici les faiseuses d'anges qui connaîtront une sentence sans appel sous le gouvernement de Vichy. On graciait des pédophiles, mais on envoyait à la guillotine celles qui voulaient se substituer à la décision divine (sic) !

Valentine Goby ne verse jamais dans le pathos, elle expose des éventualités, brise les tabous et elle montre les silences, les injustices. Il y a aussi un refus de la fatalité derrière les personnages, et un aspect froid et clinique chez Henri D. qui parfois donne des frissons - mais l'homme est humain, on découvre ses failles et cela ne nous laisse pas indifférent. Les deux femmes sont également touchantes, à leur façon. Ce ne sont pas des criminelles, mais elles ont posé pour la postérité avec ce statut. C'est glaçant et c'est fort. On ne peut demeurer insensible à ce genre de lecture.

"(...) faut-il cesser de penser, de sentir, ou bien cette torture en vaut la peine parce qu'à la fin, peut-être, il y a une promesse de bonheur, ce que j'entrevois du bonheur, une sorte de plénitude où coexistent mon corps ma voix ma tête dans une seule enveloppe palpitante, et tout bat en même temps ? Ai-je raison de vouloir ? D'espérer ?"

Gallimard, août 2008 - 137 pages - 13,90€

 

 

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3 septembre 2008

Dans la tête de Shéhérazade - Stéphanie Janicot

Shéhérazade Halshani a trente ans, elle est l'animatrice d'un talk-show à succès et prépare une nouvelle émission qui porte sur l'adolescence et les rêves de devenir écrivain. Cela la ramène quinze ans en arrière, lors de son entrée en seconde, au lycée Louis-le-Grand qu'elle intègre pour un programme de section internationale arabe. Elève gauche et manquant de confiance en elle, elle est aussitôt éblouie par Aubin et Sophie. Lui est blond, superbe, timide et attiré par les garçons ; elle est le rejeton de parents qui ne se supportent plus, petite, forte et pas très jolie.

La jeune fille d'origine marocaine, qui a grandi dans le cinquième arrondissement, avec son père patron de bistrot, va aussitôt être fascinée par ces deux camarades riches d'une culture littéraire qu'elle n'a pas. Shéhérazade se sent profondément en marge des gens qu'elle fréquente, au lycée ou dans sa famille (elle se rend tous les dimanches dans la famille de son père manger du couscous). Elle ne se sent appartenir à aucun "clan", mais fait tout pour que ses nouveaux amis l'acceptent.

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On découvre assez vite que ce roman repose sur un drame qui est survenu dans leurs vies, durant cette année où ils étaient jeunes, conquérants et idiots. D'un côté, l'histoire parle de l'adolescence, de cette époque ingrate où on se sent tout le temps insatisfait. D'un autre, on aborde aussi la complexité de la génération des fils d'émigrés, ces enfants nés en France, totalement intégrés, mais pourtant en quête perpétuelle d'origines et de souches auxquelles s'accrocher.

Stéphanie Janicot est une vraie raconteuse d'histoires, elle possède ce talent de dresser un tableau et de le remplir avec des histoires de famille, d'amitiés et d'amours qui s'embriquent comme un jeu de Légo. Cela se finit toujours bien, malgré les coups de canif, et on sort toujours de ses romans avec un sentiment d'avoir passé un bon moment ; c'est gentil, simple et efficace.

Attention, il ne faut pas être allergique aux bons sentiments, mais cela ne signifie pas pour autant que le contenu est trop lisse, trop facile. Le seul reproche : quelques clichés, trop entendus. Mais ce n'est qu'un grain de sable !

Dans la tête de Shéhérazade

Albin Michel, août 2008 - 312 pages - 19,50€

2 septembre 2008

Val de Grâce - Colombe Schneck

Situé dans un quartier parisien, le Val de Grâce était un appartement cossu, le lieu magique de toute une enfance, une bulle d'un autre temps, où l'on se sentait coupé du reste du monde. C'était aussi un monde enchanteur, anarchique, où les enfants évoluaient dans un brouhaha constant, sous la coupe bienveillante de Madame Jacqueline, qui lavait, repassait, reprisait et rangeait, cuisinait de la mousse et de la crème au chocolat.

Un jour, elle disparaît et c'est une époque qui se finit. Le regard de l'enfance fait place à celui qui scrute, note les détails. Toute une vie passée à ne pas compter, à amasser, à obtenir tout ce qu'on désire. Tout un leurre pour masquer les rideaux qui s'usent, les couleurs qui fanent, les factures qui s'accumulent, le manque d'argent qui pointe.

Le Val de Grâce avait été érigé pour donner de l'illusion, une sorte de poudre aux yeux pour bercer les dodos des enfants. Offrir ce qu'il y a de plus beau, montrer que rien n'est impossible... A huit ans, dans sa robe jaune, la fillette rencontre Fred Astaire dans sa résidence de Bel Air pour danser comme dans Shall we dance. Pour vérifier la légende du Loch Ness, elle court en Ecosse et croise un jeune prince devant Buckingham Palace. A la boulangerie, c'était crédit illimité sur les confiseries et autres pâtisseries.

Ce furent vingt-trois années féériques et fantaisistes, et pourtant la narratrice a failli tout oublier. Car c'est de cet oubli que naît le roman, qui s'ouvre sur la maladie et la mort de la mère impliquant l'héritage déposé entre les mains des enfants.

" Un étranger ne pouvait comprendre que Val de Grâce était un monde enchanteur dont la valeur matérielle n'avait aucune importance. On ne pouvait le cambrioler. On ne nous servait pas des morceaux de courgette trop cuite, mais des trompes d'éléphant coupées en morceaux. "

En perdant sa mère, la jeune femme accepte d'enterrer le passé en libérant les souvenirs, elle se livre alors à un récit de confidences pudiques, émouvantes, drôles et attachantes. Pleinement consciente d'avoir appartenu à un rêve, elle reconnaît la part des mystères de Val de Grâce, où sa famille cherchait à servir du bonheur sur plateau et à camoufler les chagrins. On découvre que cette enfance pleine d'exubérance a été une vengeance personnelle des parents - réfugiés pendant la guerre - qui ont ainsi cherché à se construire des souvenirs, pour mieux oublier les leurs.

Ce roman, touché par la grâce, vous berce par sa simplicité, son trop-plein d'amour jamais mièvre, sa sensibilité et sa nostalgie vivifiante. 

"Est-on qu'on me pardonnera d'avoir été aimée à ce point ?" prévient la narratrice. A votre avis ?   

Val de Grâce

   Stock, août 2008 - 140 pages - 14,50€

Le pourquoi de Val de Grâce

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1 septembre 2008

Les mille-vies - Delphine Coulin

 

 

C'est le dernier jour de tournage pour l'actrice Dorine M., qui incarne Emma - une femme mariée qui apprend la mort prochaine de son époux par un jeune médecin qui tombe amoureux d'elle. La préparation est longue, difficile. Elle cherche à s'imprégner de son personnage, mais depuis le matin, Dorine s'est réveillée en proie aux doutes et à ses sempiternelles angoisses. Aujourd'hui, forte d'une longue carrière derrière elle, Dorine M. se sent épuisée et lasse de ses "mille-vies". Elle ne le sait pas encore, mais son jeune partenaire lui fait comprendre qu'elle a perdu pied depuis longtemps, en confondant la fiction et la réalité. 

"Prodige d'être une actrice. Une mille-vies. Fantasme absolu de notre époque, où chacun court après le temps pour vivre le plus possible. Où tout est démultiplié."

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Ce sont vingt-quatre heures de la vie d'une actrice, une femme brillante, très belle et qui n'a peut-être pas envie de se poser.

Il y a beaucoup de pudeur dans ce roman. On sent une héroïne fragilisée, qui n'a pas été épargnée par la vie et qui a choisi une kyrielle d'identités imaginaires pour fuir d'autres fantômes. A travers ce portrait d'une actrice et d'une femme, avant tout, il y a aussi l'ombre de la vraie vie, celle d'une femme amoureuse, abandonnée. L'apprentissage de l'amour défunt. C'est si admirablement conduit, feutré et silencieux, dans un vrai décor, entre les MOTEUR. TOURNE. ACTION. CUT. On suit les mille-vies de Dorine M. avec une concentration mystique.

Les mille-vies

   Seuil, août 2008 - 157 pages - 15€

merci tout particulier à l'auteur...

Le pourquoi des Mille-Vies, par Delphine Coulin (entretien vidéo)

Delphine Coulin travaille pour le cinéma et la télévision. Elle a publié un roman, Les traces, et un recueil de nouvelles, Une seconde de plus, remarqués tant par la critique que par le public.

31 août 2008

La vie pétrifiée - Nils Trede

Xavier, trente-trois ans, est un grand solitaire qui mène deux vies différentes, dans la même ville qui est séparée en deux îles reliées par un pont. D'un côté, il est serveur dans le restaurant de ses parents. Son père est mort et sa mère est gravement malade. Dans son autre vie, Xavier est médecin de police.

Un vendredi soir, un jeune couple passe la porte du restaurant et affiche un bonheur parfait et éblouissant. Xavier en a mal au ventre, pas de les jalouser mais de s'apercevoir que la demoiselle pourrait tout à fait lui correspondre. De fil en aiguille, il va la retrouver en ville et chercher à se glisser dans sa vie - en l'aidant à louer l'appartement de ses rêves, par exemple. Il est comme ça, Xavier. Il écoute, il ne dit rien et il agit. Il a très peu d'amis, il ne parle pas beaucoup et on a du mal à le cerner.

Le roman, de toute façon, est marqué du sceau qu'impose la personnalité troublante et taciturne de Xavier. Un climat d'inquiétude plane, avec la solitude de cet homme, sa mère malade, le froid glacial qui tombe sur la ville, la démence et la virulence derrière chacun de ses pas. Il marche dans la ville comme un animal en furie qui tourne dans sa cage, il traque sa proie et on se ronge les ongles d'être complice de sa folie furieuse. Jusqu'où va-t-on ?

Austère et silencieux, ce roman s'impose à nous en nous rappelant l'ambiance implacable d'un Pascal Garnier, sans aucune ironie, l'humour à plat, bien au ras des pâquerettes. Nils Trede est allemand mais vit en France et écrit en français. La vie pétrifiée est son premier roman. On retiendra de cette lecture une atmosphère suffocante, un personnage - Xavier - étrange et un peu effrayant. Un vrai roman noir.

La vie pétrifiée

Quidam éditeur, coll. Made in Europe - 135 pages - 15€

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30 août 2008

Vie érotique - Delphine de Malherbe

Une femme et un homme se livrent à un jeu de séduction hors du commun. Ils sont voisins d'appartement, ils se font face et se scrutent soir après soir. De la séduction, il en est question. Elle est danseuse, parle avec son corps et frémit lorsqu'il l'invite à la rejoindre. A travers la buée sur la vite, il lui adresse ce message : Toi Vénus, moi Eros.

Dans son atelier sous les toits, l'homme a décidé de la séquestrer. Aucune barberie dans ce geste, en fait il a reconnu en elle cette femme unique capable de l'éveiller à l'amour et lui ôter ses peaux de chagrin. Il lui a confié n'avoir pas été ému par sa danse et pense qu'elle doit briser sa carapace pour s'épanouir. De son côté, elle préférait inventer l'amour plutôt que de le vivre. En se donnant à lui, elle s'offre une deuxième naissance.

Ce très court roman est un éveil à la sensualité, un apprentissage du désir à travers les corps, les mots et les illustrations d'Isild Le Besco. Cette combinaison s'achemine vers une grâce voluptueuse, jamais canaille ou inélégante. On suit l'évolution de cette femme, en un ballet qui devient une performance érotique, pour se conclure vers "la petite mort" (en gros, une danse de la mort comme source de vie). Point de prouesses acrobatiques, beaucoup d'émotion à fleur de peau, de la douceur et un certain raffinement derrière une pointe quelque peu intellectualisée de la notion du désir.      

Vie Erotique

Editions Robert Laffont, août 2008 - 175 pages - 18€

Lire un extrait

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Delphine de Malherbe est écrivain. Après le succès de La femme interdite, Vie érotique est son deuxième roman. Journaliste au Journal du dimanche, elle écrit aussi du théâtre et des chansons. Isild Le Besco est actrice, elle écrit, réalise et produit aussi ses films. Sa peinture et ses dessins ont été exposés pour la première fois en 2007.

29 août 2008

La domination - Karine Tuil

La narratrice, écrivain d'une vingtaine d'années ayant déjà commis quelques livres, se voit offrir la proposition d'écrire un ouvrage sur son père. Son éditeur, un homme âgé et poussé vers la sortie pour cause de retraite (raison officielle), exerce une pression étouffante, qui vire progressivement à du harcèlement sexuel et à de grandes déclamations d'amour. La jeune femme tombe dans le piège de sa séduction diabolique et commence son manuscrit. Toutefois, paralysée par son écriture, incapable encore de se livrer totalement, elle décide de composer un roman factice - celui de Jacques Lansky, alias Lance - et se glisse dans la peau du fils, Adam.

Le père disparu était un homme précieux, un ogre effrayant et qui aimait exercer sur les siens une emprise avilissante. De façade, c'était un type exemplaire, un mari charmant et un père modèle. Côté coulisses, il était taciturne, colérique, collectionnait les conquêtes faciles et avait eu l'outrecuidance d'installer sa jeune maîtresse enceinte dans le foyer familial. Dans le roman de Jacques Lansky, elle porte le nom d'Elena Nordau. A l'heure des funérailles du père, cette amante maudite fait sa réapparition, quinze ans après son départ.

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Quête du père, décryptage de la judéité, relations abusées et intentions inavouables sont les thèmes abordés dans ce roman de Karine Tuil. Ecrite à la première personne, brouillant les pistes du début à la fin, cette histoire est brillante, jouant à fond le paradoxe. De domination, il en est question à tous les coins de pages, touchant tous les protagonistes de cette intrigue où résonne une touche amère. Le goût de la bile au fond de la bouche ?

Nullement dérangeant, malgré quelques flottements nauséeux, ce roman se révèle parfaitement magnétique. On se surprend à accompagner la jeune femme et son double fictif - Adam Lansky - vers les origines d'un homme auréolé de zones d'ombre. Ce n'est peut-être pas du père dont on parle uniquement, la figure de l'éditeur devient très vite importante et mystérieuse - liée au destin des Lansky ? D'une confusion admirablement menée, l'histoire nous agrippe jusqu'à sa dernière page - saisissante, émouvante, écoeurante.

Grasset, août 2008 - 230 pages - 16,50€

 

28 août 2008

Petit déjeuner avec Mick Jagger - Nathalie Kuperman

Une adolescente de 13 ans, seule dans son appartement, prépare tous les matins le café et attend Mick Jagger. Ce qui relève du délire est en fait une manifestation d'un rêve de groupie, du moins c'est ce qu'on suppose au début. (Car après tout, le leader des Stones est-il oui ou non venu prendre le petit déjeuner ?) Ce fantasme colmate d'autres brèches, car Nathalie, la narratrice, est une adolescente traumatisée, angoissée et enfermée dans un cercle vicieux. Un soir après l'école, alors qu'elle n'avait que 8 ans, Nathalie a été victime d'une agression sexuelle.

C'est donc en gamine fragile qu'elle se pose. De plus, elle n'a aucune porte de secours, sa mère effectue de fréquents séjours en maison de repos pour dormir et son père a refait sa vie à Berlin. Seul Mick Jagger représente la vie et l'envie d'avenir.

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120 pages au compteur et une puissance foudroyante : voilà ce que m'inspire ce livre ! Est-ce un roman, un récit ou un exercice de style ? Nathalie Kuperman ne livre aucune piste, elle mêle le réel et la fiction avec une habileté déconcertante. Le personnage central se nomme... Nathalie Kuperman. Faut-il aussitôt conclure à un texte autobiographique ? Il apparaîtrait que non (après quelques recherches sur le net). L'auteur s'est amusée, purement et simplement. Elle nous livre une farce en dressant ce portrait de famille grinçant et pathétique.

Nathalie (l'adolescente) est un drôle de zèbre, tant par son obnubilation pour Mick Jagger que par son dégoût du sexe (pourtant elle se focalise sur le mot "pipe" qu'elle emploie à toutes les sauces, au point de lui valoir un renvoi de son école et un rendez-vous avec un psy). Tous les matins, penchée sur la cafetière à scruter le décompte du café, Nathalie est épatante, folle mais fascinante d'obstination. Son petit manège pour accueillir son idole ne nous semble plus désolant, mais cocasse.

Oui, voilà... Aussi grotesque que puisse paraître cette histoire si vulgairement résumée, jamais l'idée d'abandonner ne nous effleure, car dans le fond, on saisit très vite le côté doux-dingue du personnage. Et puis le style de Nathalie Kuperman est la petite cerise sur le gâteau : léger, fantasque, hystérique, désespéré. C'est le ton qu'on retrouve dans ses romans publiés pour la jeunesse, le côté "politically correct" en moins.

Petit déjeuner avec Mick Jagger

Editions de l'Olivier, coll. Figures libres - 120 pages - 14€

 

Nathalie Kuperman a notamment publié Tu me trouves comment ? et J'ai renvoyé Marta (aux éditions Gallimard), et plusieurs ouvrages pour la jeunesse (à l'école des loisirs).

27 août 2008

La tête en friche - Marie Sabine Roger

 

Germain, quarante-cinq ans, "cent dix kilos de muscles et pas un poil de graisse, un mètre quatre-vingt-neuf sous la toise, le reste à l'avenant", est inculte et analphabète, pas très futé mais pas débile pour autant. Toute son enfance, il a manqué de signes démonstratifs d'affection. A l'école, le maître le traitait comme un abruti et prenait plaisir à l'humilier. Très tôt, donc, il a renoncé aux études, à l'amour. Il exerce des petits boulots, est très habile de ses mains et aime tailler le bois avec son Opinel. Après une cohabitation difficile avec sa mère, Germain a choisi de vivre dans une caravane... au fond du jardin où il cultive ses légumes.

Un jour, dans le parc, il fait la rencontre de Margueritte, une petite vieille qui passe son temps à compter les pigeons. Ce détail les touche ; débute alors un timide rapprochement. Presque tous les jours, ils se retrouvent sur le même banc et discutent du bout de gras. De suite, Margueritte lui apparaît épatante, érudite, pleine d'éducation mais qui n'en étale pas. Elle est douce, l'écoute et commence à lui apporter des livres. Germain n'ose pas lui avouer qu'il n'aime pas ça (parce qu'il ne sait pas), par contre il prend plaisir à l'écouter lui faire la lecture à voix haute. Et de fil en aiguille, il imprime et se passionne, en redemande.

Depuis sa rencontre avec Margueritte, les choses ont bougé dans la vie de Germain. Il réfléchit beaucoup, il pense à sa mère, à ses potes de boisson, à sa petite copine Annette, à son père qu'il n'a jamais connu et à son manque de culture. Ce n'est pas qu'il se sent bête, mais floué de n'avoir pas reçu le décodage. Les heures passées à écouter Margueritte lui apprennent la puissance des mots, la liberté que cela offre et toutes les ouvertures possibles.

Sur ce constat, où jamais ne reflète la moindre pointe d'amertume, le roman devient un domaine de connaissances qui prouve qu'on a toujours besoin de labourer son champ de savoir. Le narrateur est un brave type qui n'a pas inventé l'eau chaude, on ne sent aucune pointe de misérabilisme derrière son histoire. Au contraire. Son franc-parler donne du peps au récit, c'est aussi assez drôle, avec des réparties pas mal balancées.

Et puis, je ne sais pas si on peut nommer "amitié" ce qui se tisse entre Germain et Margueritte, peut-être une adoption est-elle en cours, après un lent apprentissage. Mais c'est très joli, plein de tendresse et absolument extraordinaire. Cette histoire rappelle aussi la magie des livres et de la lecture - rien que ça, cela ne vous donne pas envie ?

La tête en friche

Editions du Rouergue, août 2008 - 237 pages - 16,50€

Marie-Sabine Roger est un auteur très connu pour la jeunesse. Ce titre est le premier pour "adultes", mais il peut également être lu par l'étiquette "adolescents - jeunes adultes".

 

 

26 août 2008

La maison des temps rompus - Pascale Quiviger

Au cours d'une longue promenade sur la plage, la narratrice découvre un panneau d'une maison à vendre, en bord de mer. Réfugié au coeur des dunes, prêt à être avalé par le roulement des vagues, cet endroit l'appelle et lui chuchote un message qu'elle seule peut entendre et comprendre. La maison des temps rompus, "c'est le lieu concocté par ce qui, en moi, demeure capable de vision, de guérison et d'espoir".

La narratrice s'y installe, perd la notion du temps et perçoit qu'elle habite un lieu hanté et qui - peut-être - n'existerait pas. Alors, un roman dans le roman voit jour : une histoire de deux amies inséparables qui vont grandir ensemble, être nourries de légendes aussi fantasques que fantasmées. On y croise une grand-mère irlandaise, qui travaillait dans les champs à pieds nus, une préceptrice anglaise, une aide-ménagère lourde de nostalgie, un amiral à la retraite, des jumeaux héritiers d'une clé d'or... Mais à quoi tout cela nous mène-t-il ?

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Ce roman, empreint de réalisme magique, nous raconte une très belle aventure de maternité, d'amour et de don de soi. C'est aussi une histoire de deuil, de séparation et de perte. Ce n'est pas foncièrement douloureux, c'est au contraire éblouissant et éclatant. Ce roman mène à la vie, j'en tiens pour preuve cette bouleversante déclaration d'une mère à sa fille :

"quand on tient un bébé dans ses bras, le jour de sa naissance, la minute de sa naissance, écoute-moi, ce jour-là, cette minute-là on tombe dans un puits sans fond et on n'en revient plus. On est condamné à aimer jour et nuit chaque battement de son coeur, on est condamné à se faire du souci sans arrêt, à souhaiter des choses impossibles, comme d'apprendre à marcher à sa place, comme d'attraper ses rhumes, sa varicelle, ses piqûres d'insectes, comme de percer ses dents, d'avoir ses peines d'amour et ses examens de fin d'année, mais c'est impossible. On imagine mille façons qu'il aurait de se blesser. On a peur qu'il meure. On a peur de ne pas pouvoir lui survivre. On le protège de toutes ses forces et pourtant on ne s'est jamais senti aussi vulnérable."

Pascale Quiviger nous offre un nouveau roman inquiétant, tordu et alambiqué. On y pénètre à tâtons, le temps de toucher les murs et de prendre ses repères. Cette maison des temps rompus crée un naufrage, celui de l'entendement. N'essayez pas de trouver Pirogue sur une carte, ne vous demandez pas ce qui est vrai ou imaginé, ne pensez surtout pas qu'un raz-de-marée va tout balayer et vous laisser exsangue... Non, c'est un livre qui se livre en douceur, camouflé sous mille couches à effeuiller avec délicatesse. Il y a un vent de folie entre ces pages, un souffle imaginaire et rêveur. C'est une très, très belle lecture qui confirme tout le bien que je pensais de cet écrivain déjà découvert avec Le cercle parfait.

La maison des temps rompus

Boréal pour l'édition en langue française au Canada, 2008
Editions Panama pour la présente édition dans le reste du monde, août 2008
190 pages - 18,50€

 

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