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Chez Clarabel

11 septembre 2008

Le chemin des sortilèges - Nathalie Rheims

Ce roman a bien du mal à se résumer, tant il flirte avec l'étrange et les confins du genre fantastique. On connaît le penchant de Nathalie Rheims à peupler ses livres d'esprits et de fantômes, d'apparitions aussi mystiques que troublantes. Qu'on se le dise, son dixième roman est du même acabit et se découvre avec lenteur, perplexité mais de façon non dénuée de charme !

La narratrice s'invite chez Roland, une figure majeure de la psychanalyse qu'elle voyait tous les jeudis matin, à la sortie de l'école. C'est aussi l'homme qui l'a vu naître et qui a tout quitté, il y a dix ans. Abandonné par la mère de cette jeune femme, par son épouse et ses filles, Roland s'est réfugié dans la solitude et habite une maison avec "des vieilles dentelles blanches aux rideaux". Un soir, elle frappe à sa porte.

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Aucune discussion franche ne s'ouvre, l'homme et la femme se font face, avec leurs bagages bien bouclés et bourrés à craquer de secrets. Une méthode douce va être alors employée, pour débloquer ce discours de taiseux : la lecture de contes de fées. Tous les soirs, une main invisible glisse un nouveau livre près du lit de la narratrice (la Belle au bois dormant, Blanche Neige, le Petit Poucet, le Petit Chaperon rouge, etc.). Les passages lus réveillent des souvenirs endormis, car voilà où mène ce travail : accepter ce qu'elle avait occulté, à se réconcilier avec sa mémoire.

"Chaque histoire déposée dans ma chambre était une étape de ce voyage intérieur, chaque livre un caillou blanc semé dans la forêt de l'oubli. Il ne fallait pas chercher à remonter le temps, c'était inutile, mais il fallait avancer, jour après jour, conte après conte."

La fin de l'histoire est assez surprenante. Elle remet à plat les plus fastidieuses interprétations mais éclaire autrement notre vision du livre. Jusqu'alors, le roman avait pour cadre une maison un peu hantée, qui n'est pas sûre d'être réelle, avec un rapport entre la narratrice et ce Roland plutôt spectral. On ne cesse de baigner dans l'impression d'être au beau milieu d'un conte ou un rêve fantasmagorique, pour finalement conclure à suivre le parcours initiatique d'une femme fragile. Mais l'impression est fugace, voire éthérée. On retourne ce livre dans tous les sens, la confusion au bord des lèvres, mais gagné par un sentiment chaleureux et persuasif.

Editions Léo Scheer, août 2008 - 180 pages - 14€

Le site de l'auteur : http://www.nathalierheims.com/spip.php?article28

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10 septembre 2008

Notre petite vie cernée de rêves - Barbara Wersba

Albert Scully est un garçon quelconque,  "un individu très ordinaire qui a des problèmes avec son âme". Il se sent étranger avec lui-même, différent des autres, bref ça le gonfle. Il ne sait plus où se situer, n'est pas soutenu par ses parents. Sa mère est une mordue de Bette Davies et n'a qu'un rêve : vivre à Beverly Hills. Elle passe la majeure partie de son temps à râler. Le père est un pauvre type qui boit de plus en plus, pour tromper son ennui et oublier ses soucis. Ils vivent dans un lotissement, dans le New Jersey, roulent en Ford et ont plusieurs dettes.

Je ne voudrais pas casser la baraque en plombant le moral des lecteurs de suite, parce que ça serait une erreur de penser que ce roman est glauque et déprimant. Bien loin de là ! On suit un garçon attachant, intelligent et réfléchi, qui pose un regard trop mature sur son petit monde. Il est conscient d'être un adolescent avec des goûts hors du commun (il aime les longues promenades, Shakespeare, collectionner les recettes de cuisine et le jardinage). Il n'est pas bête, il sait que ça cloche avec ses petits camarades. D'ailleurs il n'a aucun ami.

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Un beau jour, Albert fait la rencontre de Mme Ophra Woodfin, une dame âgée de 80 ans, qui vit à deux pas de chez lui, dans une maison qui ressemble à un décor des romans de Dickens. C'est une ancienne actrice, elle a grandi à Bloomsbury, voyagé à travers le monde et boit du xérès au coin du feu en offrant une tasse de thé à son invité. Pour la première fois, Albert se sent écouté et compris. Il n'arrête plus de parler et il ne se lasse pas d'entendre les souvenirs de Mme Woodfin. C'est comme ça qu'il comprend la valeur de sa différence et la possibilité de rêver pour mieux égayer sa vie.

Ce roman devrait se lire à tous les âges, car il vous redonne une confiance en vous et vous ouvre les yeux sur ce qui est bon et beau. La relation naissante entre Albert et sa voisine met du baume au coeur, cela rappelle Harold et Maud. On assiste à des échanges passionnants sur la littérature et le théâtre, c'est grandiose. Et en-deçà il y a la petite vie étriquée du garçon et de sa famille. C'est petit, assez triste et pathétique mais cela apporte du poids à l'ambition cachée de Mme Woodfin, qu'on retrouve dans la citation de Rilke : "Si ta vie quotidienne te semble pauvre, ne l'accuse pas, accuse-toi plutôt ; dis-toi que tu n'es pas assez poète pour en convoquer les richesses..."

traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch

Editions Thierry Magnier, août 2008 - 187 pages - 9,50€

9 septembre 2008

Oh, Roméo - Merete Pryds Helle

 

Ce sont deux amants d'aujourd'hui, dans la ville de Copenhague, ils se prénomment Roméo et Juliette et ce n'est pas fait exprès. Tout les oppose : elle est la fille du futur maire, issu du parti national ; il est immigré iranien, réfugié politique et installé avec sa famille de sang mais pas d'esprit, comme il dit. Il est chauffeur de taxi, elle est thésarde en médecine légale. Ils ont 30 ans, ils pensaient ne jamais connaître le véritable amour et leur rencontre a tout sauvé.

On ne réécrit pas une tragédie, dans le sens où on ne modifie pas la fin de cette histoire. Cela pourrait être handicapant, mais c'est tout le contraire. On savoure d'avance cette courte aventure, qu'on souhaite passionnelle, fusionnelle, totale et dévastatrice. Cela la rend encore plus précieuse ! On aimerait que Juliette et Roméo conjuguent leurs différences et démontrent à leur entourage la débilité de s'affronter sur des questions raciales. Les nationalistes sont particulièrement virulents dans ce Danemark de l'année 2005, avec en rappel de fond l'affaire des caricatures qui a mis le feu au poudre.

On reste dans le domaine du drame passionnel, en dépit des questions soulevées sur l'intégration, l'immigration et le racisme. L'auteur ne s'est pas contenté de décalquer la pièce de Shakespeare, elle a su insuffler une éloquence enflammée et musicale, une forme moderne (au lieu d'écrire dans son Journal, Juliette s'adresse à son blog). C'est un court roman qui rend hommage aux amours intemporelles, aux passions qui ne meurent jamais, enfin bref c'est divin !

traduit du danois par Catherine Lise Dubost

Gaïa, septembre 2008 - 187 pages - 19€

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8 septembre 2008

L'obligation du sentiment - Philippe Honoré

Jeanne et Louis Maisne forment un couple uni et respecté. Elle gère plusieurs pharmacies, lui est avocat. Ils mènent une vie calme et tranquille, sans une ombre au tableau. Cela va peut-être changer...

Depuis dix ans, leur fils Martin a quitté le foyer sans donner de nouvelles. Aujourd'hui il leur adresse une lettre dans laquelle il propose une entretevue entre deux vols, dans un aéroport. Pourquoi ? Aussitôt Louis a des sueurs froides, c'est sûr, le rejeton tient sa revanche. Que s'est-il passé au moment de son départ, alors que Martin était un ado de quinze ans. Il revient en les accusant, ce n'est pas possible autrement.

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Ce que j'ai apprécié, dès l'ouverture de l'histoire, c'est l'atmosphère qui ressemble à une intrigue policière et qui a donc servi de traitement pour démêler le secret de cette famille. Le procédé est également intelligent, car plusieurs parties composent le récit et apportent ainsi un éclairage sans cesse différent, qui fait presque étendre la responsabilité. La portée du mystère est elle-même assez hallucinante, je n'en dévoile pas la nature mais vous noterez alors combien le titre prend un sens tout à fait percutant.

En somme, j'ai beaucoup aimé ce roman qui a su me captiver, me nouer l'estomac, me mettre k-o aussi. J'étais toute disposée à découvrir ce que cachait cette famille modèle, pour m'apercevoir aussi que les bourreaux et les victimes ont tous des rôles interchangeables. Cette lecture fait froid dans le dos, mais c'est appréciable malgré le malaise qui pointe.

L'obligation du sentiment

Arléa, septembre 2008 - 122 pages - 15€

 

7 septembre 2008

Le fiancé de la lune - Eric Genetet

On ne tombe pas de haut avec ce livre : il est court (124 pages), agrémenté de 40 chapitres aérés et d'une intrigue guère originale mais qui fera pleurer dans les chaumières. C'est l'histoire d'un amour, rapide, fulgurant, poignant et bref. Arno approche de la quarantaine, il a parcouru le monde entier pour son boulot, ne s'est jamais attaché à une femme jusqu'à sa rencontre avec Giannina, une jeune chanteuse de jazz. Cela s'approche du coup de foudre, mais nos deux prétendants ne vont pas se jeter dans les bras de l'autre tout de suite, car l'homme doit repartir, régler ses affaires et éprouver ce qu'il ressent pour cette femme. C'est tout nouveau et ça n'a pas de nom.

Quand tous deux se rendent compte du lien invisible qui s'est tissé entre eux, à l'épreuve du temps et de la distance, c'est sûr que ça rappelle fatalement la grosse histoire d'amour. On s'aime, on ne se quitte plus, on partage le même toit et on fait un enfant. Cette fusion fait peur aussi et Arno n'est jamais sûr de lui. Mais le destin va lui sonner les cloches pour lui rappeler l'amour éphémère, la préciosité de l'instant présent et l'injonction qu'il faut toujours aller au bout de ses rêves.

Laissez-vous emporter entre deux mélodies - La chanson des vieux amants et la voix d'Ella Fitzgerald qui hante les pages de ce roman. L'histoire, un peu lyrique dans son écriture, saura vous toucher par sa simplicité et sa fatalité. C'est beau, émouvant, inexorable. Je vous invite à tenter l'aventure et encourager ce premier roman à la jolie couverture.

Editions Héloïse d'Ormesson, août 2008 - 124 pages - 15€

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6 septembre 2008

Pourquoi pas le silence - Blanche de Richemont

Paul a quinze ans, c'est un garçon doué, intelligent, qui aime la philosophie et la poésie. Il est beau, avec des boucles blondes, affublé d'un physique athlétique. C'est un adolescent qui se sait exceptionnel et qui cherche à atteindre la perfection, confortée par une famille - à ses yeux - sensationnelle. Paul a tout pour être heureux, mais ce n'est pas le cas. Trop conscient de sa différence, il traîne un spleen rasoir pour son meilleur ami Florent et casse-pieds selon sa soeur, Lou. Tous deux l'encouragent à déclarer sa flamme à Camille, la plus jolie fille de l'école, qui est raide dingue de lui et n'attend qu'un signe de sa part.

Mais le garçon ne veut pas, il ne peut pas. Il refuse la banalité et ne se suffit pas à lui-même. Le combat intérieur que Paul se livre est cruel, très paradoxal, il est tantôt partagé entre le don de sa personne et effrayé par la facilité avec laquelle on tombe dans la généralité. Ses sentiments pour Camille sont ambigus, il est touché par sa beauté, ému par les sensations qu'elle fait naître en lui mais dégoûté par sa propre mascarade.

"On est simple quand on aime. Je ne sais pas aimer. Je prends trop de place en moi. Je ne la quitte pas, mais je suis déjà parti. Elle ne me retient pas, c'est pour ça que je reste."

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Paul est un adolescent compliqué, rempli d'états d'âme. Peut-être. Mais son histoire nous fait plutôt réfléchir sur la délicate fonction que représente l'adolescence, passage obligatoire avant de devenir adulte. Le roman nous demande un peu de considérer ce cap difficile où il faut à la fois appréhender son corps, son rapport avec les autres, son bon vouloir, son désir d'être accepté pour ce qu'on est, son refus de rentrer dans le rang. A quinze ans, on est lâche et on se plie trop facilement à l'attente des autres, on veut de l'amour mais on a du mal à l'exprimer, le contenir. Parfois ça déborde et ce trop-plein nous submerge.

Mais qu'arrive-t-il dans la tête d'un garçon qui, malgré tous ses efforts, n'arrive pas à faire semblant, à être comme les autres et qui se sent continuellement un étranger ? La plume délicate de Blanche de Richemont nous livre cette torture mentale, cet état de désespoir et d'espérance sans cesse en conflit. Au début c'est grinçant, limite agaçant. Ne serait-ce point du caprice qu'on perçoit chez Paul ? Hélas non. Même si le roman n'est pas bien épais (122 pages), il évolue facilement et fait comprendre ce que vit l'adolescent, son mal-être et le drame personnel qu'il s'inflige (son cousin Max, qui avait tout pour lui, est mort à l'âge de 30 ans, au sommet de sa gloire).

Par ce livre, je découvre un auteur - Blanche de Richemont - à travers une histoire sensible et quasi universelle (on a tous eu quinze ans et connu son lot d'atermoiements !). J'ai été profondément touchée, réceptive au désarroi de ce garçon et perturbée par la fin (inéluctable ?). Il s'agit d'un premier roman, je vous le conseille.      

 

 

 

Pourquoi Pas le Silence

Robert Laffont, août 2008 - 122 pages - 14€

5 septembre 2008

A Mélie, sans mélo - Barbara Constantine

 

C'est l'été. Mélie, soixante-douze ans, se fait une joie d'accueillir sa petite-fille Clara, dix ans. Elle n'a cure de ses résultats d'analyse et dévie la conversation téléphonique de son médecin, Gérard, sur le plaquage d'Odile, son épouse qui batifole dans les bras d'un bel Hidalgo. C'est Fanette, la fille de Mélie, qui rigole de cette déconfiture (on devine alors qu'elle fut le cinq-à-sept de Gérard) et ne tarde pas à mettre son grain de sel, mais d'une manière qu'on découvrira plus tard...

Deux mois s'annoncent, peut-être teintés d'ennui. Clara a fichu en l'air sa Playstation, la barbe. Et puis pas moyen d'utiliser la voiture, toujours en panne - Marcel, le garagiste en retraite, peste et rage contre l'entêtement de Mélie qui veut réparer cette vieille guimbarde au lieu d'acheter un nouveau véhicule. En attendant, pour tout déplacement, ce sera donc vélomoteur et bicyclette, de bon matin et sur les chemins escarpés. Très vite, Clara y prend goût, s'adonne à quelques rituels (le pipi dans les buissons). Qui a parlé d'ennui, déjà ? Ah oui, sa mère : en fait, Fanette déprime un peu. Elle a cru rencontrer un nouvel amoureux, mais cette liaison a pris l'eau. Comme c'est souvent le cas.

Du haut de ses dix ans, Clara écoute, fait sa philosophe ou sa conseillère des coeurs brisés, c'est une fillette étonnante. Elle-même a un chéri - Antoine, qui lui écrit de longues lettres et se languit chez ses grand-parents, où il s'ennuie comme un rat mort. Peut-être Mélie pourrait l'accueillir pour un temps ? C'est vrai que chez Mélie on se sent bien, c'est un refuge des âmes seules, des sentiments qu'on croyait fanés et qui reprennent de la couleur, c'est aussi chez Mélie qu'on sent son coeur rebattre à cent à l'heure. L'amour, toujours et encore...

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Il n'y a pas de mélo chez Mélie, ni chez Barbara Constantine. Les lecteurs ayant apprécié son premier roman, Allumer le chat, vont retrouver strictement la même recette avec son deuxième livre. Par contre, ne croyez pas que ce soit du copier-coller non plus. On retrouve la verve savoureuse, la peinture truculente de destinées qui se mêlent et s'emmêlent pour notre plus grand plaisir, et cette passion de croquer des personnages attachants. On pourrait presque inventer le terme et parler de touche Constantine !

Certes, Allumer le chat avait bénéficié de l'effet de surprise. A Mélie, sans mélo est un roman qui nous étonne moins, mais il nous sert la même facétie, sans le côté pétillant qui nous faisait nous pourlécher dans le premier cas. Cela reste une lecture agréable, enjouée (presque une lecture d'été, d'ailleurs !) et qui pourrait booster tout moral en berne !

A Mélie, sans mélo

Calmann Lévy, août 2008 - 245 pages - 14,90€

L'avis de Cathulu

entretien vidéo avec Michel Field, sur Bibliosurf

4 septembre 2008

Qui touche à mon corps je le tue - Valentine Goby

C'est une histoire qui ne laisse pas deviner sa violence, et pourtant son thème est lourd, dangereux, sulfureux : les faiseuses d'anges. Valentine Goby a choisi d'en toucher quelques mots, avec sa grâce exemplaire et son allure sophistiquée. Elle ne crache pas les mots, elle les couche sur papier. Avec délicatesse. Elle bichonne ses personnages, qui sont trois : Marie G. qui attend sa condamnation, Lucie L. qui a avorté et Henri D. le bourreau "qui n'existe que les matins d'exécution par le dégoût des autres et l'horreur qu'il inspire".

C'est par ellipse que l'auteur procède en cherchant à élargir le procès muet qui tient lieu dans l'esprit de l'opinion publique. Elle glisse sa plume d'un caractère à l'autre, sans frémir ni flancher. Elle se met dans la peau de "la blanchisseuse des corps", celle qui "gomme les taches disgracieuses, au point de passage entre la vie et la mort" ou elle fait corps avec celle qui a été "faible ou juste pas avertie", celle qui a voulu ce rapt d'elle-même. Chaque personnage porte sa croix, on le soupçonne et l'apprend au fur et à mesure. Cette histoire n'est d'ailleurs pas sans rappeler le film de Chabrol, Une Affaire de femmes, que je vous recommande également.

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Ce qui ressort de ce livre, c'est son intensité. C'est vibrant d'émotion, certains passages flirtent avec la rage, l'impuissance et la frustration. On retrouve d'ailleurs la même écriture éprouvée dans L'échappée, son précédent roman. Une nouvelle fois, donc, Valentine Goby se penche sur la destinée des femmes, durant la guerre. Après celles condamnées pour avoir reçu et/ou donné du plaisir durant cette époque mouvementée, voici les faiseuses d'anges qui connaîtront une sentence sans appel sous le gouvernement de Vichy. On graciait des pédophiles, mais on envoyait à la guillotine celles qui voulaient se substituer à la décision divine (sic) !

Valentine Goby ne verse jamais dans le pathos, elle expose des éventualités, brise les tabous et elle montre les silences, les injustices. Il y a aussi un refus de la fatalité derrière les personnages, et un aspect froid et clinique chez Henri D. qui parfois donne des frissons - mais l'homme est humain, on découvre ses failles et cela ne nous laisse pas indifférent. Les deux femmes sont également touchantes, à leur façon. Ce ne sont pas des criminelles, mais elles ont posé pour la postérité avec ce statut. C'est glaçant et c'est fort. On ne peut demeurer insensible à ce genre de lecture.

"(...) faut-il cesser de penser, de sentir, ou bien cette torture en vaut la peine parce qu'à la fin, peut-être, il y a une promesse de bonheur, ce que j'entrevois du bonheur, une sorte de plénitude où coexistent mon corps ma voix ma tête dans une seule enveloppe palpitante, et tout bat en même temps ? Ai-je raison de vouloir ? D'espérer ?"

Gallimard, août 2008 - 137 pages - 13,90€

 

 

3 septembre 2008

Dans la tête de Shéhérazade - Stéphanie Janicot

Shéhérazade Halshani a trente ans, elle est l'animatrice d'un talk-show à succès et prépare une nouvelle émission qui porte sur l'adolescence et les rêves de devenir écrivain. Cela la ramène quinze ans en arrière, lors de son entrée en seconde, au lycée Louis-le-Grand qu'elle intègre pour un programme de section internationale arabe. Elève gauche et manquant de confiance en elle, elle est aussitôt éblouie par Aubin et Sophie. Lui est blond, superbe, timide et attiré par les garçons ; elle est le rejeton de parents qui ne se supportent plus, petite, forte et pas très jolie.

La jeune fille d'origine marocaine, qui a grandi dans le cinquième arrondissement, avec son père patron de bistrot, va aussitôt être fascinée par ces deux camarades riches d'une culture littéraire qu'elle n'a pas. Shéhérazade se sent profondément en marge des gens qu'elle fréquente, au lycée ou dans sa famille (elle se rend tous les dimanches dans la famille de son père manger du couscous). Elle ne se sent appartenir à aucun "clan", mais fait tout pour que ses nouveaux amis l'acceptent.

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On découvre assez vite que ce roman repose sur un drame qui est survenu dans leurs vies, durant cette année où ils étaient jeunes, conquérants et idiots. D'un côté, l'histoire parle de l'adolescence, de cette époque ingrate où on se sent tout le temps insatisfait. D'un autre, on aborde aussi la complexité de la génération des fils d'émigrés, ces enfants nés en France, totalement intégrés, mais pourtant en quête perpétuelle d'origines et de souches auxquelles s'accrocher.

Stéphanie Janicot est une vraie raconteuse d'histoires, elle possède ce talent de dresser un tableau et de le remplir avec des histoires de famille, d'amitiés et d'amours qui s'embriquent comme un jeu de Légo. Cela se finit toujours bien, malgré les coups de canif, et on sort toujours de ses romans avec un sentiment d'avoir passé un bon moment ; c'est gentil, simple et efficace.

Attention, il ne faut pas être allergique aux bons sentiments, mais cela ne signifie pas pour autant que le contenu est trop lisse, trop facile. Le seul reproche : quelques clichés, trop entendus. Mais ce n'est qu'un grain de sable !

Dans la tête de Shéhérazade

Albin Michel, août 2008 - 312 pages - 19,50€

2 septembre 2008

Val de Grâce - Colombe Schneck

Situé dans un quartier parisien, le Val de Grâce était un appartement cossu, le lieu magique de toute une enfance, une bulle d'un autre temps, où l'on se sentait coupé du reste du monde. C'était aussi un monde enchanteur, anarchique, où les enfants évoluaient dans un brouhaha constant, sous la coupe bienveillante de Madame Jacqueline, qui lavait, repassait, reprisait et rangeait, cuisinait de la mousse et de la crème au chocolat.

Un jour, elle disparaît et c'est une époque qui se finit. Le regard de l'enfance fait place à celui qui scrute, note les détails. Toute une vie passée à ne pas compter, à amasser, à obtenir tout ce qu'on désire. Tout un leurre pour masquer les rideaux qui s'usent, les couleurs qui fanent, les factures qui s'accumulent, le manque d'argent qui pointe.

Le Val de Grâce avait été érigé pour donner de l'illusion, une sorte de poudre aux yeux pour bercer les dodos des enfants. Offrir ce qu'il y a de plus beau, montrer que rien n'est impossible... A huit ans, dans sa robe jaune, la fillette rencontre Fred Astaire dans sa résidence de Bel Air pour danser comme dans Shall we dance. Pour vérifier la légende du Loch Ness, elle court en Ecosse et croise un jeune prince devant Buckingham Palace. A la boulangerie, c'était crédit illimité sur les confiseries et autres pâtisseries.

Ce furent vingt-trois années féériques et fantaisistes, et pourtant la narratrice a failli tout oublier. Car c'est de cet oubli que naît le roman, qui s'ouvre sur la maladie et la mort de la mère impliquant l'héritage déposé entre les mains des enfants.

" Un étranger ne pouvait comprendre que Val de Grâce était un monde enchanteur dont la valeur matérielle n'avait aucune importance. On ne pouvait le cambrioler. On ne nous servait pas des morceaux de courgette trop cuite, mais des trompes d'éléphant coupées en morceaux. "

En perdant sa mère, la jeune femme accepte d'enterrer le passé en libérant les souvenirs, elle se livre alors à un récit de confidences pudiques, émouvantes, drôles et attachantes. Pleinement consciente d'avoir appartenu à un rêve, elle reconnaît la part des mystères de Val de Grâce, où sa famille cherchait à servir du bonheur sur plateau et à camoufler les chagrins. On découvre que cette enfance pleine d'exubérance a été une vengeance personnelle des parents - réfugiés pendant la guerre - qui ont ainsi cherché à se construire des souvenirs, pour mieux oublier les leurs.

Ce roman, touché par la grâce, vous berce par sa simplicité, son trop-plein d'amour jamais mièvre, sa sensibilité et sa nostalgie vivifiante. 

"Est-on qu'on me pardonnera d'avoir été aimée à ce point ?" prévient la narratrice. A votre avis ?   

Val de Grâce

   Stock, août 2008 - 140 pages - 14,50€

Le pourquoi de Val de Grâce

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